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Le chauffage au bois

Les foyers français ont connu bien des vicissitudes depuis la guerre ; les combustibles leur ont longtemps fait défaut. Si les perspectives d’approvisionnement semblent meilleures, ce n’est pas sans appréhension que les ménagères étudient les tarifs et essaient d’établir leur budget pour l’hiver prochain.

La vie domestique est cependant liée à cette question. La maison est, avant tout, le foyer, c’est-à-dire la source de chaleur qui permet le chauffage des locaux et la cuisson des aliments.

Triste conception et conception triste que celle des modernes buildings dont les murs nus ne s’ornent d’aucune cheminée, et dont l’habitant perçoit une chaleur tarifée durant une période limitée. Que vienne à se tarir la source commune, et c’est le froid qui gagne de pièce en pièce, d’étage en étage, sans qu’il soit possible d’utiliser de moyen de chauffage, même de fortune. Les habitants des villes en ont assez souffert durant les années de guerre pour que nous demandions aux architectes de laisser subsister, à côté des conceptions les plus perfectionnées du chauffage central, un moyen de réchauffer l’atmosphère au gré des habitants.

Ce moyen n’est pas unique. Il varie d’un pays à l’autre, s’adaptant au combustible employé : il est âtre, ou cheminée, ou poêle. Il est humble et bas, ou royal et monumental. Il est de briques ou de pierres, de fonte ou de céramique, sombre ou brillant, simple ou armorié. Mais son entretien veut dire permanence de la vie familiale, et son rayonnement dispense à tous joie et chaleur.

Combien de Français ont raisonné et pesé l’étroite dépendance qui lie le type de chauffage au terroir et, en définitive, à la nature du bois produit localement ? Le spécialiste de la géographie humaine qu’est Pierre Deffontaines l’a suffisamment prouvée pour que nous nous contentions de la rappeler ici.

Pourquoi, au XXe siècle, parler encore du chauffage au bois, procédé désuet, à mauvais rendement calorifique, etc. ? C’est qu’il n’est guère possible de parler du traitement des forêts françaises sans examiner l’incidence des besoins en bois de feu sur l’économie générale.

On a parlé de la mévente des bois de feu. Cette crise a été réelle vers les années 1935 ; elle a fait place, au cours de la dernière décade, à une crise inverse. Nous examinerons successivement l’évolution qui s’est produite pour l’habitant des villes et pour celui des campagnes. La consommation de bois de chauffage à Paris était chiffrée à 2 stères par tête d’habitant en 1800. Le Parisien de 1943 aurait été bien aise de se voir allouer une quantité équivalente. Mais les possibilités d’approvisionnement des habitants des villes étaient tombées aux environs de 0st,50, inférieures par conséquent aux quantités dont disposait le Parisien de 1850, qui brûlait 0st,70 de bois de chauffage, mais recevait déjà une large attribution de charbon.

Dès que les répartitions de charbon domestique ont été appréciables, le bois de chauffage a cédé la place, et sa consommation ira en diminuant en raison de l’amélioration de la distribution du gaz et de l’électricité.

En ville, le bois de feu pour le chauffage et plus encore pour la cuisson des aliments entraîne une foule de sujétions (dépôt en bûches sur le trottoir, sciage et fendage, emmagasinage, montage de la cave aux étages, etc.) qui n’apparaissent pas dans les campagnes.

La consommation rurale n’a guère été modifiée par l’évolution économique et industrielle du XIXe siècle. L’usage du bois de feu, qui se perpétue depuis les premières ordonnances forestières, garantit aux ruraux un approvisionnement de base.

Cet approvisionnement alloué sur le fonds commun est complété par les ressources de la propriété même : arbres de haies, boqueteaux et vergers.

Il n’était pas question de réduire, durant les années de disette, les attributions officielles des ruraux dans la même proportion que pour les urbains. Et si certaines communes situées au milieu de grandes régions agricoles ont été difficilement approvisionnées, les dotations ne sont guère tombées au-dessous de un stère par habitant ; encore faut-il ajouter à ces quantités les ressources non contrôlées, dont l’apport était appréciable.

Et maintenant que les conditions s’améliorent, que le gaz comprimé parvient aux ruraux en bouteilles, les bois de feu doivent-ils connaître une nouvelle mévente ?

La demande en bois de boulange et en bois à carboniser diminuera progressivement, en raison des installations et des appareillages plus économiques et à meilleur rendement que permet le mazout, par exemple.

Mais le bois de chauffage restera longtemps encore le combustible par excellence des foyers ruraux. Ceux-ci englobent près de moitié de la population du pays ; en admettant le chiffre très modéré de 5 millions de foyers ruraux, et une consommation moyenne de 10 stères par an, la production officielle de 30 millions de stères résultant des déclarations statistiques serait largement dépassée.

La consommation tendra à la fois à augmenter du fait des besoins nouveaux nés de l’amélioration des conditions de vie (cuisinières à accumulateurs d’eau chaude, chauffage central au bois), et à diminuer du fait de l’amélioration du rendement des appareils de chauffage modernisés. D’où un certain équilibre dans les chiffres qui reviendront au niveau d’avant guerre.

Qu’en conclure pour le sylviculteur ? Dans une de nos premières causeries, le taillis et le taillis sous futaie ont mérité un désaveu sur lequel nous ne revenons pas. En tant que mode de traitement, la futaie doit leur être préférée. Mais la futaie elle-même produit des bois de feu (petits bois d’éclaircies, houppiers, sous-bois), et l’évolution progressive des taillis sous futaie vers les futaies feuillues garantit pour longtemps encore une production assez élevée de bois de feu.

Cependant l’emploi des bois de feu est lié à une question de prix de revient. Pour fournir la même quantité de chaleur, il faut quatre fois plus de bois que de houille, en poids. Le kilo de bois scié et fendu en petites bûches revient en ville à 3 francs, alors que le kilo de houille coûte 6 à 7 francs. La comparaison des chiffres : 12 francs de bois contre 6 francs de houille, pose exactement les données du problème. Si l’on peut réduire les prix de revient, notamment par l’utilisation d’engins mécaniques pour l’abatage, le façonnage et le débardage, le bois ne sera pas abandonné. D’ailleurs, la recherche systématique de beaux rondins, parfaitement cylindriques, faciles à empiler et à fendre, comme ceux produits par le taillis, est rendue moins nécessaire par l’utilisation de chaudières à grande capacité et absorbant les bois les plus contournés en longues bûches. Le bois de branches retrouvera une faveur ignorée.

De même, le pouvoir calorifique des bois résineux sera utilisé dans des fours à récupération perfectionnés dans de meilleures conditions que dans des poêles trop simples.

Sous ces réserves, il y a encore une part à faire au bois de chauffage dans notre économie, alors même que l’évolution de la sylviculture aura réduit la trop large place occupée par le taillis et le taillis sous futaie et amélioré la proportion des catégories de produits récoltés.

Le chauffage au bois ne peut disparaître dans un pays qui est essentiellement rural, dont les traditions restent attachées au foyer et dont les habitants aiment à suivre des yeux les fantaisies de la flamme pour égayer leur âme et réchauffer leur cœur.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°622 Octobre 1948 Page 224