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Le verger d'un observateur

Des pomologues ou des propriétaires de vergers vous ont sans doute entretenu, avec enthousiasme, d’un verger américain, auquel on a donné le nom de verger d’un paresseux, parce que son propriétaire le laisse, en apparence tout au moins, en état d’inculture. Cette considération a engagé notre confrère des États-Unis, le Country Gentleman, à en faire l’objet d’un reportage sensationnel, à l’américaine !

En fait, il s’agit là surtout d’un verger d’un excellent observateur plutôt que minutieux, dont vous pouvez tirer le plus grand profit en adaptant la méthode de ce cultivateur à toute plantation fruitière.

Le verger en question est situé dans l’Orégon. Il est entièrement planté de poiriers en forme basse, variété Bartlett, dont le fruit ressemble comme un frère à celui de la variété commerciale Bon-Chrétien, Williams et Bosc. On a voulu comparer ce semblant de laisser-aller à l’exagération des soins parfois minutieux recommandés pour l’exploitation de nos cultures fruitières françaises. Mais il y a une raison à cette manière de faire que vous pouvez avoir avantage d’adopter.

Ne comparons cependant que ce qui est comparable. À part quelques exceptions, nous opérons en France dans des situations très différentes et aux micro-climats, à la terre excellente, dont le prix à l’hectare est généralement très élevé et dont les qualités de terre sont cependant assez variables, ce qui permet de multiples adaptations.

Aux États-Unis, au contraire, les situations sont semblables et les grandes plaines de cultures fruitières s’étendent à l’infini et sur d’immenses surfaces. Il s’agit, en général, de terrains, au sol très friable, que le vent balaie et qui sont constamment sous la menace de l’érosion motivée par les eaux ruisselantes. Il n’y a donc qu’à tailler dans ces surfaces pour constituer, en général, des vergers sous une forme extensible cultivés mécaniquement (car, aux États-Unis, c’est la main-d’œuvre payée très cher qui détermine le prix de revient), ou bien ces surfaces sont enherbées, à la fois pour être moins vulnérables aux érosions, pour fournir de l’humus et pour freiner l’évaporation. En France, au contraire, où le terrain est cher, le prix de celui-ci pour les végétaux et le coût de la nourriture pour les animaux comptent davantage, avec toutefois des indices modificateurs.

M. Collins, le propriétaire de ce verger, procède ainsi. Après avoir façonné la terre entre ses rangées d’arbres, dans les deux sens, il a semé des vesces, trèfles, luzernes et graminées une fois pour toutes, comme plantes de couverture, donc de retenue des terres. Il laisse ces plantes grainer pour qu’elles se ressèment seules, parmi toutes les autres herbes. Tous les deux ans, il épand des superphosphates.

Au moment de la récolte des poires, Collins passe dans son verger avec un tronc d’arbre attelé à son tracteur pour coucher toutes les herbes encore très vertes, au lieu de les sécher s’il les fauchait. Ainsi elles s’agglomèrent et se décomposent vite. Lorsqu’il peut disposer de fumier, il en étend par surcroît au pied des arbres.

Cette couverture végétale fait, comme les feuilles et les branchages des arbres dans les forêts, un épais matelas d’humus, toujours plus dense d’année en année et dans lequel les racines des poiriers lancent des radicelles en tous sens. De même s’accumulent les feuilles des poiriers et les brindilles mortes, les seules qui, en général, sont enlevées aux arbres. Ainsi les eaux de pluie et d’irrigation sont retenues comme dans une éponge, et il ne produit jamais de ruissellements, donc de désagrégations du sol et d’érosions. De même, cette couche d’humus s’oppose aussi à l’évaporation. Les cultivateurs de fruits des environs de Paris font de même avec d’épais revêtements de paille !

La taille des poiriers est limitée à l’enlèvement du bois mort et, sans doute, à quelques ramifications secondaires. Par contre, les prolongements des charpentières et les autres ramifications s’allongent à volonté. Collins compte sur le poids des poires pour les courber et les faire s’incliner, à la façon des saules pleureurs, et il y réussit. Il ne craint pas le bris ni le décollement des branches, car, déclare-t-il, toute charpente non taillée est solide. Enfin il limite les traitements contre les parasites à quatre par an. Alors que les feuilles des poiriers des vergers voisins ont bruni à l’approche de l’automne, celles de ce verger sont encore d’un beau vert.

Six hectares sont ainsi en pleine production et deux en formation. Les poiriers de ces 2 hectares mesurent déjà 3m,60 à 4m,50 de haut, bien que plantés en scions seulement depuis cinq ans, et donnent déjà des fruits.

Les récoltes des premiers hectares plantés fournissent 2.500 à 3.750 caisses de poires Barlett et Bosc à l’hectare. Il veut atteindre bientôt 5.000 caisses, ce qui va correspondre à trois fois la moyenne des meilleurs vergers de l’Orégon, en continuant à fabriquer de l’humus sur place ! Aussi Collins a déjà des imitateurs au Canada. Pourquoi ne tenteriez-vous pas un essai sur une petite surface ?

Charles JOLIBOIS.

Le Chasseur Français N°608 Août 1948 Page 171