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Choix et utilisation du chien d'arrêt

Nos races nationales disparaissent

La disparition plus ou moins larvée de nos vieilles races nationales étant un fait (1), essayons d’en rechercher les causes. La disparition de certaines est un phénomène d’ordre naturel ; le braque Charles X, le grand braque français, le braque d’Ariège, chiens lourds et encombrants, qui avaient surtout l’avantage de pister merveilleusement la caille avec patience, devaient céder le pas à des chiens plus pratiques au siècle de l’automobile, en même temps que la raréfaction des gibiers, des cailles notamment, incitait les chasseurs à renoncer à se spécialiser sur l’un d’eux. De même, le barbet, presque exclusivement chien d’eau, s’est vu abandonné pour un chien plus apte aux diverses chasses.

La raréfaction des autres races françaises ne s’explique pas par ces mêmes raisons : elles sont mieux aptes à chasser tous gibiers, et leur encombrement ne dépasse pas celui d’un setter, pour les diverses races d’épagneuls (Picard, Bleu de Picardie, Pont-Audemer, Français), ou reste au-dessous de celui d’un pointer (braques divers, autres que ceux susdits). Le volume réduit de l’épagneul breton est pour beaucoup dans son succès au détriment des autres races ; mais’ il ne suffit pas à l’expliquer, puisque ce chien a éprouvé le besoin de se transformer lui-même en cessant d’être un vrai continental pour devenir un demi-sang anglais et qu’il en fait son auréole.

C’est donc la formule même du chien continental qui est en cause ; on l’abandonne pour adopter la formule anglaise ou une formule intermédiaire.

Or qu’est-ce que la formule anglaise ? La baser seulement sur le facteur « nez » serait faux. Un chien doit avoir le nez de sa fonction et de son allure. Que le pointer ait un nez généralement plus puissant que toute autre race, nul ne le contestera ; mais si, vu son allure, il n’était pas capable d’éventer le gibier de fort loin, il ne prendrait jamais aucun arrêt. Ce nez puissant est le complément indispensable de ses pattes. C’est donc de pattes qu’il s’agit : battre beaucoup de terrains dans le moins de temps possible, telle est, grossièrement, la formule. Mais elle ne va pas sans quelques détails : dressage spécial et impeccable, terrain approprié, mépris des haies, des recoins, des buissons, horreur du pistage, donc abandon des oiseaux démontés, donc méfiance du rapport et de certains gibiers. C’est la formule noble, artistique, spectaculaire et prometteuse d’émotions sublimes à ceux qui peuvent la pratiquer. Bref, c’est une formule : appelons-la formule no 1.

La formule continentale part d’un autre principe. Le chien doit rechercher le gibier, tout gibier, quel qu’il soit, en quelque endroit qu’il soit, en découvert, sous bois, caché sous un buisson, dans un fossé ou une haie ; il doit être « fouineur » et devenir rusé ; il dirige sa quête plus avec son « savoir », son intuition, son intelligence, que par une géométrie conventionnelle. Il doit retrouver et rapporter un gibier blessé, même et surtout s’il a piété et s’est réfugié en un endroit ignoré du chasseur, dût-il, pour cette besogne indispensable, et combien fertile en joies pour le maître, porter parfois le nez au niveau des herbes pour y cueillir le sentiment laissé par le gibier, plutôt que se fier à l’émanation, directe qui, chacun, le sait, disparaît souvent de la part d’un gibier blessé. Il doit « tenir le coup » par tous les temps et toute une journée dans des terrains variés. Il est donc évident que, pour un tel travail, ce chien ne doit pas chasser à la même vitesse que ceux de la formule no 1. Désigner ces chiens sous le vocable de « chiens à roulettes », c’est ignorer leur vraie fonction ou commettre une confusion avec ces chiens qui ne décollent pas des bottes du chasseur et qui peuvent servir de retriever, mais non de chercheur et d’annonciateur. Le chien continental idoine à ses fonctions chasse au trot alterné de petit galop, quête jusqu’à 50 mètres, inspecte tout, saisit l’émanation et coule à la distance utile pour assurer l’arrêt et permettre le tir. Muni d’un nez hypertrophié, un tel chien serait aussi insupportable qu’un pointer à nez court. Il ne faut d’ailleurs pas confondre « puissance » et « finesse » de l’odorat. Nanti d’une trop grande vitesse, tous ses autres moyens restant égaux, le chien continental mettrait souvent le gibier à l’essor sans ravoir assuré et laisserait bien du gibier tapi, caché, dont, au surplus, le sentiment peut être retenu. Bref, le continental répond à une formule différente de la première ; appelons-la formule no 2.

Entre ces deux conceptions du chien d’arrêt se trouve une troisième. C’est Korthals qui eut le premier l’idée de la concevoir et à qui revient l’honneur de l’avoir réalisée. Quand il eut mis au point le griffon d’arrêt à poil dur, fixé et régénéré par ses méthodes propres (entraînement et sélection) il déclara avoir voulu « créer le trait d’union entre le chien continental et les chiens anglais ». Il fut suivi, plus près de nous, par les rénovateurs de l’épagneul breton, par une méthode différente (infusion directe de sang-anglais). Cette formule veut un chien rapide, à quête étendue, prenant l’émanation directe, rapportant le gibier tué raide, mais proscrit aujourd’hui le pistage et donc la recherche du blessé. Elle tend de nos jours à accorder plus de prix à l’arrêt de longueur, fut-il plus spectaculaire qu’utile, qu’à l’arrêt rapproché coulé sous le fusil. Elle est mise en valeur par les field-trials de printemps sur couples de perdreaux fuyards, dont l’arrêt, la plupart du temps inservable, a plus de prix qu’un arrêt de lapin ou de lièvre tirable. On en voit la raison dans le but de mettre en valeur les grands nez ; mais c’est au prix de l’abandon de ce qui fait la raison d’être du chien continental. Ce moyen devient une fin ; ce n’est certainement pas ce qu’ont voulu Korthals et ses imitateurs ; Korthals organisait des épreuves de pistage et ses chiens chassaient tout, depuis la caille jusqu’au chevreuil en passant par le chat sauvage et le renard. Mais, déformée ou non, cette formule intermédiaire, excellente dans son principe, existe en marge des deux autres et groupe authentiquement le griffon à poil dur et l’épagneul breton.

Certes, il ne faut pas prendre les définitions ci-dessus strictement à la lettre, et il est des sujets dans chacune de ces formules qui, par tempérament ou par adaptation, côtoient la formule voisine ; on en connaît en toutes races ; mais l’exception ne fait et ne doit faire règle, chaque formule répond à une spécialité, un concept différent, car tous les goûts et les besoins ont le droit d’être satisfaits. Or c’est parce que ce point de vue n’est pas celui de certains « responsables » qui n’admettent plus la formule continentale que celle-ci est condamnée à mort et on la tue artificiellement ; nous verrons ultérieurement comment.

J. CASTAING.

(1) Voir Le Chasseur Français d’octobre 1948.

Le Chasseur Français N°623 Décembre 1948 Page 254