Un vieux proverbe anglais de haute sagesse enseigne que pour
faire un bon poulain il faut « un bon père, une bonne mère
et ... un bon coffre à avoine ».
Pendant trop longtemps, en élevage, par tradition plus que
par raison, le pouvoir reproducteur de l’étalon a été démesurément grossi, par
rapport à celui de la jument. À tel point que M. de Sourdeval, conseiller
général de la Vendée, homme de cheval très averti, écrivait déjà, il y a plus
d’un siècle, dans la Revue des Haras : « L’étalon ! Ce
mot est plein d’illusions : chacun en abuse à sa manière. Il y en a, je
crois, qui s’imaginent qu’un étalon est tenu de faire à lui tout seul un cheval
parfait, adulte, peut-être même tout sellé et tout bridé (sic), tandis
que l’étalon, quelque merveilleux qu’il soit, ne produit que la moitié d’un
poulain, de compte à demi, avec une jument bonne ou mauvaise. Il peut bien
remédier à quelques défauts de sa « partenaire », mais non y
substituer la perfection. » On ne saurait mieux dire, et, en 1842, Ephrem Houel,
qui appartenait à l’administration des haras, le confirmait en déclarant que la
jumenterie d’un pays était à la base de sa production chevaline et que, sans
une bonne mère, on ne saurait escompter un bon produit, l’étalon serait-il le
plus beau de la terre, et même plus il sera beau, moins il fera bien si la
jument ne vaut rien.
À défaut de la qualité et en ne considérant que la quantité,
il est hors de discussion que l’influence de l’étalon se montre prépondérante,
la poulinière ne pouvant donner qu’un produit chaque année — même pas tous
les ans, — alors qu’un bon reproducteur pourra avoir une moyenne de
quarante à cinquante descendants, et souvent plus, qui deviendront autant
d’agents actifs de l’évolution et de la progression d’une race déterminée.
En définitive, de l’accouplement de reproducteurs
judicieusement choisis il faut s’attendre à obtenir un produit qui héritera à
la fois, sinon également, en tout et pour tout, de son père et de sa mère,
parce que, ainsi que le disait le professeur Sanson : « Selon la distinction
établie en chimie, il sera le résultat d’un mélange, bien plus que d’une
combinaison. »
C’est une bien grande erreur, aux conséquences désastreuses,
de croire que chaque jument soit propre à la reproduction. Celles-là seules en
sont dignes qui possèdent, au même titre que l’étalon auquel elles seront
accouplées, et autant que possible à un degré équivalent, les beautés, les
qualités, les caractères de race que l’on désire voir se propager.
C’est pourquoi la sélection des poulinières n’a pas moins d’importance
que celle des étalons, et, si on fait abstraction des questions d’hérédité pour
ne considérer que la fonction maternelle, au point de vue du développement du
fœtus, puis du poulain, qui doivent vivre aux dépens de son organisme pendant
onze mois de gestation et six mois d’allaitement, il est naturel de penser que
l’influence procréatrice de la poulinière peut être supérieure à celle du père
dans l’acte de reproduction.
La généalogie de la jument dont on veut faire une poulinière
doit être étudiée non moins sérieusement que celle de l’étalon, ce que facilite
beaucoup la diffusion des « Stud-Books » des principales races de
trait, à l’exemple de ce qui se fait depuis toujours pour les chevaux de pur
sang.
À défaut de « performances » qui sont la spécialité
des juments de courses, on appréciera les futures poulinières d’après leurs
services, l’énergie et la rusticité qu’elles montrent au travail, la manière
dont elles supportent les privations et les fatigues, leur docilité et la
perfection de leur dressage.
En ce qui concerne le modèle, il faut rechercher chez une
poulinière des formes amples et arrondies, un poitrail large, un coffre vaste,
un flanc bien dessiné, indiquant un « bon moule à poulains », sans
que le ventre soit trop proéminent, ni trop affaissé, si ce n’est à la suite de
plusieurs gestations. Une encolure légère, comparativement au reste du
corps ; un garrot bas et un rein long, s’il est bien attaché et de bonne
largeur, ne doivent pas être jugés sévèrement, mais comme autant d’attributs du
sexe dont il faut savoir faire la part.
L’arrière-main de la jument doit être particulièrement
développée ; elle doit avoir, ainsi qu’on dit couramment, un beau carré
de derrière, et si, en même temps, elle possède un large poitrail, on la
dira bien ouverte dans ses deux bouts. L’écartement des hanches dénote
un bassin spacieux dans ses trois dimensions, longueur, largeur et hauteur, qui
facilitera le passage du poulain au moment de l’accouchement. La croupe doit
être assez peu inclinée avec la queue attachée bas ; la longueur de la
hanche à l’épaule accusée, de façon que le fœtus soit au large dans l’utérus
pendant la durée de la gestation, sans avoir à refouler en avant la masse
intestinale, ce qui diminuerait d’autant la capacité de la cage thoracique et
gênerait la respiration.
La jument doit être encore profonde et près de terre,
c’est-à-dire avoir une poitrine bien descendue sur des jambes courtes, avec des
articulations larges et une bonne épaisseur des muscles des bras et des
cuisses, toutes les parties postérieures du corps se montrant plus développées
que les antérieures, à l’inverse de ce qu’on constate chez l’étalon.
L’examen de l’appareil digestif et de son fonctionnement a
une grosse importance chez les futures mères, qui doivent être de grosses
mangeuses, pour consommer et assimiler autant qu’il est nécessaire à la
fourniture du sang au fœtus, puis du lait au poulain. Une bonne poulinière doit
être une bonne nourrice, ce dont on pourra s’assurer en examinant du regard et
de la main les mamelles, qui doivent avoir des mamelons bien écartés et un
volume qui est le plus souvent en rapport avec la production laitière. La
palpation des mamelles permet en plus d’apprécier la sensibilité et le
tempérament de la jument, qui doit être douce, calme, habituée à se laisser
toucher, panser, atteler sans aucune difficulté : les juments
impressionnables, chatouilleuses ou irritables sont presque toujours de
mauvaises mères ou de mauvaises nourrices. Enfin, avant d’arrêter un choix
définitif, il est recommandé de s’assurer de la constitution et du
développement normal des organes génitaux, du moins ce qu’on en peut voir
extérieurement, et, pour plus ample informé, de réclamer l’assistance d’un
vétérinaire à l’intention d’une exploration rectale qui lui permettra de dire
s’il n’y a pas du côté du vagin, de la matrice ou des ovaires, un empêchement
quelconque s’opposant à une saillie fructueuse.
J.-H. BERNARD.
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