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Le phonographe de l'avenir

Disque ou fil magnétique ?

La machine parlante à disques assure désormais des résultats absolument remarquables. Elle est devenue un véritable instrument de musique mécanique, mais présente encore des inconvénients d’ordre technique et pratique. Les disques de phonographe en matière plastique moulée demeurent fragiles et assez encombrants, difficiles à manipuler, et, comme leur diamètre ne peut excéder une trentaine de centimètres, ils ne permettent pas normalement des auditions continues d’une durée supérieure à quelques minutes. Les aiguilles de reproduction s’usent relativement vite et permettent seulement la reproduction de quelques faces ; le frottement de la pointe sur le sillon détermine, d’autre part, la production d’un grattement particulier, dit bruit d’aiguille, ou bruit de surface, plus ou moins gênant, et une usure relativement rapide.

Le remplacement de l’aiguille en acier par une aiguille dite semi-permanente, à pointe très dure en saphir, évite les remplacements fréquents, mais ne supprime pas, bien au contraire, l’usure des sillons.

Depuis longtemps, on a eu l’idée de remplacer le disque par un ruban ou un fil se déplaçant à une vitesse uniforme devant le système inscripteur et permettant des enregistrements de longue durée. Cependant, les méthodes d’enregistrement sur ruban ou sur film par un procédé électro-mécanique n’avaient pas permis d’obtenir des résultats très satisfaisants, du moins sans employer des machines professionnelles complexes et coûteuses. L’application d’un nouveau procédé d’inscription et de reproduction des sons, dont le principe était connu depuis longtemps, mais qui n’avait pu être employé pratiquement jusqu’en 1939, a maintenant changé les conditions du problème.

L’origine du procédé remonte à 1898, et sa découverte est due au technicien danois Wlademar Poulsen. Dans la machine initiale, l’enregistrement était obtenu à l’aide d’un microphone monté dans le circuit d’un bobinage d’électro-aimant, avec une batterie d’alimentation de piles ou d’accumulateurs en série. Devant le noyau de cet électro-aimant, on faisait défiler à une vitesse uniforme, de l’ordre de un mètre à la seconde, un fil d’acier (métal magnétique), et l’action magnétique variable produite par l’électro-aimant déterminait dans la masse du fil des variations d’aimantation en correspondance avec les vibrations acoustiques de la plaque du microphone. Cette aimantation se maintenait dans le fil et constituait l’enregistrement magnétique.

En faisant défiler ensuite le fil à une vitesse uniforme, identique à celle de l’enregistrement, devant le même noyau de l’électro-aimant, dont le bobinage était relié cette fois à un écouteur téléphonique, il se produisait dans ce bobinage des courants variables à fréquence musicale, en correspondance avec les variations d’aimantation du fil ; l’écouteur téléphonique était actionné et assurait la reproduction des sons.

De plus, en faisant passer le fil enregistré devant un autre électro-aimant dont le bobinage était parcouru par un courant continu assez intense, on pouvait effacer, en quelque sorte, l’enregistrement primitif, et le fil pouvait servir à nouveau comme un support vierge ; cette opération d’effacement pouvait être renouvelée à volonté.

Les inconvénients de ce procédé étaient cependant plus nombreux et plus graves qu’on ne le croyait à première vue. Le fil d’acier, analogue à une corde de piano, était d’un diamètre trop gros ; il était d’une souplesse insuffisante et cassant ; sa réparation était très difficile. Il devait être entraîné à une vitesse trop élevée, de sorte que la durée d’enregistrement était assez limitée, si l’on ne voulait pas employer des bobines de grand diamètre, et surtout la conservation de l’enregistrement, c’est-à-dire l’effet d’aimantation rémanente, n’avait pas une durée suffisante, supérieure à quelques mois, et la qualité de l’inscription sonore était très défectueuse.

Après des essais qui avaient seulement attiré l’attention des spécialistes et la curiosité du public, l’appareil primitif de Poulsen était considéré comme un instrument de laboratoire.

Les recherches entreprises pendant la guerre en Allemagne et aux États-Unis, dans des buts, d’ailleurs, plus spécialement militaires, ont amené une transformation complète des méthodes initiales. L’inscription sonore est désormais effectuée sur un fil d’alliage d’acier particulier, au ferro-nickel par exemple, et d’un diamètre extrêmement réduit, de l’ordre du 1/10 de millimètre seulement ; la vitesse de déroulement a pu être très réduite, et elle est de l’ordre de 40 centimètres à la seconde, par exemple, ce qui permet d’obtenir, avec une petite bobine de fil de quelques centimètres de diamètre, que l’on peut mettre en poche, un enregistrement permettant un enregistrement continu de plus d’une heure. Au lieu du fil d’acier, on peut également utiliser un ruban de 6 millimètres de largeur environ, en matière souple, telle que l’acétate de cellulose, ou même le papier, recouvert d’une couche très mince de matière magnétique constituée par de la poudre d’oxyde magnétique à grains extrêmement fins, d’une dimension de l’ordre du micron, c’est-à-dire du 1/1000 de millimètre, et agglomérés à l’aide d’un produit liant. Ce ruban est facilement coupé et collé sans aucun inconvénient, ce qui permet de modifier à volonté l’enregistrement initial ; avec une bobine de quelques centimètres de diamètre, on peut également obtenir une audition d’une demi-heure, ou même d’une heure.

La qualité musicale de l’enregistrement a, d’autre part, été améliorée et peut même dépasser celle de l’inscription phonographique. Grâce à de nouvelles méthodes d’inscription et à l’emploi des procédés radioélectriques réalisés avec des amplificateurs à lampes de T. S. F., le bruit de fond a pu être presque complètement supprimé.

Il existe, dès à présent, des machines magnétiques ou magnétophones, de fabrication américaine, ou même française, à fil magnétique ou à ruban, employées dans tous les cas où il est utile d’obtenir un enregistrement rapide des sons : dictée pour la dactylographie, études artistiques, musicales, théâtrales ou littéraires, pour l’artiste, l’orateur, le comédien, pour l’amateur de musique, de théâtre ou de reportage, pour la documentation ou l’enseignement. Cette nouvelle méthode d’enregistrement peut également transformer la technique du cinématographe sonore ; elle va permettre d’établir des films sonores avec un enduit magnétique sur lequel sera effectuée l’inscription des sons, et les amateurs de films réduits eux-mêmes pourront sonoriser facilement leurs prises de vues animées.

Le fil magnétique est-il destiné à remplacer complètement le disque phonographique habituel, dans un avenir plus ou moins lointain ? La question n’est pas seulement d’ordre technique, mais également industriel et commercial. Il y a déjà des millions d’enregistrements phonographiques réalisés par les plus grands artistes du globe ; pour établir des filmathèques, il faudrait donc d’abord prévoir la retraduction de ces enregistrements sur fil ou sur ruban, ce qui exigerait une entente préalable avec les éditeurs de disques et une nouvelle organisation industrielle et commerciale. Cette organisation sera probablement réalisée dans un avenir plus ou moins lointain.

Même avec les prévisions les plus optimistes, il est probable que le fil ou le ruban magnétique ne remplacera pas complètement le disque. Il sera surtout apprécié pour permettre des auditions de longue durée, symphonies, opéras, pièces de théâtre, musique de danse ininterrompue ; son intérêt est évidemment moins évident pour les auditions courtes de monologues, morceaux de danses ou de chants, etc., et il est difficile de concevoir encore des machines magnétiques aussi simples et aussi peu coûteuses qu’un phonographe ordinaire muni d’un moteur à ressort et réalisé sous la forme portative.

P. HÉMARDINQUER.

Le Chasseur Français N°622 Octobre 1948 Page 237