Depuis qu’il y a des hommes et qu’ils chassent pour arriver
à s’emparer de l’objet de leur désir, ils ont observé les élans naturels des
animaux et ont établi quelques méthodes basées sur certaines remarques
personnelles.
Passons en revue aujourd’hui quelques réactions dont on
trouve l’explication dans la curiosité, la haine, l’amour, l’insouciance devant
d’autres animaux, la faim ou la gastronomie, la recherche de la compagnie.
Sans doute y a-t-il d’autres particularités dans la nature
des bêtes dites sauvages qui les incitent à s’aventurer aveuglément près de
l’homme ; aussi bien, la liste des attitudes ci-dessus n’est-elle pas
limitative.
La curiosité.
— Les chasseurs des Dombes, exploitant la
curiosité des canards, font sauter un chien couleur renard en bordure de
marais. Les canards viennent lentement se rendre compte de l’attitude bizarre
du chien renard ; piqués de curiosité, ils le survolent et se font tirer
par le chasseur à l’affût.
D’après les observations notées par Joseph Oberthür au cours
d’une journée de chasse au Mont Saint-Michel, ce n’est pas la couleur du renard
roux, mais les gestes anormaux du chien qui incitent les canards à se
rapprocher des chasseurs. Un jeune garçon avait vu se poser une bande d’oies
bernaches cravants trop loin pour être tirées utilement. Le garçon se mit à
ramper, à se contorsionner le long du rivage. Parfois il tournait le dos au
gibier, parfois il revenait vers la rive, mais sans s’en éloigner.
Intriguées, quelques bernaches firent un petit vol pour se
rendre compte de ce qui se passait. D’autres les suivirent et bientôt se mirent
à piéter sur la rive pour voir de plus près l’animal extraordinaire.
Lorsque les oies se rapprochaient, le garçon rampait vers
elles quelques mètres, puis faisait mine de s’éloigner. Les oies poursuivaient
leur approche ; subitement, elles se mirent à courir bec tendu vers
l’homme rampant, qui, les voyant à portée, leur lâcha les deux coups de son
calibre 12. Il ramassa huit bernaches cravants.
Ici, ce n’était pas la couleur du renard ou du chien, mais
les manœuvres étonnantes d’un pseudo-serpent de mer qui avaient incité les oies
à se rapprocher du phénomène pour en comprendre les attitudes ... L’homme
avait « badiné » les oies bernaches comme le chien sauteur des Dombes
l’avait fait lui-même ... Curiosité.
La haine.
— C’est elle qui incite les oiseaux, buses,
éperviers, pies, geais à plonger sur le grand duc vivant ou empaillé et à
prolonger souvent leurs attaques jusqu’au coup de fusil du chasseur, qui doit
se mettre à l’affût en ayant soin de se rendre parfaitement invisible, car les
rapaces ont la vue claire. Les résultats des chasses au grand duc, lorsque le
leurre est bien placé et l’affût bien monté, sont parfois très intéressants.
J’ai vu un de mes amis faire un tableau d’une trentaine de pièces variées à la
lisière d’un bois en quelques heures d’affût.
La chasse de l’alouette au miroir ? Doit-on la mettre
sur le compte de la haine que certains petits oiseaux portent aux faucons et
éperviers ?
Les facettes brillantes, lorsqu’elles tournent, ne
ressemblent-elles pas à un épervier voletant en saint Esprit ? J’ai vu
bien souvent des faucons et des buses poursuivis par des bandes d’hirondelles,
par des corbeaux, par des pies ou des geais, et, dans la poursuite, le faucon
jouait souvent le rôle de lâche. Je ne doute pas que les petites alouettes
seraient assez courageuses pour attaquer l’épervier.
Mais je pense qu’en ce cas, c’est plutôt l’attraction éblouissante
du miroir sans forme que le miroir épervier qui les attire.
L’insouciance.
— L’insouciance des oiseaux et des animaux en
général vis-à-vis des bêtes avec lesquelles ils ont l’habitude de vivre est
aussi certaine. Vous marchez à l’approche des vanneaux et des grues derrière un
cheval ou un bœuf dressé au manège et vous ne vous découvrez que lorsque vous
êtes à portée, sous la protection coupable de votre animal domestique.
La faim ... ou la gastronomie.
— La faim ou la gastronomie est un élément qui peut
attirer les animaux près du fusil meurtrier. L’agrainage est évidemment un
attrait puissant qui peut être le dernier et succulent repas du pauvre oiseau.
L’amour.
— En 1935, j’ai assisté en Alsace à une chasse
au brocard à l’appeau. Un garde imitait magnifiquement le bêlement tendre de la
chèvre amoureuse. J’ai admiré là une chose merveilleuse. Sur un terrain presque
dénudé, mes yeux scrutaient les endroits d’où pourrait venir le brocard. Mes
yeux s’exorbitaient ; rien. Soudain, sans que j’aie rien vu de son
approche, le brocard s’est dressé à quelques pas de moi comme sorti d’une boîte
à surprise, la tête haute, orgueilleux et conquérant. Il cherche la chèvre des
yeux ... Je me redresse, il bondit dans le fourré qui se trouve derrière
moi. Je ne l’ai pas tiré. J’avais la possibilité de le tirer au moment où,
immobile, il me présentait une cible immanquable. J’avais observé ce que je
voulais, j’avais ma récompense. N’est-ce pas aussi un chant d’amour qui attire
les cailles dans le filet du chasseur (?) au moment de la caille
verte ? Cette chasse horriblement braconnière est pratiquée assez
couramment dans le Sud-Ouest de la France et dans bien d’autres
régions ... Sur un coup de sifflet de trois notes, au moment des amours,
le mâle arrive comme un fou, sans s’occuper de rien, à 20 centimètres du
braconnier, qui, avec son filet à la manière de l’épervier, coiffe l’oiseau.
Voilà ce que c’est que l’amour aveugle.
La chasse au grand tétras.
— La chasse au grand tétras présente aussi une
particularité pendant la période des amours. De fin mars au début de mai, avant
le lever du soleil il fournit au chasseur la forte émotion de son approche.
J’ai lu dans l’almanach Prisma de la chasse les lignes suivantes :
« Le chant du coq, avant le lever du jour, n’est pas étourdissant, comme
l’écrivent en général les auteurs qui ne l’ont jamais entendu. À son réveil, le
grand coq de bruyère est loin de faire autant de bruit qu’un coq faisan qui se
branche. Son chant commence par un claquement suivi de trilles et se termine
par un aiguisement pendant lequel le coq est absolument sourd, ce qui favorise
les bonds successifs que doit faire le chasseur pour l’approcher.
Au moment où l’aiguisement s’éteint et où le grand tétras
reprend ses sens, le chasseur s’arrête net. Lorsque l’aiguisement reprend, un
nouveau bond du chasseur. C’est peut-être le dernier ... Dans ces moments
de vocalise amoureuse, souvent le grand tétras meurt victime de sa surdité
momentanée.
La recherche de la compagnie.
— Enfin, l’attirance qu’ont les canards et les
bêtes en général vers ceux qui sont de même famille qu’eux est un fait certain.
Parmi les procédés de chasse les plus usités, on peut noter les chasses de
marais et de mer et celles des colombidés. Tous connaissent le rôle des
appelants vivants, qui est un exemple bien typique. Dans certains endroits ils
sont remplacés par des canards en bois groupés en masse et placés à distance de
tir. Ceux-ci imitent à s’y méprendre les canards vivants, à tel point qu’il
m’est arrivé au marais d’admirer l’approche de chasseurs sur mes bois paisibles.
Ils lâchaient un premier coup. Très surpris de ne pas voir l’envolée brutale,
ils comprenaient leur erreur, — à ma grande joie, je dois l’avouer, et
aussi à la grande satisfaction des canards en bois qui philosophiquement
continuaient, pauvres leurres, à se balancer sur les flots. On a fabriqué aussi
des appeaux qui imitent le cri de la cane sauvage, mais le cri de celle-ci est
très difficile à rendre exactement, aussi vaut-il mieux laisser les canes
d’appel remplir leur rôle naturel. Lorsqu’ils cherchent la compagnie, les
oiseaux de mer se posent très volontiers près des leurres qui, sur la grève,
donnent l’aspect des courlis, des barges ou des petites de mer.
Dans les Dombes, on dresse les appelants volants à prendre
l’essor lorsqu’une bande de canards se présente en bout de mare. Les appelants
prennent la tête de la bande et la font descendre près des chasseurs, où les
vrais sauvages sont bien reçus, je vous prie de le croire.
Je cite aussi les palombes, dont la chasse fructueuse au
moment des passages ne peut se pratiquer qu’avec des appeaux vivants montés sur
une raquette et qu’une ficelle relie à la cabane de garde. Le vol arrive, les
appeaux se mettent à voleter comme s’ils étaient heureux de bien recevoir les
nouvelles palombes de leur famille. Celles-ci prennent le vent et viennent se
poser en planant sur les pins et sur les chênes de la chasse.
Voilà quelques tendances qui incitent les bêtes sauvages à
venir aveuglément se faire tirer par le chasseur lorsque celui-ci sait profiter
de leurs faiblesses. Mais s’agit-il ici de faiblesse ? Toutes les bêtes
sont dominées par des influences de nature et de caractère auxquelles il leur
est, depuis bien longtemps, impossible d’échapper.
Jean DE WITT.
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