Lorsque ces lignes paraîtront, la pêche de la truite sera
fermée, ou sur le point de l’être, dans la plupart de nos départements
français. Celle du chevesne à la mouche artificielle ne sera plus guère
fructueuse, surtout si les eaux se sont refroidies.
Est-ce à dire que le confrère pour qui la pêche à la mouche
représente le summum du sport halieutique va délaisser splits and flies,
comme disent les Anglais ?
Heureusement, non ! Il lui reste un excellent poisson à
capturer : l’ombre commun. Très éclectique, élégant, extrêmement rapide et
vigoureux, il a le droit de prendre rang, avec le saumon et la truite, à la
tête de nos poissons de sport, parmi les salmonidés.
Décrivons-le succinctement : de forme allongée,
la tête fine, terminée par une bouche très petite, le corps rigide, argenté,
paraissant taillé dans un bloc d’acier, la queue large et fourchue, la nageoire
dorsale nacrée largement déployée, les yeux jaunes, magnifiques, tel est notre
poisson.
Au sortir de l’eau, il dégage une odeur de serpolet, d’où
son nom latin (thymallus). Il est délicieux, ai-je dit, et certains le
préfèrent à la truite : affaire d’appréciation.
C’est donc un poisson digne de nos attentions à tous points
de vue.
Il n’est pas répandu dans toutes nos rivières françaises et
tend même à disparaître de certaines, où il pullulait autrefois, comme, par
exemple, dans le Lignon du Forez.
Cependant les cours supérieurs de la Loire et de l’Allier,
le Lignon du Sud, l’Alagnon, le Guiers, la Loue, l’Ain, etc., pour ne parler
que des rivières que je connais tout particulièrement, permettent d’espérer de
belles prises. Certaines parties de leur cours sont renommées et fréquentées
par les Anglais, fervents de cette pêche : je citerai Goudet, sur la
Loire, Monistrol, sur l’Allier.
J’ai pris, en amont de cette dernière localité, dans les
gorges abruptes et profondes où bondit la rivière, vingt-trois beaux ombres, un
soir de fin septembre, et ce fut un de mes meilleurs souvenirs halieutiques,
bien que la courroie de mon sac m’eût endolori l’épaule pendant plusieurs
jours.
Nous allons essayer d’extraire l’ombre — théoriquement
— de sa cristalline demeure ...
Il est inutile de le rechercher en eau calme : il
affectionne les plaines d’eau rapide, coulant sur graviers ou galets, sans gros
blocs, et dont la surface paraît unie comme une nappe d’huile, bien qu’animée
d’un mouvement très rapide : tels sont les radiers de la Loue, en amont de
Parcey.
L’ombre est dans ce courant, plaqué au fond, qu’il quittera
d’un rapide mouvement ascensionnel pour venir aspirer un moucheron minuscule
qui passe en surface. C’est merveilleux de rapidité et d’adresse, et le bon
pêcheur d’ombres à la mouche sèche peut être fier de lui-même.
C’est, en effet, exclusivement à la mouche flottante que se
capturent les gros ombres, qui ne montent qu’au crépuscule, par méfiance ou par
atavisme ...
Les spécimens d’un kilo ne sont pas communs dans nos
rivières : ce sont des poissons magnifiques.
À la mouche noyée, nous emploierons un bas de ligne en queue
de rat, très fin, portant cinq, six — et plus, parfois — mouches
artificielles, petites, brillantes, de couleurs vives, peu fournies en
plumes ; l’ombre se moque éperdument, en effet, de la ressemblance entre
la mouche naturelle et son sosie artificiel. Il faut que « ça »
brille, tout en étant minuscule.
Là réside tout le secret de la pêche à la mouche noyée, à la
dérive, en descendant le courant : pêche très facile pour qui sait lancer,
mais ne rapportant que rarement de gros poissons.
Celui qui veut réellement du sport, emploiera la mouche
flottante, avec ou sans ailes. Ma préférence va à cette dernière qui, bien
vaporisée d’huile ou séchée pour de faux lancers, flotte admirablement et ne
perd pas sa silhouette après plusieurs captures.
Quelles couleurs adopter ? Étant vue avec le ciel comme
écran, il est logique de supposer que le poisson, plaqué au fond, voit la
mouche sombre.
C’est du moins ce que j’en ai conclu, et l’expérience m’a,
jusqu’à ce jour, prouvé que j’étais dans le vrai.
Je n’emploie donc que des moucherons gris, corps et plumes,
ces dernières formant une collerette peu étendue, mais assez fournie pour
assurer la flottaison ; trois petites barbes en queue permettent une
stabilisation horizontale très utile.
Péchez exclusivement en remontant, mais, étant donnée la
rapidité avec laquelle le courant vous ramène la mouche, il faut lancer très
souvent, d’où une fatigue du poignet gênant le réflexe instantané qui assure le
ferrage.
Reposez-vous souvent pour rester maître de vos nerfs.
Si vous n’avez pas une bonne vue, ne péchez pas l’ombre à la
mouche sèche : suivre, en effet, un moucheron qui glisse à une allure
folle n’est pas à la portée d’un œil défectueux.
L’ombre ne fait pas d’esbroufe pour saisir sa proie ; à
peine voit-on un petit tourbillon, une aspiration où la mouche disparaît :
il faut ferrer légèrement à cet instant précis, sinon votre mouche reparaîtra
plus loin, crachée par le poisson qui a senti le piège.
Je répète donc : pêche de précision, de rapidité,
d’opportunité, pourrais-je dire.
Et je résume en concrétisant cet exposé :
En mouches noyées : Plusieurs artificielles,
petites, brillantes, de couleurs vives et peu fournies (3 ou 4 barbes de
plumes suffisent). Péchez en descendant.
En mouche sèche : Une seule mouche, petite,
grise, plumes courtes, bien huilée. Ferrage instantané.
Marcel LAPOURRÉ.
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