Il n’est assurément personne qui ignore qu’en chassant sur
une propriété appartenant à autrui sans être régulièrement autorisé à le faire
on se rend coupable d’un délit puni par la loi et que l’on s’expose à une
condamnation à l’amende et éventuellement à des dommages-intérêts. Mais, ce
qu’on ignore généralement, c’est que cette règle, pour simple qu’elle
apparaisse, est sans contredit celle dont l’application a soulevé — et
soulève encore — le plus grand nombre de difficultés. Dans les ouvrages
juridiques relatifs à la chasse, l’étude du délit de chasse sur le terrain
d’autrui occupe une grande partie de l’œuvre et exige des commentaires sans
fin. Nous n’entendons, dans cette causerie, envisager qu’une difficulté, à
l’occasion de laquelle notre avis a récemment été sollicité et qui, par son
intérêt pratique, mérite de retenir l’attention des lecteurs de cette revue.
Dépouillée de tous accessoires tenant aux circonstances particulières de
l’affaire, la question peut se formuler dans les termes suivants : lorsque,
sur une poursuite en raison d’un fait de chasse prétendument accompli sur une
parcelle appartenant au plaignant, le droit de propriété de ce dernier est
contesté par le prévenu, que résulte-t-il de cette circonstance ?
Les tribunaux, et particulièrement la Cour de cassation, ont
été, à de nombreuses reprises, appelés à se prononcer sur cette question. Le
principe que la jurisprudence a consacré, et qui découle, d’ailleurs, de la
disposition de l’article 82 du Code forestier, c’est que, dans le cas de contestation
portant sur une question de propriété immobilière, le tribunal correctionnel,
saisi d’une poursuite pour délit de chasse sur terrain d’autrui, ne peut se
prononcer sur la poursuite ; il doit surseoir jusqu’à ce que la
juridiction civile ait statué sur la question de propriété immobilière.
Il faut cependant observer que, pour qu’il en soit ainsi, il
ne suffit pas que le prévenu soulève une contestation quelconque sur la
propriété ; il est nécessaire que la contestation paraisse sérieuse, que,
par exemple, le prévenu soit en mesure de se prévaloir de titres, de faits ou de
circonstances de nature à rendre ses prétentions vraisemblables. S’il se
bornait à émettre des allégations ne reposant sur rien, alors que le plaignant
serait muni de titres probants, le tribunal ne serait pas obligé de surseoir et
pourrait appliquer la peine encourue. D’après l’article 182 du Code
forestier, pour obliger le tribunal à surseoir, il est nécessaire que le
prévenu invoque un titre apparent ou des faits de possession équivalents qui
lui soient personnels, articulés avec soin et qui, à les supposer établis,
ôteraient toute base à la poursuite exercée.
Aux termes du même article, quand le tribunal correctionnel
renvoie ainsi devant la juridiction civile, il doit impartir un délai avant
l’expiration duquel on sera tenu de justifier que le tribunal civil est saisi
du litige relatif à la propriété. C’est le prévenu à qui il incombe de saisir
le tribunal civil. Faute par lui de l’avoir fait dans le délai imparti, le
tribunal correctionnel peut reprendre l’instance pénale et passer outre sans
tenir compte du moyen de défense soulevé par le prévenu ; il en serait de
même si, après avoir saisi le tribunal civil, le prévenu s’appliquait à
retarder la procédure engagée au civil ou faisait preuve d’une inaction
volontaire.
Sur tous les points ci-dessus, il ne peut s’élever de
difficulté sérieuse ; au contraire, et c’est à cet égard que notre avis a
été sollicité, il peut être assez embarrassant de décider sous quelle forme
l’instance civile doit être engagée.
Nous croyons qu’une distinction doit être faite :
normalement, c’est par voie de demande en revendication de la parcelle
litigieuse que le prévenu procède. C’est, en général, ainsi que les choses se
présentent : le prévenu soutient que la parcelle en litige lui a été
soustraite, a été détachée sans droit de sa propriété, par erreur ou par
mauvaise foi ; et il s’efforce d’établir par des titres anciens son droit
de propriété.
Mais n’est-il pas possible de se contenter de saisir le juge
de paix d’une simple action possessoire ? À n’en pas douter, si le prévenu
est en mesure de prouver que, dans l’année qui a précédé la poursuite pénale,
il a accompli, sur la parcelle litigieuse, des actes de possession
caractérisés, il peut, en arguant de ce que la poursuite pénale constitue un
trouble à sa possession, saisir le juge de paix par voie de complainte
possessoire ; une telle action serait incontestablement recevable. Mais la
question peut se poser de savoir si cette action répond aux exigences de
l’article 182 du Code forestier ; il est permis d’en douter ; en
effet, il ne s’agit pas alors de se prononcer sur la propriété, mais seulement
sur une question de possession, ce qui est bien différent. Si le prévenu
réussit dans son action possessoire, il restera à faire statuer sur la
propriété, et il est interdit au juge de paix d’en connaître.
Nous croyons cependant que l’exercice de l’action
possessoire dans le délai imparti par le tribunal correctionnel pour faire
statuer sur le moyen tiré de la propriété suffit pour mettre le prévenu à
l’abri de la condamnation et, si ce dernier triomphe dans son action
possessoire, Il ne reste plus au plaignant que la ressource de saisir lui-même
le tribunal civil d’une demande en revendication.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
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