Dans ces quelques pages, je n’ai pas la prétention de donner
des conseils aux grands spécialistes de la pêche à la truite, à ces champions
du lancer léger ou de la mouche artificielle que l’on rencontre au bord de nos
rivières, armés de pied en cap, et dont quelques-uns font penser à Tartarin
partant chasser le lion. Je m’adresse particulièrement à cette foule de petits
pêcheurs de campagne qui ont le bonheur de posséder près d’eux un de ces petits
cours d’eau où la truite est plus ou moins abondante, qu’il s’agisse d’un
rapide ruisseau de montagne, à l’eau presque toujours claire, coupé de
nombreuses chutes, de gués et de trous, au lit encombré et bordé de
rochers ; ou d’un ruisseau de plaine, souvent assez profond, au courant
parfois très faible, au lit rempli de roseaux et de buissons, aux berges
presque toujours bordées de vieux saules dont les racines plongeant dans l’eau
fournissent aux truites d’excellents refuges.
À ces modestes pêcheurs, qui ne connaissent le plus souvent
que la pêche au ver de terre, par eau trouble, et qui abandonnent leur gaule
sous leur remise dès que l’eau redevient limpide parce qu’ils pensent qu’il n’y
a plus rien à faire, je dis : « Détrompez-vous ! Il n’est point
nécessaire de posséder un attirail luxueux et coûteux pour pêcher la truite par
eau claire ; vous en prendrez, si vous voulez, même pendant les périodes
de sécheresse, avec un matériel des plus rudimentaires. Il suffira, pour cela,
de prendre certaines précautions. »
Je ne parlerai pas de la pêche à l’asticot, interdite avec
raison dans de nombreux départements, qui permet aux pêcheurs peu scrupuleux de
prendre en quelques heures un nombre considérable de truites de toutes
dimensions. Je laisserai de côté également la pêche au ver de terre, que tout
le monde connaît à la campagne, et qui est pratiquée avec plus ou moins de
bonheur, surtout par eau trouble. En été, après un orage, quand l’eau devient
tout à coup jaunâtre, il est toujours possible de prendre une truite, même avec
un bas de ligne énorme. Il n’en est pas de même lorsque l’eau est claire,
limpide comme du cristal, au printemps ou pendant les grandes chaleurs de
l’été, surtout lorsque le ruisseau n’a presque plus d’eau. C’est à ce moment
qu’il est presque abandonné du plus grand nombre des pêcheurs ; c’est pourtant
à cette période de l’année que l’on peut réussir les plus belles pêches.
Pêche au ver d’eau.
Dans notre région, on désigne ainsi les larves des
phryganes, connues également des pêcheurs sous le nom de : porte-bois,
ramasse-bois, traîne-bûche, etc. Choisissez de préférence celles qui
s’enveloppent de sable ou de minuscules graviers ; elles se logent
habituellement sous les pierres et sont d’une belle couleur jaune.
Dès les premiers beaux jours du printemps, quand le lit et
les berges du ruisseau commencent à se couvrir de ces larves, cette pêche donne
déjà d’excellents résultats. Mais c’est surtout à partir de la fin d’avril et
durant tout l’été que vous pourrez la pratiquer avec de grandes chances de
succès.
Matériel.
— Le matériel est des plus simples. Une gaule, de
préférence en bambou, plus ou moins grande selon la largeur du ruisseau ;
trois bouts de lm,50 suffiront presque toujours. Le scion, toujours
en bambou, sera assez fin, mais très nerveux. Le corps de ligne sera constitué
par quelques mètres de forte soie, si possible de très bonne qualité, que vous
pourrez utiliser durant plusieurs années. Le bas de ligne se composera de deux
morceaux de gut de chacun 60 à 80 centimètres environ, réunis à l’aide de
boucles (le nylon est, en ce moment, ce que l’on fait de meilleur) : le
premier très fort (3 kg. au minimum), muni d’une boucle à sa partie
inférieure, pourra être utilisé assez longtemps ; le second, plus fin (1kg,500
à 2 kg.), portera une boucle à sa partie supérieure et devra être remplacé
fréquemment. Comme hameçon, un no 10 droit, à longue tige
(genre Infaillible).
Je ne conseille pas aux pêcheurs de prendre, pour ce genre
de pêche, des bas de ligne plus fins, car, lorsque la truite est en appétit,
elle n’y regarde pas de si près ; au contraire, si elle ne veut rien
savoir, un bas de ligne plus fin, même très fin, n’y changera pas grand’chose.
Et si vous pêchez dans un ruisseau encombré de branches ou de pierres, vous
casserez si fréquemment que vous serez bientôt fatigué de remplacer votre
hameçon. Sans compter que vous aurez peu de chances de sortir une grosse pièce
— à moins que vous ne soyez un pêcheur de grande classe ! — qui
vous surprendra lorsque vous vous y attendrez le moins et disparaîtra avec
votre hameçon après une jolie pirouette. Ce n’est pas dans la finesse du bas de
ligne qu’il faut chercher le succès, car vous irez souvent à l’encontre du but
poursuivi ; c’est dans la façon de pêcher. C’est ce que je m’efforcerai de
vous montrer tout à l’heure.
Si le courant est rapide, deux plombs de moyenne grosseur,
espacés de 1 centimètre, placés à 15 centimètres de l’hameçon,
suffiront presque toujours ; si le courant est très faible, ou à peu près
nul, pas de plombs du tout. Il vaut beaucoup mieux que l’amorce descende
doucement, naturellement au fil de l’eau, que rapidement vers le fond, car
cette descente trop brusque de la larve met le poisson en méfiance.
L’épuisette n’est pas indispensable, surtout si les rives
sont basses, l’eau facilement accessible et si vous avez du sang-froid ;
dans le cas contraire, il est prudent de s’en munir, surtout si le cours d’eau
possède de grosses truites, comme c’est souvent le cas des ruisseaux de plaine.
Manière de pêcher.
— La longueur de votre ligne étant réglée d’après celle
de votre gaule (environ les deux tiers), vous choisissez une belle larve bien
dorée, bien dodue, que vous fixez délicatement à votre hameçon, soit par
l’articulation de la tête, soit par le dernier anneau de l’abdomen, mais
toujours en ayant soin de ne pas abîmer la larve, afin qu’elle bouge le plus
longtemps possible. Puis, avec de grandes précautions, vous approchez du cours
d’eau. C’est ici le point essentiel, sur lequel je ne saurais trop insister.
Car la truite est un poisson excessivement sauvage, que le moindre bruit, le
moindre mouvement font disparaître à jamais, ou tout au moins s’enfuir sans
vous laisser aucune chance de le capturer. Si vous marchez lourdement sur la
rive, avec aux pieds de gros souliers ferrés, vous verrez fuir devant vous,
vers l’amont ou vers l’aval, une multitude de truites de toutes tailles ;
si vous vous arrêtez, peut-être quelques-unes s’arrêteront aussi ; mais il
vous sera bien difficile, sinon impossible, de les prendre, car elles ne sont
pas encore remises de leur émoi. Il en sera tout autrement si vous ne
cherchez pas à voir les truites que vous pêchez. Vous allez donc marcher le
plus doucement possible ; en été, chaussez-vous d’espadrilles si vous ne
risquez pas de vous mouiller les pieds ; ne mettez pas d’habits trop
voyants : je n’irai pas jusqu’à vous recommander le costume couleur
« feuille », mais n’allez pas arborer une chemise éclatante ou un
immense chapeau blanc ; et, surtout, restez le plus loin possible de la
rive. Cela vous sera très facile, si vous connaissez bien votre ruisseau,
ce qui vous permettra d’aborder tous les bons coups avec le maximum de
précautions, donc avec le maximum de chances. Si les truites n’ont pas deviné
votre présence, vous pourrez alors, caché derrière un arbre, un buisson ou de
hautes herbes, les observer et les voir évoluer en toute tranquillité, comme
dans un aquarium. L’une gobe tranquillement une mouche, un papillon ; une
autre pourchasse une bande de vairons ; une autre encore explore les
racines d’un saule, presque sous vos pieds. N’allez pas alors lancer lourdement
votre ligne au milieu du ruisseau, ou faire de brusques mouvements qui
détruiraient, en un instant, tout le fruit de vos efforts. Inutile
d’« attaquer » celles qui sont sur l’autre rive ; laissez tout
doucement glisser votre ligne dans l’eau, près de la berge, devant une souche,
une grosse pierre, une racine ou un banc d’herbes. Si une truite est là, en
embuscade, presque toujours elle montera à la rencontre de votre amorce,
qu’elle gobera sans méfiance ... et vous la prendrez comme vous voudrez.
Mais ne vous hâtez pas de ferrer ; laissez-la avaler votre amorce ;
prenez le temps de compter jusqu’à trois, bien tranquillement, et vous l’aurez.
Si vous ne voyez rien, si le ruisseau vous paraît désert,
cela ne veut pas dire qu’il l’est, et la prudence est toujours à conseiller. Si
vous avez exploré la berge de votre côté sans succès, laissez descendre votre
ligne devant tout ce qui peut servir de cachette aux truites, en ayant toujours
bien soin de vous cacher le plus possible et de vous tenir loin de la rive.
Car, si une truite sort brusquement d’un trou pour gober votre appât et vous
aperçoit, elle y rentrera encore plus vite et n’en sortira plus avant
longtemps.
Mais, allez-vous me dire, comment prendre un poisson qu’on
ne voit pas mordre, si on ne voit même pas le bas de ligne ? Il vous
arrivera quelquefois d’en prendre sans rien voir, ni sentir ... Mais le
plus souvent, vous verrez le corps de votre ligne prendre une direction
imprévue, et surtout, vous sentirez le poisson mordre : une légère
secousse, un léger « toc » qui ne trompe pas, quand on en a
l’habitude.
Et puis, voici un procédé bien connu des pêcheurs, qui donne
toujours les meilleurs résultats, et qui « aide » les truites à
mordre, quand elles ne sont pas en appétit. Quand votre amorce est descendue au
fond de l’eau, soit le long de la berge, devant une souche, un buisson, ou en
bas d’un courant, vous la relevez sans brusquerie. Ce mouvement fait tourner
votre amorce à la façon d’une cuillère et produit sur le poisson un attrait
irrésistible. C’est à ce moment précis que la truite, qui croit que sa proie
lui échappe, s’élance pour gober votre appât, et, alors, vous sentirez aussitôt
le fameux « toc » tant attendu. Vous n’aurez qu’à compter jusqu’à
trois et ferrer sans brutalité.
Marius BÉGUIN.
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