Dans les périodes de pénurie, comme celle que nous
connaissons depuis huit ans, la notion qualité s’estompe pour laisser toute la
place à la quantité, ce qui est normal puisqu’il faut satisfaire les besoins
essentiels. L’homme affamé pense d’abord à se nourrir n’importe comment et avec
n’importe quoi, et il ne songe à exercer un choix qu’au fur et à mesure que le
besoin de manger devient moins impérieux.
Ce phénomène naturel est accentué par les taxations, qui,
incapables de suivre la gamme infinie des qualités, doivent se borner à
quelques normes, ce qui a pour effet de niveler les prix, ceux des denrées de
qualité inférieure s’élevant au taux des meilleures, lesquelles d’ailleurs ne
tardent pas à disparaître du marché officiel.
Le résultat, comme nous pouvons facilement le constater,
c’est le pain noir, la disparition des animaux « extra », sinon même
de la première qualité, ce breuvage abominable qui nous est trop souvent offert
sous le nom de vin, un café insipide, etc. ...
Où est-il le temps où l’on prétendait qu’il était impossible
de faire du bon pain avec les blés indigènes purs et qu’il était indispensable
de les mélanger avec des Manitoba et autres exotiques ! À ce moment, on
parlait de farines de force, de W, de gonflement, et les sélectionneurs axaient
leurs travaux sur la qualité boulangère des blés, travaux couronnés d’ailleurs
de succès.
À cette époque, on ordonnait l’arrachage des cépages
considérés comme donnant des vins inférieurs : Noah, Othello.
En matière de fruits, on commençait à exercer un triage
minutieux et à éliminer les qualités médiocres. Les pulvérisations et poudrages
des arbres fruitiers contre les insectes et les maladies cryptogamiques se
généralisaient. Un grand progrès restait à accomplir, mais le travail était
bien commencé.
Il date pourtant de moins de dix ans, ce temps, et son
retour est sans doute plus proche que beaucoup ne le pensent : un an, deux
ans au maximum, et la qualité fera prime. Ces fromages maigres ou demi-maigres
que le malheur des temps nous a imposés disparaîtront, et nous pourrons à
nouveau déguster des camemberts, des bries et des gruyères dignes de ces noms.
Qui sait ? la Foire gastronomique de Dijon sera peut-être plus courue que
jamais ...
En matière de grains, il faudra choisir ses variétés en
raison des rendements, bien entendu, mais compte tenu de la qualité du grain.
On s’adressera à Flèche d’Or, Vilmorin 27, Champ Joli, Blanc hâtif Cambier,
Hybride à courte paille, pour avoir des blés de bonne valeur boulangère
recherchés par la meunerie. En orges, on renoncera, pour la brasserie
difficile, aux escourgeons, et même, dans les orges à deux rangs, on établira
une classification d’après les qualités brassicoles. On s’intéressera à ce
titre à Sarah, Comtesse, Aurore et René Guillemart.
Afin de régulariser la maturité et d’augmenter le poids
spécifique du grain, on veillera aux apports d’engrais phosphatés, qui
s’opposeront, en outre, à la verse, toujours si nuisible à la qualité.
À la récolte, on prendra le maximum de précautions pour
rentrer un grain sec et non germé, auquel, dans la mesure du possible, on aura
évité de subir les intempéries. La conservation fera l’objet de soins tout
particuliers pour échapper en année pluvieuse et humide à l’échauffement des
grains et à leur moisissure. Si on a, cette année, l’espoir de voir consommer
rapidement les céréales mal rentrées après lesquelles on attend pour assurer la
soudure, il n’en sera pas de même en temps redevenu normal, car il existera un
volant de sécurité de trois, quatre mois ou davantage.
Quantité d’abord, indice de disette ou de pénurie ;
qualité d’abord, indice d’abondance. Puissions-nous en être bientôt là.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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