Depuis le Jamboree — qui, rappelons-le, s’est tenu en
août, l’année dernière, près de Paris, — les effectifs du scoutisme
français ont sensiblement baissé. Ce fait peut surprendre ... Pourtant
cette régression quantitative est généralement constatée après les
rassemblements mondiaux d’éclaireurs, dans les pays qui les reçoivent.
L’explication paraît être la suivante : un certain nombre de garçons
demeurent dans leurs associations pour profiter du grand événement, alors
qu’ils s’en seraient détachés en temps normal. Et ils s’en vont une fois le
grand camp terminé ...
Ce léger recul numérique n’inquiète pas les dirigeants du
scoutisme français, bien au contraire. À la Libération, et déjà pendant
l’occupation allemande, un gonflement trop rapide des groupes s’était produit.
Le scoutisme était devenu une mode. Dans beaucoup de milieux, surtout
bourgeois, il était de bon ton d’être scout. On devine les inconvénients de
cette extension : les chefs, débordés, devenaient moins exigeants, et le
scoutisme s’affadissait. Dans son succès, celui-ci pouvait trouver sa
perte ...
Aussi est-ce vers un retour à la qualité que portent
maintenant les efforts des commissaires nationaux. La plupart des groupements
de jeunesse ayant emprunté au scoutisme ses techniques, et presque son uniforme
et ses insignes, ce n’est que par sa valeur éducative que celui-ci peut
conserver son originalité et même sa raison d’être. Il faut que le mouvement
éclaireur, en s’appuyant sur sa promesse et sur sa loi, forme de plus en plus
des jeunes possédant des qualités de caractère et pouvant être pris en exemple
par les autres jeunes.
Ceci ne veut pas dire que le scoutisme ne doive pas veiller
à l’intérêt de ses activités, qui sont le support indispensable de toute
éducation. Le scoutisme est un « mouvement », et il doit évoluer avec
les préoccupations de l’époque. Certes, il doit souvent remonter à la pensée de
son fondateur. Les grandes idées de Baden-Powell, y compris le souci du contact
avec la nature, n’ont pas à être révisées. On trouve dans ses livres des
préoccupations qui conservent une valeur éternelle, parce qu’elles sont
remarquablement moulées sur la nature même des garçons et des filles. Mais
vouloir toujours se référer aux ouvrages de Baden-Powell serait faire preuve
d’une grande naïveté, pour ne pas dire d’une méconnaissance parfaite de
l’esprit véritable du grand pédagogue. Il désirait profondément que sa méthode
fût adaptée selon les lieux et les moments : c’est sans doute pourquoi il
y a des scouts dans tous les pays, et depuis 1908. C’est aussi la raison pour
laquelle, chaque année, les associations scoutes, notamment dans notre pays,
s’appliquent à donner à leurs adhérents des directives d’actualité. Par
exemple, en 1948, les revues d’éclaireurs entretiennent la curiosité de leurs
lecteurs sur le progrès scientifique et font des découvertes les plus récentes
le thème de jeux et d’enquêtes.
Une des branches du scoutisme où l’évolution semble le plus
nécessaire est celle des routiers, âgés de seize à vingt et un ans. On a fait à
ceux-ci, et souvent à juste titre, le reproche de conserver trop facilement,
vis-à-vis du monde qui les entoure, le point de vue d’enfants jeunes. Or on ne
doit pas favoriser chez des adolescents cet isolement des contingences dans
lequel ils n’auraient que trop tendance à s’enfermer. D’autre part, il s’agit
de soutenir la « concurrence » avec tous les mouvements qui appellent
maintenant à eux les adolescents : mouvements politiques, confessionnels,
auberges de jeunesse. Cette année, des initiatives hardies ont été prises par
l’Équipe nationale des Éclaireurs de France. Pour attirer à elle de jeunes
apprentis et ouvriers, elle a opéré une coupure profonde avec la branche des
éclaireurs. Les jeux et les examens de débrouillardise font place, de plus en
plus, à des spécialisations de clan : régionalisme, art dramatique,
sport nautique, alpinisme, spéléologie, par exemple. Toute la presse a parlé de
l’exploit de ce groupe de routiers qui, au gouffre du Caladaïre, est descendu à
550 mètres de profondeur. D’autre part, la discipline devient fort
différente et permet des prises de responsabilités par tous.
Il n’est pas jusqu’à l’uniforme qui ne se soit trouvé
modifié. Déjà, depuis plusieurs années, les routiers ne portaient plus le
chapeau kaki à larges bords, mais le béret alpin. Désormais, tout au moins chez
les Éclaireurs de France, ils n’auront plus de foulard autour du cou, et, sauf
évidemment pour le camp, ils changeront leur culotte courte pour un pantalon de
golf bleu marine. Enfin des expériences fort intéressantes sont menées pour
établir le principe de la mixité. Cette idée paraîtra révolutionnaire à
beaucoup. On ne manquera pas de rappeler de malheureux incidents entre garçons
et filles réunis en d’autres circonstances. Pourtant la vérité est de ce côté,
et l’essai mené dans un bon climat moral donnera, nous en sommes persuadés,
d’excellents résultats.
En terminant, rappelons les réussites fort convaincantes de
l’adaptation faite actuellement des méthodes scoutes aux enfants malades,
infirmes et délinquants.
F. JOUBREL.
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