Elle s’annonçait sous d’heureux auspices, la saison de
chasse actuelle : augmentation sensible des emblavures par rapport à la
superficie consacrée les années précédentes aux semailles de céréales,
spécialement de blé ; retard dû en maintes régions à la sécheresse du
début du printemps pour la pousse des prairies artificielles, ce qui incitait
les couples de perdrix à nicher de préférence dans les blés, seigles et
escourgeons.
Notons aussi les efforts méritoires de nombreux chasseurs
ruraux pour préserver les couvées lors des fauchaisons. À cet égard, j’ai pu
constater dans la plaine poitevine le sauvetage de plusieurs nids de caille et
vérifier l’admirable instinct de la couveuse pour le transport des œufs en un
proche abri. Une fois l’attelage stoppé, puis détourné, grâce à la vigilance de
jeunes chasseurs conduisant la faucheuse, la caille roulait un par un tous ses
œufs avec son aile, sur vingt mètres de dégarni, jusqu’à un champ de céréales
voisin ; or l’œuf de caille n’est pas un atome, il mesure 35 millimètres
de longueur sur 22 à 23 de diamètre maximum ; son balayage, c’est le terme
qui convient, au travers des ressauts du terrain, représente de la part de la
mère une lourde tâche, répétée douze à quinze fois sans faiblir.
L’abondance d’un charmant gibier, que nos pères prisaient à
bon escient, la réalisation de copieux tableaux de cailles auraient à coup sûr
récompensé de tels actes si, du 20 au 25 août, une saute de vent vers le
nord-est, avec température plus fraîche, n’avait mis sur l’aile une partie des
cailles dont nous escomptions le maintien dans les remises qui ne manquaient
nulle part. La tourterelle avait imité la caille, comme dans la chanson. Par
bonheur, la « gente perdrix » nous restait avec, en dépit d’un début
d’exode, suffisamment de cailles pour meubler tableaux et rôtissoires.
Avec plaisir on remarquait, en bien des endroits, un plus
fort contingent de perdrix grises que l’an passé. Certes les rouges n’avaient
pas déserté nos départements du Centre où elles tendaient naguère à prédominer.
Mais on levait de belles compagnies de grises, se défendant bien par la fraîche
matinée du 5 septembre, date de l’ouverture générale dans les
cinquante-quatre départements qui ne sont ni méridionaux ou alpins, ni d’Alsace
ou de Lorraine.
Il est permis de regretter que l’ouverture n’ait pas été
fixée huit jours plus tôt à la limite de la zone méridionale pour englober dans
cette zone la Charente et la Charente-Maritime, entre autres régions à cailles
plus qu’à perdrix.
Quoi qu’il en soit, faut-il voir dans le net accroissement
des perdrix grises en 1948 le résultat de précautions mieux observées quant à
l’emploi des sels d’arsenic utilisés contre le doryphore, notamment du
dangereux arséniate de plomb ? Je l’espère, car, vraiment, on avait trop
tendance à forcer la dose, ce qui rendait quelque peu illusoires les
expériences relatives à l’innocuité de tels produits.
Donc l’ouverture s’annonçait bien un peu partout, sauf dans
certaines zones de l’Est où des pluies diluviennes avaient sévi durant l’été.
Ces pluies, hélas ! ont fait rage toute la journée du 5 septembre sur
bien des points tels que la Sologne ; la Beauce, la Brie : c’était à
ne mettre dehors ni chiens ni chasseurs. Écoutez ce que m’écrit un jeune
agronome, en stage dans une commune solognote aux confins du Cher, du
Loir-et-Cher et du Loiret : « L’ouverture fut très mauvaise en raison
du temps exécrable ; de plus, le faisan n’ouvrant que le 26, il n’y avait,
en fait, à tirer que le lapin, car lièvres et perdreaux sont plutôt rares. »
La commune dont il s’agit renferme de vastes terrains de chasse riches en
faisans ; l’élevage y a repris ses droits ; les grillages,
indispensables pour la protection des cultures et des plantations contre le
lapin, éloignent les lièvres. Mais il ne faut pas juger un pays sur une
commune : il reste en Sologne de belles chasses de perdreaux où grises et
rouges alternent dans les terres comme dans les taillis. Ailleurs, en Brie
notamment et dans la région parisienne, les lièvres s’étaient maintenus.
L’année ne semble pas leur avoir été contraire, non plus qu’aux lapins, sur
l’ensemble du territoire.
Quant au gibier d’eau, je puis assurer qu’à l’ouverture de
la mi-juillet sur les étangs les halbrans volaient haut et vite.
Enfin, dans les vastes plaines on voyait de loin, lors des
chasses de septembre, de fortes bandes de canepetières laissant ça et là des
oiseaux isolés ou jeunes et, de ce fait, abordables. Coup de fusil qui compte
dans les tablettes du nemrod le plus blasé.
Autre sujet de satisfaction, concernant cette fois les
amateurs de menu gibier : l’abondance des alises, au moins dans l’Ouest,
ce qui attire toujours et retient les grives gourmandes après leur cure de
raisin. Pourquoi faut-il que le prix des cartouches refrène la passion des
chasseurs de grives et prohibe ou presque le tir de l’alouette au miroir ?
Passons d’un extrême à l’autre, de la mauviette au
chevreuil. Une restriction sévère découle de l’arrêté ministériel en date du 17 juin
1948 : la chasse à la chevrette est prohibée toute l’année, au même titre
que celle de la biche et du daguet. Que cette mesure s’avère indispensable dans
les forêts appauvries en chevreuils, j’en conviens volontiers. Mais je la
trouve peu opportune en des massifs forestiers tels que ceux de l’Allier et des
Deux-Sèvres, par exemple, où brocards et chèvres sont en nombre plus que
suffisant. Il va falloir y regarder de près dans les chasses d’automne et
d’hiver aux chiens courants pour « laisser passer Madame ». À Nancy,
au début du siècle présent, il était de règle, dans la plupart des sociétés
d’actionnaires, de ne pas tirer les chevrettes ; une amende sanctionnait
tout manquement. Nous tournions la difficulté en ne tirant jamais, dans un
couple, que le second chevreuil, qui, d’ordinaire, est le brocard. Je donne ce
moyen pour ce qu’il vaut.
Enfin nous pouvons applaudir, comme l’an dernier, à la
limitation de certaines chasses de montagne ; sous réserve toutefois que
ces fermetures anticipées ne profiteront pas qu’aux seuls indésirables faisant
litière des règlements.
Chacun sait combien le gardiennage en montagne exige de
soins et d’endurance. Avons-nous le personnel nécessaire ? Je le souhaite
sans en être assuré. Et si j’ajoute à ce vœu, d’autant plus désintéressé qu’il
émane d’un chasseur de plaine, le souhait de la reprise des bonnes réunions
d’antan, reprise qui s’affirme d’année en année, nous conviendrons, n’est-ce
pas, que la saison 1948 n’aura pas été trop défavorable pour la majorité des
disciples de saint Hubert.
Pierre SALVAT.
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