À la Saint-Jean d’été, les pouillards viennent de briser les
coquilles des œufs et, dès leur premier contact avec le soleil et la nature,
les voilà pleins de vie et d’entrain qui courent parmi les herbes sous la
surveillance attentive de leurs parents. Ceux-ci les conduisent à la recherche
de leur nourriture, les petites graines et les œufs de fourmis. La chaleur de
l’été naissant protège le jour leurs corps encore frêles qui s’abritent la nuit
sous les ailes maternelles.
Le matin, quelques gouttes de rosée perlent aux pointes des
herbes ou coulent le long des tiges, un peu d’eau en minces filets bruisse à
peine dans les ruisseaux.
Les pouillards grossissent vite. En quelques jours, ils sont
gros comme des moineaux, puis comme des cailles. Un jour, les voilà surpris par
une rencontre inopinée. Leur mère se rase, les appelle doucement par
l’inquiétude de ses gestes et les râles de sa voix. Ils ont peur et, hop !
l’un d’eux se soulève, s’envole et retombe quelques mètres plus loin. Ses
frères l’imitent. La compagnie a pris contact avec l’air.
Maintenant elle n’effectuera plus toujours ses déplacement à
pattes, mais parcourra en vol groupé les diverses remises de son canton.
Le soleil de juillet brille durant de longues heures. La
terre est desséchée, brûlante même le jour. Dans les ruisseaux, les derniers
filets d’eau courante ont disparu. Les sources sont taries. Les nuits, elles
aussi, sont chaudes et, si un peu de fraîcheur tombe avec le matin, les herbes
ne portent plus les millions de perles de la rosée. Le soleil se lève
éblouissant dans une nature déjà chaude et desséchée. Les points d’eau, qui
deviennent des flaques croupissantes, sont de moins en moins nombreux. Les
perdreaux ont grossi et excitent les convoitises. Malheur à la compagnie qui,
poussée par la soif, se groupera autour d’une petite mare où un braconnier
l’attend, caché, immobile et muet. Tandis que les pauvres becs rouges se
baisseront pour saisir le délicieux liquide qui redonne force et vigueur, un
criminel coup de fusil détruira moitié de la compagnie.
Certes les perdrix rouges sont armées pour résister à la
sécheresse prolongée. En économisant leurs forces, en mangeant des sauterelles
qui ont emmagasiné une réserve d’eau, elles peuvent passer sans mal l’été.
Puis, plus tard, les raisins mûrs leur permettront encore d’attendre. Parfois
un orage, hélas ! vite évaporé, les abreuvera pour deux ou trois jours.
Mais combien de pouillards trouveront une mort prématurée pour n’avoir pas
résisté à la tentation des mares ! Si les conditions atmosphériques gênent
souvent le chasseur, combien de fois sont-elles un allié meurtrier pour le
braconnage !
Août continue à déverser son soleil sur la nature. Dans la
zone méridionale, l’ouverture est maintenant toute proche et l’impatience des
chasseurs grandit. Les promenades qu’ont faites beaucoup d’entre eux sur les
terrains où ils comptent chasser leur ont permis de reconnaître les compagnies
de perdreaux. Ceux-ci sont partis tout près, et le désir d’avoir un fusil dans
les mains devient impérieux. Ceux qui habituellement ne tuent pas grand’chose
ont l’espoir de réaliser quelques pièces dans les premiers jours où le gibier
n’a pas encore appris à se défendre (1).
Le milieu d’août est à peine passé que la chasse est
ouverte. Les perdreaux vont subir un terrible assaut avec, comme ennemi, cette
mortelle sécheresse qui n’est pas encore près d’être vaincue. La chasse en
bute-avant est interdite à plus de cinq tireurs jusqu’au mois d’octobre. Mais
cinq tireurs, c’est plus que suffisant pour décimer des compagnies qui
subissent le feu sans préparation et qui, dans l’impossibilité absolue de se
désaltérer, ne peuvent opposer à leurs poursuivants qu’une défense diminuée.
Trop de chasseurs chassent alors le perdreau sans chien, le poursuivent sans
rémission sur le coup de midi, le tirent à toutes distances et perdent plus de
la moitié de ceux qui sont atteints. Si beaucoup de perdreaux ne se rasaient
pas, si la sécheresse, par un juste retour, ne diminuait pas la puissance des
chiens et des chasseurs, bien peu dans les régions non boisées échapperaient à
la première semaine de la chasse.
J’ai vu également pratiquer un autre moyen destructeur, la
poursuite du perdreau en plaine avec des chiens courants qui reconnaissent sa
voie. Après deux ou trois vols, l’oiseau est effectivement forcé et se laisse
prendre. Au surplus, ce mode de chasse se pratique bien souvent avant l’ouverture.
Aussi n’est-ce pas sans tristesse que nous voyons, dès
l’ouverture, prendre l’essor, sous l’arrêt de nos chiens, non plus de belles
compagnies formées de douze à quinze sujets, mais quatre ou cinq malheureux
perdreaux rescapés, dévorés par la soif.
M. Louis Ternier écrivait, il y a quelques années, dans
le Le Chasseur Français qu’il prisait au plus haut point une partie de
chasse dans un terrain banal. Certes, et il y a plus de mérite à atteindre un
gibier vraiment sauvage que celui qui a grandi dans les mollesses de l’élevage.
Mais, à l’heure actuelle, dans les chasses banales et les sociétés communales,
la diminution catastrophique du gibier, y compris le lapin, met en péril
l’existence de la chasse elle-même. On ne peut demander à chaque chasseur
d’être naturaliste ; du moins chaque chasseur peut réfléchir sur les
conditions nécessaires d’existence du gibier. Alors peut-être ne demanderait-on
l’ouverture que pour octobre, quand l’automne a vaincu la sécheresse.
Il faudrait, il est vrai, pour atteindre cette date dans des
conditions profitables, anéantir le braconnage.
C’est là, m’assure-t-on, une autre histoire.
Jean GUIRAUD.
(1) Aussi les sociétés de chasse demandent-elles la date de
l’ouverture la plus proche possible.
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