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Corps et âme

Le roseau pensant

Nous avons précédemment (1) exposé la nécessité matérielle d’entreprendre ou de continuer notre culture avec persévérance et conviction pour la plus belle réalisation du roseau que nous sommes. Mais nous viserons encore plus haut : le roseau est pensant, et nous ne saurions le méconnaître.

Depuis longtemps, le sage Socrate a posé cette condition première de notre gouvernement personnel : « Et d’abord connais-toi toi-même. » Or, à la suite du savant autrichien Freud, les psychanalystes ont découvert dans les mystérieuses profondeurs de notre nature un tissu de contradictions : les complexes. En les ramenant à la clarté de la conscience, ils guérissent des perversions. Plus modestement, en éclairant nos tendances, nous aurons plus de chances de réaliser au mieux notre nature. Mais il faut encore le vouloir, et l’effort selon la grande école, l’effort volontaire, éprouve l’âme, car il est une rupture et il exige la destruction des forces vaincues. Sachons lui substituer l’élan enthousiaste et la conquête cordiale, seule véritablement humaine. Lançons-nous « corps et âme » d’un vigoureux appel vers la destinée que nous nous sommes conçue.

L’esprit raisonneur est souvent trop prudent et trop sage ; l’économiste tend bientôt à l’avarice qui immobilise un capital improductif. De temps à autre, jouons donc comme en notre jeune âge, pour rien, pour jouer, comme le père de Montaigne qui, à soixante ans, gravissait encore l’escalier de son château par quatre marches, en se jouant. Mille occasions s’offrent à nous de faire de ces mouvements apparemment inutiles ou exagérés, le matin en nous habillant, ou devant la table de toilette, ou dans l’escalier, appogiatures dans le concert de notre activité, sourire matinal aux choses étonnées !

Ouvrons au pauvre d’argent, au riche blasé, au sédentaire qui s’émousse l’immense trésor qui nous entoure : qu’il escalade une colline, sa fatigue est sa joie, et le proche village et la lointaine cité, le discret sentier et la rapide grand’route lui offrent un spectacle gratuit et des impressions d’une généreuse richesse. Qu’il plonge dans l’onde pure, qu’il aspire l’air marin ou qu’il éveille l’écho des monts, il est baron dans le domaine commun ! Qu’il franchisse un fossé, déplace un obstacle, qu’il foule rocaille ou prairie, par monts et par vaux, par neige ou soleil, le voilà maître du meilleur des sujets !

Le jeu est encore une tactique d’essai et un risque, un risque de grimpeur. Lâchons de temps en temps nos points d’appui coutumiers : comme est beau l’élan du plongeur qui bondit du tremplin pour changer d’élément. Et le jeu modèle le travail : n’envions-nous pas ces bons ouvriers, joueurs en leur genre, qu’il faut découvrir autour de nous ; ils jouent de leurs doigts et de leur esprit ; ils réalisent la synthèse jeu-travail : l’art. On a trop opposé jeu et travail : unissons-les dans l’alliance intime et vivifiante qui crée l’activité supérieure de l’artiste.

Conservons donc un peu de la jeunesse ; l’amour du jeu, voilà qui fera la continuité de notre être. À vouloir commencer de bonne heure notre marche en palier, ne la rendons-nous pas plutôt boiteuse ? Nous chantions en montant, irions-nous maintenant geindre et tirer au flanc ? Que l’instinct agissant et la réflexion, « ces deux sexes de l’esprit » selon Michelet, se marient en nous pour engendrer la plus riche vie humaine.

Il arrive certes un âge où l’organisme exige des ménagements, ce qui ne signifie point immobilité ; encore cet âge est-il plus éloigné que ne le croit l’inerte. Toutefois l’inverse est aussi dangereux, et le physique doit être garanti contre les efforts imprudemment prolongés de ces « vieux de la vieille » qui ne veulent point capituler. Vivons alors qu’il en est temps pour que, dans le stade ultime, satisfaits de la longue et pleine carrière de notre brave serviteur, nous puissions, sans regret et dans la plus belle sérénité, le laisser tout entier à son unique et dernière tâche : porter allègrement le poids des ans.

Accordons un peu de jeu, au plein sens du mot ; une récréation, à ce zélé serviteur, et, selon l’excellent conseil de W. James, qu’il fasse chaque jour « un peu d’exercice désintéressé pour maintenir vivante en lui la faculté de l’effort ».

Notre gymnastique sera une activité physique clairement consciente.qui nous mettra en état de produire des énergies pour les dispenser généreusement. La gymnastique selon Amoros est une culture intégrale ; elle doit résoudre en beauté cette cruelle antithèse entre l’âme et le corps. Né de la terre qui demeure son plus ferme appui, il doit, avant le fatal rappel, former une âme et la projeter dans le monde, et c’est la résolution de l’intime complexe d’attachement et d’indépendance : soyons les habiles sculpteurs de ce nouveau discobole au corps svelte, à la pensée saine et vigoureuse.

Nous présenterons dans un prochain entretien les principes élémentaires qui aideront chaque lecteur à pratiquer une culture physique peu exigeante, adaptée à notre nature profonde.

A. BÉRAT.

(1) Voir Le Chasseur Français, no 620.

Le Chasseur Français N°608 Août 1948 Page 166