Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°623 Décembre 1948  > Page 242 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Les réactions du gibier

Depuis qu’il y a des hommes et qu’ils chassent pour arriver à s’emparer de l’objet de leur désir, ils ont observé les élans naturels des animaux et ont établi quelques méthodes basées sur certaines remarques personnelles.

Passons en revue aujourd’hui quelques réactions dont on trouve l’explication dans la curiosité, la haine, l’amour, l’insouciance devant d’autres animaux, la faim ou la gastronomie, la recherche de la compagnie.

Sans doute y a-t-il d’autres particularités dans la nature des bêtes dites sauvages qui les incitent à s’aventurer aveuglément près de l’homme ; aussi bien, la liste des attitudes ci-dessus n’est-elle pas limitative.

La curiosité.

— Les chasseurs des Dombes, exploitant la curiosité des canards, font sauter un chien couleur renard en bordure de marais. Les canards viennent lentement se rendre compte de l’attitude bizarre du chien renard ; piqués de curiosité, ils le survolent et se font tirer par le chasseur à l’affût.

D’après les observations notées par Joseph Oberthür au cours d’une journée de chasse au Mont Saint-Michel, ce n’est pas la couleur du renard roux, mais les gestes anormaux du chien qui incitent les canards à se rapprocher des chasseurs. Un jeune garçon avait vu se poser une bande d’oies bernaches cravants trop loin pour être tirées utilement. Le garçon se mit à ramper, à se contorsionner le long du rivage. Parfois il tournait le dos au gibier, parfois il revenait vers la rive, mais sans s’en éloigner.

Intriguées, quelques bernaches firent un petit vol pour se rendre compte de ce qui se passait. D’autres les suivirent et bientôt se mirent à piéter sur la rive pour voir de plus près l’animal extraordinaire.

Lorsque les oies se rapprochaient, le garçon rampait vers elles quelques mètres, puis faisait mine de s’éloigner. Les oies poursuivaient leur approche ; subitement, elles se mirent à courir bec tendu vers l’homme rampant, qui, les voyant à portée, leur lâcha les deux coups de son calibre 12. Il ramassa huit bernaches cravants.

Ici, ce n’était pas la couleur du renard ou du chien, mais les manœuvres étonnantes d’un pseudo-serpent de mer qui avaient incité les oies à se rapprocher du phénomène pour en comprendre les attitudes ... L’homme avait « badiné » les oies bernaches comme le chien sauteur des Dombes l’avait fait lui-même ... Curiosité.

La haine.

— C’est elle qui incite les oiseaux, buses, éperviers, pies, geais à plonger sur le grand duc vivant ou empaillé et à prolonger souvent leurs attaques jusqu’au coup de fusil du chasseur, qui doit se mettre à l’affût en ayant soin de se rendre parfaitement invisible, car les rapaces ont la vue claire. Les résultats des chasses au grand duc, lorsque le leurre est bien placé et l’affût bien monté, sont parfois très intéressants. J’ai vu un de mes amis faire un tableau d’une trentaine de pièces variées à la lisière d’un bois en quelques heures d’affût.

La chasse de l’alouette au miroir ? Doit-on la mettre sur le compte de la haine que certains petits oiseaux portent aux faucons et éperviers ?

Les facettes brillantes, lorsqu’elles tournent, ne ressemblent-elles pas à un épervier voletant en saint Esprit ? J’ai vu bien souvent des faucons et des buses poursuivis par des bandes d’hirondelles, par des corbeaux, par des pies ou des geais, et, dans la poursuite, le faucon jouait souvent le rôle de lâche. Je ne doute pas que les petites alouettes seraient assez courageuses pour attaquer l’épervier.

Mais je pense qu’en ce cas, c’est plutôt l’attraction éblouissante du miroir sans forme que le miroir épervier qui les attire.

L’insouciance.

— L’insouciance des oiseaux et des animaux en général vis-à-vis des bêtes avec lesquelles ils ont l’habitude de vivre est aussi certaine. Vous marchez à l’approche des vanneaux et des grues derrière un cheval ou un bœuf dressé au manège et vous ne vous découvrez que lorsque vous êtes à portée, sous la protection coupable de votre animal domestique.

La faim ... ou la gastronomie.

— La faim ou la gastronomie est un élément qui peut attirer les animaux près du fusil meurtrier. L’agrainage est évidemment un attrait puissant qui peut être le dernier et succulent repas du pauvre oiseau.

L’amour.

— En 1935, j’ai assisté en Alsace à une chasse au brocard à l’appeau. Un garde imitait magnifiquement le bêlement tendre de la chèvre amoureuse. J’ai admiré là une chose merveilleuse. Sur un terrain presque dénudé, mes yeux scrutaient les endroits d’où pourrait venir le brocard. Mes yeux s’exorbitaient ; rien. Soudain, sans que j’aie rien vu de son approche, le brocard s’est dressé à quelques pas de moi comme sorti d’une boîte à surprise, la tête haute, orgueilleux et conquérant. Il cherche la chèvre des yeux ... Je me redresse, il bondit dans le fourré qui se trouve derrière moi. Je ne l’ai pas tiré. J’avais la possibilité de le tirer au moment où, immobile, il me présentait une cible immanquable. J’avais observé ce que je voulais, j’avais ma récompense. N’est-ce pas aussi un chant d’amour qui attire les cailles dans le filet du chasseur (?) au moment de la caille verte ? Cette chasse horriblement braconnière est pratiquée assez couramment dans le Sud-Ouest de la France et dans bien d’autres régions ... Sur un coup de sifflet de trois notes, au moment des amours, le mâle arrive comme un fou, sans s’occuper de rien, à 20 centimètres du braconnier, qui, avec son filet à la manière de l’épervier, coiffe l’oiseau. Voilà ce que c’est que l’amour aveugle.

La chasse au grand tétras.

— La chasse au grand tétras présente aussi une particularité pendant la période des amours. De fin mars au début de mai, avant le lever du soleil il fournit au chasseur la forte émotion de son approche. J’ai lu dans l’almanach Prisma de la chasse les lignes suivantes : « Le chant du coq, avant le lever du jour, n’est pas étourdissant, comme l’écrivent en général les auteurs qui ne l’ont jamais entendu. À son réveil, le grand coq de bruyère est loin de faire autant de bruit qu’un coq faisan qui se branche. Son chant commence par un claquement suivi de trilles et se termine par un aiguisement pendant lequel le coq est absolument sourd, ce qui favorise les bonds successifs que doit faire le chasseur pour l’approcher.

Au moment où l’aiguisement s’éteint et où le grand tétras reprend ses sens, le chasseur s’arrête net. Lorsque l’aiguisement reprend, un nouveau bond du chasseur. C’est peut-être le dernier ... Dans ces moments de vocalise amoureuse, souvent le grand tétras meurt victime de sa surdité momentanée.

La recherche de la compagnie.

— Enfin, l’attirance qu’ont les canards et les bêtes en général vers ceux qui sont de même famille qu’eux est un fait certain. Parmi les procédés de chasse les plus usités, on peut noter les chasses de marais et de mer et celles des colombidés. Tous connaissent le rôle des appelants vivants, qui est un exemple bien typique. Dans certains endroits ils sont remplacés par des canards en bois groupés en masse et placés à distance de tir. Ceux-ci imitent à s’y méprendre les canards vivants, à tel point qu’il m’est arrivé au marais d’admirer l’approche de chasseurs sur mes bois paisibles. Ils lâchaient un premier coup. Très surpris de ne pas voir l’envolée brutale, ils comprenaient leur erreur, — à ma grande joie, je dois l’avouer, et aussi à la grande satisfaction des canards en bois qui philosophiquement continuaient, pauvres leurres, à se balancer sur les flots. On a fabriqué aussi des appeaux qui imitent le cri de la cane sauvage, mais le cri de celle-ci est très difficile à rendre exactement, aussi vaut-il mieux laisser les canes d’appel remplir leur rôle naturel. Lorsqu’ils cherchent la compagnie, les oiseaux de mer se posent très volontiers près des leurres qui, sur la grève, donnent l’aspect des courlis, des barges ou des petites de mer.

Dans les Dombes, on dresse les appelants volants à prendre l’essor lorsqu’une bande de canards se présente en bout de mare. Les appelants prennent la tête de la bande et la font descendre près des chasseurs, où les vrais sauvages sont bien reçus, je vous prie de le croire.

Je cite aussi les palombes, dont la chasse fructueuse au moment des passages ne peut se pratiquer qu’avec des appeaux vivants montés sur une raquette et qu’une ficelle relie à la cabane de garde. Le vol arrive, les appeaux se mettent à voleter comme s’ils étaient heureux de bien recevoir les nouvelles palombes de leur famille. Celles-ci prennent le vent et viennent se poser en planant sur les pins et sur les chênes de la chasse.

Voilà quelques tendances qui incitent les bêtes sauvages à venir aveuglément se faire tirer par le chasseur lorsque celui-ci sait profiter de leurs faiblesses. Mais s’agit-il ici de faiblesse ? Toutes les bêtes sont dominées par des influences de nature et de caractère auxquelles il leur est, depuis bien longtemps, impossible d’échapper.

Jean DE WITT.

Le Chasseur Français N°623 Décembre 1948 Page 242