Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°622 Octobre 1948  > Page 210 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

L'ablette, poisson de sport

Désireux de pêcher le black-bass à la mouche, je suis allé, dès le début de mars, sur les bords d’une rivière du Sud-Ouest, qui en contient pas mal et de beaux ... Malheureusement, j’avais négligé de me renseigner : la pêche du black y était interdite pendant tout le mois de mars ! Je dus donc me contenter de le voir chasser et pourchasser, surtout le soir au crépuscule, les malheureuses petites ablettes qui y pullulaient. Rien d’étonnant qu’avec une pareille provende et une surveillance louable le black y soit nombreux !

Mais comment passer les quelques jours que je lui avais consacrés !

Je me rappelai alors que je ne connaissais presque rien de l’ablette, pratiquement ... J’avais le désir, depuis longtemps, de la taquiner un peu : histoire de me rendre compte personnellement ... Dans mes rivières habituelles, semi-torrentueuses et rapides, elle n’y existe pas et, je le dis maintenant, je le regrette. Je le regrette pour deux raisons : d’abord parce que, dans une rivière limpide et à fond pur, l’ablette y serait excellente, comme le sont, soit dit en passant, le chevesne et la vandoise ; ensuite et surtout parce que, pour un pêcheur à la mouche, c’est un poisson de sport ...

Certes ce n’est pas du « tout gros », et il n’est pas besoin de fréter un bateau spécial ni de faire venir des spécialistes américains pour nous initier. Non ! Mais, pour un lanceur de mouches, il y a à apprendre en péchant l’ablette. Elle n’est pas farouche. Point n’est besoin de se cacher ni de s’agenouiller pour placer sur son nez la minuscule petite mouche qui lui convient. Pour le vieux que je suis, à qui d’ailleurs, même quand il était souple, les courbettes n’ont jamais été de son goût, fût-ce à la pêche, ce n’est pas désagréable ... Elle ne fuit pas éperdument à votre vue comme le chevesne et la truite, et vous pouvez même, sans trop exagérer cependant, lancer votre mouche un peu n’importe comment dans le milieu de la bande sans les faire fuir instantanément. Si, après vos efforts, l’ablette s’éloigne, ce n’est jamais pour longtemps : elle ne tarde pas à revenir.

Ne croyez pas que cela suffise pour la prendre. On peut voir l’ablette en surface à toute heure du jour, à peu près par n’importe quel temps. Mais c’est surtout au milieu du jour et le soir, pendant les dernières heures de la journée, surtout au crépuscule, qu’elle moucheronne partout. En dehors de ces heures favorites, elle affectionne quelques places spéciales : confluents de petits ruisseaux, débouchés quelconques de canaux d’irrigation ou autres, parties mortes de la rivière en bordure de courant, etc. ...

Comme tous les poissons de surface, c’est en plein soleil qu’il est difficile de la prendre, surtout si, à quelques centimètres de la surface, elle n’est pas en gobage. La mouche n’est pas plus tôt posée qu’elle y saute dessus, et vous ferrez ... à vide, même si vous êtes habitué au chevesne et à la vandoise. L’ablette est encore plus difficile ... Ferrer une truite est un jeu d’enfant à côté de ferrer une ablette ! Tout se passe à peu près comme si l’ablette jouait avec vous, ou comme lorsque les chevesnes et les vandoises « tapent à noyer », avec cette différence que l’on ne prend pas les chevesnes et les vandoises parce qu’ils ne gobent pas la mouche et que, pour l’ablette, on arrive trop tard. Il se peut aussi que la forme du bec de l’ablette y soit pour quelque chose : la lèvre inférieure étant proéminente. Pour réussir, il faut poser et ferrer simultanément avec un poignet délicat et souple ...

Si la mouche se noie, si même elle dérive parfaitement sans sillage en descendant le courant, elle est dédaignée. Si vous êtes habitué aux finesses du relâcher, vous les aurez aussi en faisant un tout petit relâché, automatiquement suivi du ferrage aussitôt que la mouche touche l’eau. C’est un jeu d’adresse, mais un jeu qui demande un poignet cassé, brisé, prompt, souple et délicat. Vous comprenez maintenant pourquoi c’est du sport. Il faut que tout — main, canne, ligne, mouche — soit équilibré.

La mouche doit être très petite, hameçon 17, 16 au plus, monté sur 14 ou 16/l00e. Ainsi monté, ferrer rapidement, instantanément, provoque régulièrement la casse si le poignet est tant soit peu brutal et la canne trop dure. Si vous ferrez du bras, vous raterez la touche parce que vous arriverez trop tard et, si vous réussissez une fois sur dix à piquer l’ablette, elle vous emportera la ou les mouches à peu près sûrement.

C’est un entraînement, une virtuosité et, lorsque elle est acquise, c’est vraiment un plaisir sportif : lancer délicat, tout petit relâché gracieux, ferrage instantané à peine indiqué, frétillement de l’ablette prise, le tout en douceur, élégance et facilité ... pour ceux qui vous regardent !

Mais, si vous ne parvenez pas à cette maîtrise et que vous vouliez tout de même prendre des ablettes sans casse, voici comment opérer.

Attendez l’heure, un peu avant le crépuscule, où les ablettes moucheronnent tout en surface, quand on les voit en rangs serrés sortir le bout de leur petit museau — c’est le moment où les blacks les chassent — et pêchez en mouche glissée. Lancez sur le tas, au large, et ramenez les mouches en travers (pas en remontant ni en descendant) du courant, vers la rive, lentement : vous ferez souvent des doublés et ne casserez jamais, étant inutile de ferrer : elles se prennent seules ....

Le choix de la mouche est le côté le plus facile. N’importe quelle mouche à ombre ou n’importe quelle petite araignée montée sur hameçon 17 ou 16 avec collerette à poils très courts est bonne. J’ai très bien réussi avec une toute petite chenille corps noir hackle noir, hameçon 17, montée avec une petite plume d’aigrette de vanneau (éviter les grandes plumes, elles ont les barbules trop longues). N’importe quelle petite plume de tête de coq noir sera aussi bonne.

N. B. — On peut monter ces mouches sur hameçon à palette numéro 14, faute d’hameçons à œillet, toujours rares.

P.CARRÈRE.

Le Chasseur Français N°622 Octobre 1948 Page 210