Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°623 Décembre 1948  > Page 263 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Évolution du scoutisme

Depuis le Jamboree — qui, rappelons-le, s’est tenu en août, l’année dernière, près de Paris, — les effectifs du scoutisme français ont sensiblement baissé. Ce fait peut surprendre ... Pourtant cette régression quantitative est généralement constatée après les rassemblements mondiaux d’éclaireurs, dans les pays qui les reçoivent. L’explication paraît être la suivante : un certain nombre de garçons demeurent dans leurs associations pour profiter du grand événement, alors qu’ils s’en seraient détachés en temps normal. Et ils s’en vont une fois le grand camp terminé ...

Ce léger recul numérique n’inquiète pas les dirigeants du scoutisme français, bien au contraire. À la Libération, et déjà pendant l’occupation allemande, un gonflement trop rapide des groupes s’était produit. Le scoutisme était devenu une mode. Dans beaucoup de milieux, surtout bourgeois, il était de bon ton d’être scout. On devine les inconvénients de cette extension : les chefs, débordés, devenaient moins exigeants, et le scoutisme s’affadissait. Dans son succès, celui-ci pouvait trouver sa perte ...

Aussi est-ce vers un retour à la qualité que portent maintenant les efforts des commissaires nationaux. La plupart des groupements de jeunesse ayant emprunté au scoutisme ses techniques, et presque son uniforme et ses insignes, ce n’est que par sa valeur éducative que celui-ci peut conserver son originalité et même sa raison d’être. Il faut que le mouvement éclaireur, en s’appuyant sur sa promesse et sur sa loi, forme de plus en plus des jeunes possédant des qualités de caractère et pouvant être pris en exemple par les autres jeunes.

Ceci ne veut pas dire que le scoutisme ne doive pas veiller à l’intérêt de ses activités, qui sont le support indispensable de toute éducation. Le scoutisme est un « mouvement », et il doit évoluer avec les préoccupations de l’époque. Certes, il doit souvent remonter à la pensée de son fondateur. Les grandes idées de Baden-Powell, y compris le souci du contact avec la nature, n’ont pas à être révisées. On trouve dans ses livres des préoccupations qui conservent une valeur éternelle, parce qu’elles sont remarquablement moulées sur la nature même des garçons et des filles. Mais vouloir toujours se référer aux ouvrages de Baden-Powell serait faire preuve d’une grande naïveté, pour ne pas dire d’une méconnaissance parfaite de l’esprit véritable du grand pédagogue. Il désirait profondément que sa méthode fût adaptée selon les lieux et les moments : c’est sans doute pourquoi il y a des scouts dans tous les pays, et depuis 1908. C’est aussi la raison pour laquelle, chaque année, les associations scoutes, notamment dans notre pays, s’appliquent à donner à leurs adhérents des directives d’actualité. Par exemple, en 1948, les revues d’éclaireurs entretiennent la curiosité de leurs lecteurs sur le progrès scientifique et font des découvertes les plus récentes le thème de jeux et d’enquêtes.

Une des branches du scoutisme où l’évolution semble le plus nécessaire est celle des routiers, âgés de seize à vingt et un ans. On a fait à ceux-ci, et souvent à juste titre, le reproche de conserver trop facilement, vis-à-vis du monde qui les entoure, le point de vue d’enfants jeunes. Or on ne doit pas favoriser chez des adolescents cet isolement des contingences dans lequel ils n’auraient que trop tendance à s’enfermer. D’autre part, il s’agit de soutenir la « concurrence » avec tous les mouvements qui appellent maintenant à eux les adolescents : mouvements politiques, confessionnels, auberges de jeunesse. Cette année, des initiatives hardies ont été prises par l’Équipe nationale des Éclaireurs de France. Pour attirer à elle de jeunes apprentis et ouvriers, elle a opéré une coupure profonde avec la branche des éclaireurs. Les jeux et les examens de débrouillardise font place, de plus en plus, à des spécialisations de clan : régionalisme, art dramatique, sport nautique, alpinisme, spéléologie, par exemple. Toute la presse a parlé de l’exploit de ce groupe de routiers qui, au gouffre du Caladaïre, est descendu à 550 mètres de profondeur. D’autre part, la discipline devient fort différente et permet des prises de responsabilités par tous.

Il n’est pas jusqu’à l’uniforme qui ne se soit trouvé modifié. Déjà, depuis plusieurs années, les routiers ne portaient plus le chapeau kaki à larges bords, mais le béret alpin. Désormais, tout au moins chez les Éclaireurs de France, ils n’auront plus de foulard autour du cou, et, sauf évidemment pour le camp, ils changeront leur culotte courte pour un pantalon de golf bleu marine. Enfin des expériences fort intéressantes sont menées pour établir le principe de la mixité. Cette idée paraîtra révolutionnaire à beaucoup. On ne manquera pas de rappeler de malheureux incidents entre garçons et filles réunis en d’autres circonstances. Pourtant la vérité est de ce côté, et l’essai mené dans un bon climat moral donnera, nous en sommes persuadés, d’excellents résultats.

En terminant, rappelons les réussites fort convaincantes de l’adaptation faite actuellement des méthodes scoutes aux enfants malades, infirmes et délinquants.

F. JOUBREL.

Le Chasseur Français N°623 Décembre 1948 Page 263