L’auteur des lignes qui suivent a habité pendant
longtemps aux États-Unis. Son origine terrienne l’a poussé à observer de très
près la vie et les travaux des paysans d’Amérique. Il nous a paru intéressant
de publier ses notes concernant les méthodes adoptées pour résoudre
l’importante question de l’alimentation du bétail.
Aux États-Unis, peu de prairies de fauche, beaucoup de
fourrage ; parmi ces fourrages, la luzerne représente 80 p. 100 de la
surface fourragère. Chacun sait, en France, ce que représente la main-d’œuvre
dépensée pour couper, sécher et engranger nos foins et nos fourrages. Beaucoup
d’entre nous n’osant pas en établir le véritable prix de revient. Il peut donc
être utile de signaler l’état de la question aux États-Unis et de donner
quelques indications sur ce qui se prépare dans un avenir très prochain.
Examinons donc ce qui se passe en ce moment dans une petite
ferme de 50 hectares, moyennement outillée.
Les prairies sont fauchées au tracteur traînant une
faucheuse, ou plutôt avec tracteur combiné portant la lame de la faucheuse.
Quand le foin est sec, le tracteur s’attelle au train de
matériel suivant : une râteleuse oblique, un chariot, une chargeuse. La
râteleuse met le foin en ligne, la chargeuse le ramasse en fin de convoi et le
charge automatiquement sur le chariot par un plan incliné à dents. Quand le
chariot est plein, on le décroche, il part à la ferme et est remplacé par un
autre.
Ce dispositif, qui n’emploie qu’un homme et quelquefois
deux, est déjà suranné.
Plus souvent, le foin est repris par l’arrière et pressé en
balles pendant la marche ; il en est de même quelquefois de la paille,
quand le fermier ne la brûle pas sur place.
Pour les fourrages ou luzernes, on ne procède jamais au
séchage ; le relevage automatique sur chariot se fait en même temps que la
fauche, et la luzerne part verte pour la ferme, où elle est ensilée.
Tout cela sera suranné d’ici deux ou trois ans grâce aux
travaux de l’Université de Madison, qui a terminé ses essais et dont le
matériel, conçu et dessiné par son personnel, est en cours de production dans
plusieurs usines américaines.
Qu’il s’agisse de prairies, ou de fourrages, ou de
légumineuses, le travail sera le même et se présentera comme suit :
— La faucheuse combinée coupe.
— L’herbe ou la luzerne coupée est reprise sur un tapis
roulant qui la conduit à un découpeur à lames réglables, qui la sectionne en
petits brins de cinq à huit centimètres de longueur.
— Les produits ainsi découpés sont automatiquement
chargés sur le chariot accroché à l’arrière.
— Quand le chariot est plein, il part pour la ferme, où
il est déversé dans la machine à ensiler.
— Un seul homme peut manœuvrer l’ensemble.
Je me promets de garder un contact étroit avec l’Université
de Madison, dont les créations peuvent être particulièrement utiles à nos
cultivateurs français.
Alimentation du bétail.
— Dans toutes mes visites de fermes, dans plus de
trente États, j’ai acquis la certitude que le cultivateur ordinaire nourrit son
bétail dans des conditions que nous ignorons très généralement en Europe, sauf
de très rares exceptions, peut-être, au Danemark, en Hollande et chez des
éleveurs spécialisés en France.
Cela n’est pas dû non plus à la supériorité du fermier
américain sur le fermier français ou européen. Si on s’engageait sur ce terrain,
on pourrait très facilement démontrer la supériorité générale de l’Européen.
Cette supériorité évidente des méthodes américaines tient à deux phénomènes
précis :
— Le fermier est en contact permanent avec l’Université
et il a confiance en elle.
— L’Université ne cesse d’étudier les questions
d’alimentation et elle est constamment à la disposition du fermier.
La conséquence immédiate de ce double état de choses est que
le fermier exécute ponctuellement ce que lui commande l’Université et il ne
pousse jamais ses préoccupations au delà de cette obédience directe.
Au point de vue concret, cet ensemble m’a frappé dès le
début de mes visites par cette constatation que je n’ai jamais trouvé une
étable où on donnait aux animaux un aliment naturel produit sur la ferme, tel
que maïs, avoine, orge, etc. Les aliments étaient toujours préparés sous la
forme d’une nourriture broyée, livrée en sacs. Chaque sac comporte un
numérotage et une étiquette indiquant la composition de la nourriture.
Ces mélanges sont préparés dans le voisinage, dans des
installations coopératives, le plus généralement, et absolument conformes aux
indications de l’Université. Chaque mélange numéroté, indiqué sur l’étiquette,
comporte toutes les indications désirables en pourcentage de protéine, amidon,
vitamines, cellulose, phosphate, chaux, mélasses, etc. Cela est vrai pour tous
les animaux : vaches, porcs, volailles, dindons ; c’est un peu moins
fréquent pour les chevaux.
Les installations coopératives qui préparent ces aliments
correspondent généralement à une production journalière de deux cents à trois
cents tonnes, et l’Université vérifie régulièrement l’exactitude des
proportions alimentaires de leurs mélanges.
Il est nécessaire, au surplus, de connaître le soin avec
lequel ces mélanges ont été étudiés et sont distribués pour obtenir le meilleur
rendement en lait, en viande ou en œufs.
Prenons les bêtes à corne et, avec la certitude d’en
oublier, je rapporte la documentation de nombreuses nourritures différentes,
s’échelonnant à peu près comme suit :
— nourriture du veau de tout jeune âge ;
— nourriture du veau en sevrage ;
— nourriture du veau sevré ;
— nourriture du vélard ;
— nourriture de la vache en stabulation ;
— nourriture de la vache en demi-stabulation ;
— nourriture de la vache en pâture ;
— nourriture de la vache en gestation ;
— nourriture de la vache en lactation.
Il en est de même pour les porcs à tous les âges et pour la
volaille et les dindons à tous les âges. Les résultats pratiques sont
extraordinaires, et le fermier américain se donne bien moins de mal que le
cultivateur français. Son seul travail consiste à utiliser la nourriture d’un
sac portant un numérotage convenable.
Toutes ces nourritures ainsi préparées coûtent à peu près le
même prix, qui ressort en moyenne à 4 cents au maximum par livre, soit
2 francs la livre, plus généralement 1 fr. 50.
Le premier groupe d’agriculteurs français qui, en
coopérative ou autrement, organisera dans son intérêt une économie de ce genre
en retirera un profit considérable et constituera un exemple que tous les
autres voudront suivre.
Paul NÉGRIER.
|