Dans une précédente causerie (1), nous avions vu
comment de nombreuses sociétés croulaient faute de discipline. Le mal est-il
sans remèdes ? Je ne le pense pas.
Tout d’abord, il faut que chaque groupement vive vraiment. Pour
cela, mettre à la tête un homme capable — je ne dis pas bon chasseur,
c’est inutile, — ayant de l’autorité, des connaissances cynégétiques et,
autant que possible, en dehors de la vie politique active. Si le président
dispose de beaucoup de temps, il pourra mieux s’occuper de la société. Les
postes de secrétaire, trésorier, conseillers seront attribués avec plus de
facilité. Au moins deux fois dans l’année : fermeture et un mois avant
ouverture, on convoquera tous les membres pour une assemblée générale. Dans ces
réunions sera élaboré, modifié s’il y a lieu, le règlement intérieur.
Trop d’associations communales se contentent de recopier un
« règlement modèle », prêté par le village voisin. Il est voté à
l’unanimité et presque jamais appliqué. Le président peut s’inspirer dans les
généralités du document type, c’est tout. Un règlement non connu de tous les
membres ne sert à rien. Il faut donc établir, en tenant compte de la situation
de la commune et des usages locaux, quelques points essentiels qui seront
imprimés au dos des cartes individuelles et d’invitation. Rappeler seulement
les interdictions. Par exemple :
Il est interdit :
De chasser dans les récoltes sur pied ;
De se servir du furet ;
De tirer les perdreaux à l’affût ou aux abreuvoirs.
Ainsi, chasseurs du pays comme étrangers sont avertis et ne
pourront s’abriter sous le pare-procès de l’ignorance lorsqu’un garde les
prendra en faute.
Surveillance.
— Les fédérations départementales de chasseurs ont à
leur disposition un certain nombre de gardes motorisés pour surveiller
l’ensemble du territoire. Dans nos régions montagneuses ou coupées de collines,
il est à peu près impossible à ces hommes d’assurer une protection efficace
contre les vrais braconniers. Leurs tournées suivent des itinéraires où ils
peuvent aisément rouler : routes, chemins de terre ; vous pensez bien
que les « bracos », très au courant, s’éloignent de ces voies. De
temps en temps, ils en pincent un parce qu’il leur a été signalé.
Malheureusement, trop de ravageurs opèrent en toute tranquillité le
jour ... ou la nuit. Lorsque les « mobiles » voudront
débarrasser une contrée de certains écumeurs professionnels, ils n’auront qu’à
faire de discrètes enquêtes dans les villages de leur secteur. Un arrêt à
quelques restaurants connus pour le lapin sauté ou le perdreau primeur les
mettra sur la bonne voie.
J’estime que le rôle des gardes motorisés consiste :
1° À réprimer les saignées d’équipes spécialisées — ou
d’individus — usant de collets, furets, phares contre le poil et décimant
la plume aux affûts avec agrainées ou à la ramée mouvante ;
.2° À purger leur secteur des ennemis du gibier par le
piégeage ou l’empoisonnement. Malheureusement, de nombreuses sociétés leur
demandent surtout un travail secondaire : prendre les porteurs de permis
qui empiètent — parfois inconsciemment — sur leur territoire.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
— Cette fois, je vous tiens, donnez-moi votre
nom ! clame d’une voix impérieuse l’homme assermenté.
— Mais, monsieur, je suis parfaitement en règle. Tenez,
voici mon permis de chasse avec signalement détaillé complet. Constatez que ma
carte 1948 de sociétaire du « Lapin emballé » est payée ...
— M’en moque de tout ça ... Depuis le chêne
fourchu qui est au moins à 150 mètres derrière vous, vous chassez dans les
terrains de Saint-Jean-sous-Bois.
— Excusez-moi, monsieur le garde, je connais fort mal
les limites, car je ne suis pas d’ici ... Puis il n’y a aucune
pancarte ...
— Ah ! vous êtes encore un étranger ... Je
m’en doutais ... Votre compte est bon ... Je fais mon travail,
moi ...
Et notre malheureux confrère voit avec effroi les suites de
cette aventure. Il faut arrêter l’affaire au plus tôt. Visite au président de
la société de Saint-Jean-sous-Bois. Discussions, supplications ... Enfin,
avec quatre ou cinq billets, l’affaire va peut-être se tasser, mais quel trou
dans le petit budget ! ...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Scène fréquente à la lisière de nos chasses banales. À mon
avis, condamner nos gardes motorisés à ce rôle constitue une erreur. N’oublions
pas qu’ils sont payés avec le versement supplémentaire de cent francs demandé à
chaque porteur de permis. Un chasseur pénétrant de quelque cent pas dans le
territoire voisin et y chassant avec des moyens réguliers ne commet point un
crime et ne peut être mis dans le même sac que les gangsters professionnels. À la
suite de ces procès-verbaux, des animosités locales naissent et grandissent.
Voilà qui ne favorisera guère la large entente entre syndicats voisins.
Nos mobiles n’ayant pas le don d’ubiquité, il est
indispensable d’avoir, dans chaque société, au moins un garde capable et
consciencieux. Les difficultés d’en trouver un disparaîtront si ce précieux
auxiliaire est convenablement payé tout en recevant une gratification pour ses
prises : bracos et nuisibles. Comment voulez-vous qu’un homme accepte un
métier pénible — parfois dangereux — pour une somme dérisoire ?
S’il y consent et circule sans arrêt à travers son fief,
ouvrez l’œil ... Je ne serais point surpris que vous le trouviez en train
d’enlever — seul ou en compagnie d’un associé — le gibier dont il
assure la protection. Je me garderai bien de généraliser, et je sais qu’il
existe des hommes mal payés accomplissant leur tâche d’une façon parfaite. Ils
n’en ont que plus de mérite et doivent être récompensés.
Un gardien scrupuleux, ferme mais non impossible, ne coûtera
jamais trop cher à un groupement. Choisir — si on le peut — un homme
ayant fait ses preuves, étranger à la localité. Un habitant du pays, même très
capable, est plus enclin aux tolérances ou aux complaisances qui évitent des
inimitiés tenaces à la campagne. Certains syndicats minuscules ou peu fortunés
reculent devant la dépense. Deux solutions. Entente intercommunale avec dépense
de gardiennage proportionnelle à la surface ou au nombre de chasseurs. On peut
aussi remplir la caisse par un relèvement du prix des cartes (en août 1947,
plusieurs sociétés font payer aux locaux 50 francs le droit de chasse fixé
à 25 francs en 1937 ! ...).
Fêtes, battues avec vente du gibier peuvent également
augmenter les fonds.
Craint et respecté, le garde s’occupera constamment des
nuisibles, cette plaie des réserves. Je ne peux admettre que les dirigeants
d’un groupe de chasseurs négligent ce chapitre en disant : « Ici, il
y a toujours de nombreux renards, et le gibier ne disparaît pas ! ... »
Raisonnement simpliste détruit par la plus élémentaire observation. Un de ces
quadrupèdes mange au moins une centaine de pièces dans l’année — quel
carnage lorsqu’il a des petits ! Vingt filous sur le territoire, menu
annuel : deux mille lièvres, lapins, perdreaux. De quoi satisfaire deux
douzaines de chasseurs. Et ces mêmes dirigeants repeuplent à grands frais leurs
terrains ! Ne vaudrait-il pas mieux, par une prime substantielle, inciter
le garde à occire la tribu au long panache ? La lutte contre Goupil
n’empêchera pas de s’occuper des félins de moindre importance et des errants.
Malheur aux matous en maraude ! Quant aux chiens, un article du règlement
intérieur indiquera à quelle amende s’exposent les propriétaires si, en temps
prohibé, ils laissent leurs toutous vagabonder. Guerre aux rapaces, corbeaux,
pies et geais ... Certaines sociétés ont eu l’excellente idée de fixer en
cartouches la prime pour destruction de nuisibles : renard, 5 ;
faucon, buse, épervier, 3 ; pie, geai, corneille, 2. Exemple intelligent à
imiter.
Je ne veux point clore cette causerie sans toucher un mot
des sociétés limitrophes. Généralement, on déclare : « Chacun chez
soi », en pensant qu’ainsi c’est parfait. Lorsque le territoire de tous
les groupements est vaste, convenablement disposé, cela peut aller. Dès que
nous tombons dans les communes de faible étendue, étalées en longueur ou
présentant des encoches, les inconvénients fourmillent. Le gibier levé en
bordure passe chez le voisin, souvent suivi des chiens ; en pays boisé,
les limites sont peu nettes et l’on risque à tout instant d’être pris en défaut
si l’on connaît mal le coin. Pratiquement, il y aurait donc des avantages
réciproques à se montrer plus larges.
Grouper deux, trois ou plusieurs sociétés voisines, aux
terrains similaires, constituerait un acte de prévoyance : facilités de
surveillance et de repeuplement. Lorsque les effectifs chasseurs, la superficie
et la richesse en gibier sont proches, on peut évoluer vers la fusion.
Cependant, si on craint qu’il ne puisse y avoir une bonne entente entre les
porteurs de permis, se contenter de tolérances limitrophes réciproques et de
mesures générales profitables à l’ensemble : destruction de nuisibles,
réserve.
Ainsi, avec un concours général d’entente et de bonnes
volontés, nous pourrons, dans un avenir proche, rencontrer sur les chasses
banales, presque désertes en fin de saison, de nombreuses pièces de gibier.
Pour réussir pleinement, il nous faudra adopter d’autres mesures dont nous
parlerons dans la prochaine causerie.
A. ROCHE.
(1) Voir Chasseur Français, no 619.
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