Si l’on en juge par les catalogues ou les comptes rendus des
expositions canines, on constate, depuis de nombreuses années, une régression
sensible de nos vieilles races nationales. S’achemine-t-on vers une disparition
totale de nos races autochtones ? Certains le craignent et, le déplorant,
jettent un cri d’alarme. Quelles sont les causes de cette raréfaction ?
Quoique complexes, elles apparaissent clairement. Cette disparition est-elle
souhaitable ? Les uns la voient venir avec indifférence, d’autres avec
regret.
Cette triple question mérite qu’on la traite, et cela du
double point de vue intérêt du chasseur et intérêt national. Le chien de chasse
n’est pas seulement, en effet, le complément indispensable du chasseur, qui
doit pouvoir choisir la race qui lui convient le mieux ; il est aussi une
richesse nationale, au même titre que nos autres produits nationaux.
Mais, avant de chercher le pourquoi de la question et le
bien du mal fondé de la raison de ce pourquoi, il convient d’examiner
sommairement d’abord si la question a lieu d’être posée.
Et tout d’abord, par races nationales, il faut entendre
celles qui sont nées et se sont maintenues dans notre pays par suite d’une
longue adaptation au climat, au terrain, au travail demandé, à l’exclusion des
races importées ou de caractère international. Soulignons en passant que ce
sont presque toutes des races provinciales, ou régionales ; cette
constatation aura son poids lorsque nous exposerons le plaidoyer de leur
défense.
Voyons d’abord la gamme des épagneuls. À tout seigneur, tout
honneur : le breton. Certes, personne ne conteste que cette race n’est pas
sur le point de disparaître et qu’elle a depuis longtemps quitté le berceau de
sa province pour se répandre dans tous les coins du pays et au delà. Est-ce
bien sûr ? ... L’épagneul breton universel est-il bien, au moral et
au physique, le vieux petit épagneul de Bretagne ? Certainement pas depuis
qu’il est devenu quasi officiellement un demi-sang anglais, du moins tel qu’il
se présente la plupart du temps hors de sa province. Le néo-épagneul breton,
ayant cessé d’être purement national, se range donc ipso facto dans une
catégorie autre que celle qu’intéresse la question. Mais celle-ci concerne
évidemment le pur breton resté lui-même (à tort ou à raison, là n’est pas le
problème présent), et la question, à son endroit, a déjà reçu sa réponse par la
constatation que nous avons faite plus haut : le vrai breton, s’il en
subsiste, est bien resté dans sa province, il est rare en dehors et il tend à
disparaître, absorbé par le demi-sang.
Les épagneuls de Picardie, le picard proprement dit et le
bleu de Picardie, ne se sont jamais montrés très nombreux au delà de leurs
frontières locales. Aux expositions d’Amiens et aux épreuves régionales, on
voit encore un certain nombre de spécimens de cette race restée pure. Certes,
ils sont, paraît-il, beaucoup moins nombreux qu’autrefois, et la question posée
les intéresse directement.
Même situation pour le Pont-Audemer.
Quant à l’épagneul français proprement dit, qui fut, jadis,
un chien vraiment national, il semble tendre à perdre ce titre pour se
cantonner, en exemplaires assez restreints, en divers coins de France.
Que se passe-t-il chez les braques ? Il y a longtemps,
je crois, que l’on n’a pas vu dans les rings un authentique Charles X.
Peut-être en reste-t-il encore en quelque coin de la région toulousaine,
montalbanaise ou auscitaine ; car ce corniaud (puisque c’en était un,
d’après M. Dhers de Save) était bien un produit de Gascogne, issu du
croisement braque français courant bleu de Gascogne, et ses derniers
conservateurs, MM. de Vesins, de Pérignon et quelques autres, étaient bien
des Languedociens.
Le braque de l’Ariège a été porté disparu depuis longtemps
lui aussi. À peine entrevoit-on quelques « rari nantes » de
cette race dans les expositions de Foix ou de Toulouse.
Le braque du Bourbonnais, qui se trouvait autrefois répandu
bien au delà de son étroite province (on en voyait dans le Sud-Ouest avant
1920), semble lutter pour survivre. On en voit quelques sujets aux expositions
de Paris ; mais il est durement touché, et la question de sa raréfaction
se pose à son endroit.
Elle se pose aussi pour le braque d’Auvergne, autrefois
répandu à foison dans le Sud-Ouest et commun dans bien d’autres provinces. Il
est en nette régression lui aussi, même dans son pays, bien qu’on en voie
toujours quelques sujets dans presque toutes les expositions, même du Nord. On
peut se demander si, à l’instar de l’épagneul breton, pour survivre ailleurs que
chez lui, il ne s’est pas déjà résigné à se transformer lui aussi en demi-sang
anglais. Le type pur devient de plus en plus rare, sauf chez quelques sujets
d’élevages orthodoxes ou simplement dans son pays, aux mains de quelques
chasseurs ruraux.
Quant au braque français, il a perdu depuis longtemps son
titre de braque national, pour mériter plus que jamais celui de braque de
Gascogne ; car la Gascogne est bien son aire d’expansion et son dernier
refuge. Le type lourd (braque français de grande taille) a presque complètement
disparu. Le type léger (braque français de petite taille) existe encore en
Languedoc et en Gascogne ; on ne le voit que rarement ailleurs. Bien que
les deux variétés naissent parfois des mêmes portées, le premier, le grand,
sans doute à cause de la sélection, apparaît moins souvent et la race semble
évoluer vers un type unique. Mais lui aussi, pour subsister, semble vouloir
renier sa nationalité ; on l’a souvent mésallié, et le vrai type pur,
disséminé entre les mains de quelques amateurs traditionalistes appréciant ses
hautes qualités, est jalousement conservé par eux.
Au braque de Mirepoix (Ariège), variété de braque français
spécifiquement locale, dont une imposante famille fut exposée en 1947 à
Toulouse, s’appliquent les mêmes remarques : race inconnue en dehors de
chez elle.
Nous n’évoquerons que pour mémoire le braque de
Saint-Germain et le braque Dupuy, pour la raison que ces deux races
essentiellement artificielles et authentiquement demi-sang, si elles étaient de
fabrication française, ne pouvaient se ranger parmi celles qui nous intéressent
ici, constituant une autre classe, celle qui fait le trait d’union entre le
chien anglais et le pur sang continental. Car la question posée est celle de la
disparition des races naturelles nationales.
Nous laisserons pour la même raison de côté les griffons.
L’ancien griffon des dunes de Boulogne (à poil dur et à poil mou) fut absorbé
lors de l’époque korthalsienne, au dernier quart du siècle dernier, par le
griffon d’arrêt à poil dur unifié par la méthode de Korthals. Si, depuis 1918,
le griffon d’arrêt à poil dur est en fait devenu une race franco-belge, il n’en
revendique pas moins, à juste titre, une origine internationale, ou plus
exactement intercontinentale. Pour cette raison, outre son expansion croissante
indiscutée, la question ci-dessus posée ne saurait donc le viser.
Quant au griffon à poil laineux fixé vers la fin du siècle
dernier par M. Boulet, et presque pur français, il a disparu. J’en vis un
joli couple cependant à l’exposition d’Amiens de 1947. Et le barbet, dont M. Le
Houelleur conservait, presque seul, très pieusement, la graine avant la guerre
de 1939, ne donne plus signe de vie.
Il résulte de ce bref exposé que nous pensons à peu près
exact (sauf erreurs d’information que nous prions ceux que la question
intéresse de relever) que nos vieilles races nationales, quand elles n’ont pas
complètement disparu, se raréfient sensiblement, du moins à l’état pur. Autre
constatation : la plupart de ces races, ayant une origine régionale, après
avoir plus ou moins connu une expansion nationale, se resserrent et tentent de
se maintenir dans leur province de départ. Nous essaierons d’en tirer
conclusion au cours d’une autre causerie.
J. CASTAING.
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