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Grande culture

Améliorations foncières

La commune rurale dans laquelle j’habite verra terminer le 15 septembre les opérations du remembrement territorial et, avec elle, deux communes contiguës ; le groupe a été ainsi constitué parce que les exploitations de deux d’entre elles débordent largement sur la troisième et qu’il fallait faire un travail complet. À vrai dire, les esprits étaient préparés à cette opération, l’arrangement était déjà la règle entre fermiers : il fallait régulariser et surtout amener les propriétaires à accepter le remaniement.

Au cours des séances des commissions de travail, prenant progressivement connaissance des avant-projets des géomètres opérant sous la direction des services du génie rural, des observations ont été présentées, et le nombre de réclamations de la dernière heure soumises à la commission départementale qui entérinera l’ensemble est insignifiant. Le coût des travaux n’est pas encore connu, mais il sera infime par rapport aux bienfaits qui vont découler de cette mise en ordre.

Les parcelles à cultiver sont de plus grandes dimensions : moins de pertes de temps, des sillons plus longs, la possibilité de faire circuler un matériel agricole à vitesse accélérée, à largeur de train plus large ; par conséquent, réduction des frais de production ramenés à l’unité obtenue. Une meilleure organisation générale des cultures, des assolements plus rationnels : les avantages ont été maintes fois exposés pour qu’il soit inutile d’insister. En outre, il faut mentionner un remaniement partiel des chemins ruraux, des rectifications, des suppressions, des créations. Un progrès sérieux va être ainsi marqué. Il faut s’en réjouir et espérer un regain de fidélité à la terre de la part de ceux qui seraient lassés d’éparpiller leurs efforts aux quatre coins d’un territoire communal, morcelé à l’infini.

L’avenir est donc chargé de promesses, mais j’ai le souvenir d’une objection que fit un jour devant moi un haut fonctionnaire. Mettre au point une exploitation à la mesure du présent est fort bien, mais c’est cristalliser cette exploitation dans un cadre que la vie fera éclater. La vie, c’est l’évolution de la famille ; elle grandit, devient plus exigeante parce que les enfants travaillent ; elle tend à se rétrécir lorsque les aînés vont s’installer ailleurs ; le drame peut naître si les moyens sont insuffisants pour que l’essaimage ait lieu et, à ce moment, le besoin de division peut renaître avec toutes ses conséquences. Alors interviendraient d’autres formules plus souples : les noyaux correspondant aux bases familiales, les extensions, sorte de masses de manœuvres qui pourraient — n’étant constituées que par des terres — être adjointes aux bases de départ. Conceptions dont l’intérêt n’est pas niable, qui s’éloignent de l’idée de propriété absolue, transmissible, fécondable sous l’inspiration purement familiale. N’allons pas plus loin dans cette voie ; nul ne peut avoir la prétention de fixer l’organisation des choses humaines pour l’éternité ; contentons-nous des présents de l’heure, tout en ayant conscience, évidemment, d’un certain nombre de données permanentes que les âges assouplissent suivant les circonstances.

Il reste du remembrement, de la constitution de parcelles culturales viables, des avantages qui doivent aboutir à une production meilleure se soldant par un prix de revient plus bas. On en arrive ainsi à un ensemble de conceptions qui dépassent le souci quotidien. Le cultivateur dans la formule ordinaire de son travail, partant de notions plus ou moins ordonnées dans son système de culture, décide de consacrer des étendues variables à ses cultures, réservant à la prairie permanente une proportion également variable du terrain total dont il dispose. Là-dessus viennent les travaux ordinaires suivant le rythme des saisons, les aménagements de chaque production végétale ou animale. Finalement, réserve faite des besoins directs ou indirects de l’exploitation pour les hommes ou pour les animaux transformateurs, il sort des marchandises de tous genres, qui vont rejoindre ce que les autres exploitations ont produit.

La balance des comptes s’établit alors ; les importations et les exportations jouent à leur tour, et l’on confronte la part de chacun avec le désir, notion qu’il faut de plus en plus superposer à la notion du besoin. C’est ainsi que les vieux pays, dont la population croit lentement lorsqu’elle ne tend pas à rester stationnaire, ne sont plus satisfaits ; c’est ainsi — et la question est plus grave — que des pays peuplés, mais dont le peuplement augmente avec un taux singulier d’accroissement, que des pays dont les besoins ne sont pas du tout satisfaits veulent, réclament, proclament leur droit à la vie, et l’on s’aperçoit que la production agricole réalise des progrès trop lents, que l’augmentation des denrées tirées du sol doit être accélérée.

Il faut, à ce moment, procéder d’urgence à l’amélioration des fonds ; il n’est plus possible de se contenter de faibles rendements : le bond sérieux est indispensable. Telle terre fertile passera de 30 à 35, à 40 quintaux de blé ; telle terre infertile devra progresser plus sensiblement, et toujours en utilisant les méthodes de travail, en réalisant les aménagements de base indispensables. Le remembrement s’inscrit dans ces formules de nécessité, mais il faut songer aux millions d’hectares qui ne fournissent pas beaucoup de produits parce qu’ils sont trop humides ; l’eau stagne, l’eau refroidit, l’eau retarde, l’eau contribue à rendre le milieu malsain pour les plantes et pour les animaux ; abaisser le plan d’eau, évacuer les eaux en excès, tel est le problème capital. Ailleurs, la sécheresse entrave tout : l’eau est le facteur limitant des récoltes ; il importe de l’amener, de la capter, de la dériver, de la répartir, de la rendre bienfaisante : encore de grands travaux, des sommes formidables à investir. Belle utilisation, ma foi, des capitaux qui ont peur, des capitaux qui se terrent contre le bonheur de l’humanité.

Certes, en France, on soupçonne qu’il existe ainsi des sources de richesses ; se rend-on suffisamment compte des magnifiques résultats qui seraient la conséquence d’un affairement sérieux. L’autre jour, on magnifiait l’effort de Génissiat ; combien d’autres entreprises moins spectaculaires sans doute, mais également utiles, ne seraient pas à mettre sur pied. Le travail, l’épargne, moyens fabuleux que l’on veut remettre en honneur, moyens qui ont fait nos cités, nos richesses historiques, tout simplement arrêté les sables et fixé la dune, créé ces hortillonnages dans les canaux desquels se reflète la flèche d’Amiens. Un petit peu tous les jours et chez tous, et l’on respirera mieux. C’est l’automne, ensemençons, mais songeons aussi à ensemencer mieux et plus largement.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°622 Octobre 1948 Page 221