J’aime le vanneau pour la tonalité somptueuse de son plumage
tirant sur le vert foncé, mais ayant tant de reflets variés, je l’aime pour son
cri plaintif — ti-ouit, ti-ouit, — qui me replace au centre des
marais aimés, je l’aime pour sa sauvagerie de fin de saison, je l’aime enfin
pour les hésitations de son vol, lorsqu’il semble flâner en cherchant la
compagnie.
En Brière, j’ai beaucoup chassé le vanneau en tirant d’autre
gibier ou au moment des grandes passées d’octobre-novembre. Si, à cette époque,
vous voyez successivement trois bandes de vanneaux suivre la même voie, à cet
emplacement, mettez-vous vite à l’abri de quelques souches de roseaux. À moins
que le vent ne change, toutes les bandes passeront à proximité de votre abri,
vous donnant de nombreuses occasions de tir. Il en est ainsi d’ailleurs pour
presque tous les migrateurs.
Je me souviens, en 1938, d’une chasse dans un petit marais
de Picardie, le coin me plaisait. La hutte bien placée m’avait permis de tirer
le premier jour quelques pièces de gibier. J’y revins quelques jours après,
vers fin juillet. Ce jour-là, j’assistai à une passée de vanneaux
exceptionnelle.
Il faisait une température tropicale : 41° à l’ombre.
Dans la coulée humide, comme s’ils recherchaient l’eau, les vanneaux se mirent
à passer.
Ils étaient silencieux comme s’ils n’avaient plus dans leur
gosier la force de crier « ti-ouit ». Ce n’étaient certes pas des
oiseaux fulgurants de vitesse que je tirai ce jour-là : ils passaient
lentement, lentement, et semblaient las. Ils venaient du nord-est et se
dirigeaient vers l’intérieur, à la recherche d’un coin ombragé, près d’une eau
douce où ils pourraient s’abriter du soleil ardent et s’abreuver. Après le
premier coup tiré, comme cible de foire, ils semblaient se réveiller de leur
torpeur et, comme des fous, descendaient en zigzag, rasaient le sol en faisant
des écarts d’un mètre et présentaient, comme toujours en pareil cas, les
variétés d’un vol acrobatique. Ils me parurent très faciles à manquer au second
coup. En une heure, je réussis à tuer de mon fusil 34 pièces, dont 29 vanneaux,
2 bécassines et 3 chevaliers pied-rouge, je m’empresse de vous dire
que j’avais manqué presque tous mes doublés. J’aurais pu faire ce jour-là une
chasse magnifique si, par la très grande chaleur, je n’avais été gravement
atteint au cœur à mon 29e vanneau.
Il me fallait, à mon grand regret, abandonner ma hutte et
rentrer à Paris au plus vite. Au cours de mes douleurs, je pensais souvent à
cet horrible soleil, mais je pensais beaucoup plus à mes vanneaux de Noyelles,
qu’il m’avait fallu abandonner. Les vieux chasseurs auxquels il arrive de
semblables mésaventures — cœur fatigué ou rhumatismes douloureux
— savent bien d’où leur viennent ces inconvénients du
« métier » ; ils ne regrettent jamais les imprudences qu’ils ont
pu commettre au cours d’une vie de chasse mouvementée.
J’ai parfois réussi, en Brière, avec mon fusil calibre 8
sur des gros vols de vanneaux, protégé des vues que j’étais par une légère
bande de roseaux.
Parfois aussi à l’affût, avec quelques vanneaux en bois
placés sur les pointes de platières. Dans les Landes, les chasseurs les
prennent au filet.
Dans cette région l’approche se fait à l’abri d’un cheval,
comme elle est pratiquée d’ailleurs pour les approches de grues, plus rares
cependant. L’imagination du chasseur pour atteindre le but convoité est
vraiment illimitée.
« Qui ne connaît pas les vanneaux ne connaît pas les
bons morceaux, » Tous connaissent ce vieux dicton ; je pense que
c’est dans le but de marier « vanneau » et « morceau » en
une rime que l’auteur de cette pensée l’a exprimée de si catégorique façon.
Lorsqu’il passe en automne ou qu’il s’est bien nourri en hiver, le vanneau est
un mets sinon succulent, du moins fort agréable à déguster. Lorsqu’il repasse
en mars, il est maigre comme la plupart des gibiers qui vivent la période des
amours et de goût médiocre. Je ne pense pas qu’il puisse, à cette époque,
servir d’enseigne à un rôtisseur désireux de maintenir la bonne renommée de sa
maison.
Jean de WITT.
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