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La greffe en écusson

Pour pouvoir reproduire, de façon certaine, une variété fruitière avec toutes ses qualités, il est indispensable d’user d’un procédé de multiplication autre que le semis des graines. Le plus souvent, on a recours au greffage.

Le greffage est l’opération qui consiste à fixer une portion de l’arbre à reproduire, portion qui peut être un œil ou un rameau, sur un autre végétal qui lui servira de support et dont les racines pourvoiront à sa nourriture.

La portion de l’arbre à reproduire se nomme le greffon. L’arbre sur lequel on fixe le greffon s’appelle le sujet, ou encore le porte-greffe.

Les procédés de greffage sont nombreux. Quelques-uns sont d’application très courante, et, parmi ceux-ci, le greffage par œil ou greffage en écusson est, certainement, de beaucoup le plus employé pour la multiplication des arbres fruitiers.

Dans ce procédé, le greffon est un œil supporté par une lamelle d’écorce ayant la forme d’un écusson.

Les yeux sont pris, levés comme disent les professionnels, sur des rameaux de l’année précédente si le greffage se fait au printemps, sur des rameaux de l’année en cours s’il est effectué à la fin de l’été.

On choisit des rameaux vigoureux, sur la partie moyenne desquels les bourgeons sont détachés, avec l’écorce voisine et un peu du tissu cellulaire placé immédiatement au-dessous. On laisse le plus souvent à l’écusson un centimètre au-dessus et un centimètre et demi au-dessous de l’œil. En le levant, il faut avoir grand soin de ne pas éborgner ou vider l’œil, c’est-à-dire de ne pas le priver du faisceau libéro-ligneux qui existe en face de lui, à l’intérieur de l’écorce, et que les arboriculteurs appellent le germe. Il faut également éviter de laisser trop de bois à l’écusson, ce qui rendrait la reprise plus difficile et prédisposerait la pousse au décollement ultérieur, sous l’influence de causes diverses. Pour faciliter la manipulation de l’écusson, on conserve une petite partie du pétiole de la feuille à la base de laquelle l’œil est inséré.

L’écorce du sujet, incisée suivant deux traits perpendiculaires formant par leur ensemble un T, est soulevée des deux côtés et de haut en bas avec la spatule du greffoir-écussonnoir. On glisse ensuite l’écusson, qu’on tient par le pétiole, dans la fente ainsi obtenue. On fait descendre celui-ci jusqu’à la partie inférieure de l’incision, assez bas pour qu’il s’y trouve logé tout entier. Puis on rapproche les lèvres de l’écorce du sujet et on ligature à F aide de laine ou de raphia. L’œil doit sortir librement au centre de la ligature, laquelle doit être assez fortement serrée si le sujet est peu vigoureux et doit l’être plus modérément si la circulation de la sève est plus active.

On fait la greffe en écusson au printemps, en mai-juin, et, dans ce cas l’œil de l’écusson se développe tout de suite en pousse. C’est ce qu’on appelle écussonner à œil poussant.

Mais, le plus souvent, on opère peu de temps avant l’arrêt de la sève, c’est-à-dire, suivant les arbres fruitiers, depuis la fin de juillet jusqu’à la mi-septembre. C’est l’écussonnage à œil dormant, ainsi appelé parce que l’œil ne se développe qu’au printemps suivant.

On n’écussonne guère à œil poussant que le châtaignier et le noyer. Il est, dans ce cas, nécessaire de provoquer et d’activer le plus possible le développement de la pousse de l’écusson en coupant le sujet, au-dessus de celui-ci, quelques jours après le greffage.

Les autres essences fruitières, à fruits à pépins ou à noyaux, s’écussonnent surtout à œil dormant. On évitera alors, au contraire, de provoquer le développement de l’écusson et, dans ce but, on ne fera subir au jeune sujet écussonné aucune réduction du système aérien au moment du greffage, ni immédiatement après.

Le moment le plus propice au succès de l’opération varie quelque peu selon qu’il s’agit d’une espèce ou d’une autre. Il se place, en général, une dizaine de jours avant l’arrêt de la phase active de végétation.

Cet arrêt ne se produit pas au même moment pour les diverses essences. C’est ainsi que le merisier, porte-greffe du cerisier, et le prunier Saint-Julien, porte-greffe du prunier et du pêcher, cessent de pousser à la fin de juillet et qu’il faut les écussonner vers le 25 de ce mois ; que le poirier franc ne pousse plus après le 10 août, ce qui oblige à le greffer dans les premiers jours d’août ; que le cognassier, porte-greffe du poirier, les pommiers franc, doucia et paradis, qui cessent de végéter après le 25 août, peuvent encore s’écussonner le 15 août et même un peu plus tard, ainsi d’ailleurs que le pêcher franc ; que l’amandier et le cerisier Sainte-Lucie, sur lesquels on greffe respectivement le pêcher et le cerisier, continuent à pousser jusqu’après la mi-septembre et que l’écussonnage peut en être effectué, avec chances de succès, dans les premiers jours du mois.

Il n’est pas bon d’écussonner trop tôt, car, fréquemment alors, l’œil écusson peut se trouver noyé par la sève trop abondante, ou bien, s’il réussit à se souder au sujet, donne naissance à une pousse avant l’hiver, laquelle pousse n’a pas toujours le temps de se lignifier convenablement et peut être détruite par les grands froids.

La greffe en écusson ne donne de bons résultats que sur des tiges ou des branches de un, deux ou trois ans. Sur de plus vieilles branches, l’écorce ne se détache pas très bien parce que trop épaisse. Même, pour certaines essences, il est préférable d’opérer sur du tout jeune bois, de l’année si possible, surtout si l’écusson est très menu. C’est le cas pour l’amandier que l’on écussonne en pêcher.

L’examen de la partie du pétiole de la feuille qui accompagne l’œil permet de s’assurer, au bout de quelques jours, de la réussite de la greffe. Si celle-ci est reprise, le pétiole se détachera à la moindre pression. Si, au contraire, il se dessèche et résiste, il faut recommencer l’opération, s’il en est encore temps, car l’écusson n’est pas repris.

À la fin de l’hiver, on supprime la ligature et on étête le sujet à 15 centimètres au-dessus de l’écusson, de façon à avoir un onglet qui servira à palisser la pousse d’écusson. Celle-ci ne tarde guère à se développer, mais, en même temps qu’elle, naissent un grand nombre de pousses du sujet qu’il est indispensable d’enlever au fur et à mesure de leur développement. On en maintient cependant une, pendant quelque temps, à la partie supérieure de l’onglet.

On la pince d’abord, pour la supprimer lorsque la pousse d’écusson arrive à dépasser de quelques centimètres le sommet de l’onglet. Ce dernier joue un rôle de tuteur pour la jeune greffe jusqu’au moment où celle-ci est à peu près lignifiée, c’est-à-dire jusqu’en septembre. À ce moment, l’onglet, devenu inutile, est à son tour enlevé : c’est l’opération du désonglettage à la suite de laquelle on se trouve en possession d’un scion ou greffe d’un an. Ce scion sera le point de départ de toute forme taillée dont il constituera l’axe, ou tronc principal, sur lequel prendront naissance toutes les branches de la charpente.

E. DELPLACE.

Le Chasseur Français N°608 Août 1948 Page 170