Ce fut comme un coup de tonnerre lorsque, au cours de
l’année 1943, la radio anglaise annonça que le haut commandement de l’aviation
alliée allait mettre en service, sur une grande échelle, de nouveaux chasseurs
aux vitesses sensationnelles, voire fabuleuses. Un nouveau mode de propulsion
venait, paraît-il, d’être mis au point et, d’après cette radio, il allait
bouleverser les conceptions en usage dans le domaine de la construction
aéronautique.
Quel était ce nouveau mode de propulsion des avions ? le
moteur à réaction !
Depuis les temps héroïques de l’aviation, c’est à l’hélice
que tous les inventeurs et constructeurs d’avions avaient recours pour
propulser leurs réalisations. De forme très primitive à ses débuts, l’hélice
d’avion s’était considérablement améliorée dans ses formes et son rendement,
son mariage avec le moteur à pistons avait permis à l’aviation de progresser à
pas de géant et de devenir l’extraordinaire moyen de locomotion qu’elle est
aujourd’hui.
Cependant, depuis près de quinze ans, les ingénieurs des
bureaux d’études du monde entier s’étaient rendu compte qu’ils ne pouvaient
demander beaucoup plus à l’hélice et au moteur à pistons, car l’augmentation du
régime des moteurs et celle du diamètre des hélices ne peuvent être accrus
indéfiniment. Afin que l’aviation puisse faire un nouveau bond dans le domaine
de la vitesse, un nouveau mode de propulsion s’imposait ! ... et
moins de dix ans après le moteur à réaction était né !
Qu’est-ce qu’un moteur à réaction ! Avant tout, un
moteur sans pistons. Une base d’admission d’air à l’avant, un arbre principal,
un compresseur d’air à un ou plusieurs étages, des chambres de combustion, un
système d’alimentation en carburant par injection, puis, vers la partie arrière
du moteur, une turbine et une tuyère d’évacuation des gaz (voir schéma).
Plus d’hélice ! À plus de 10.000 tours-minute, le
turboréacteur aspire l’air ambiant qui s’engouffre sous la pression des
compresseurs dans les chambres de combustion, où le carburant arrive à jet
continu et s’y enflamme ; la flamme du carburant pousse vers l’arrière cet
air chaud à plus de 1.800 kilomètres à l’heure, déterminant un déplacement de
l’avion égal à la moitié de cette vitesse, soit 800 à 1.000 kilomètres à
l’heure. Près des 2/3 de la puissance qui résulte de cette poussée sont
absorbés par le compresseur, qui restituera d’ailleurs cette énergie. Tel est,
sommairement décrit, le fonctionnement du moteur à réaction.
C’est une machine excessivement simple, comparée au
chef-d’œuvre de mécanique qu’est un moteur à pistons d’aviation.
Le moteur à réaction se contente pour fonctionner de
carburants de qualité inférieure, tels le pétrole ou les mélanges aux dosages
plus ou moins secrets comme le kérosène ; sa souplesse est
extraordinaire : en quelques secondes, son régime peut passer de 1.500 à
plus de 10.000 tours ; par contre, sa mise en route est plus délicate et
nécessite une installation électrique au sol assez importante, démarreurs et
batteries de 24 volts ou plus. Sa consommation est aussi plus importante
que celle du moteur à pistons à puissance égale. Cette puissance ne se traduit
plus en chevaux, mais en chiffrant le poids de la poussée statique en
kilogrammes : 1.500 kilogrammes de poussée statique correspondent à
environ 10.000 chevaux, et un moteur réalisant cette puissance ne pèse
que ... 700 kilogrammes !
Malgré la simplicité d’usinage des moteurs à réaction, leur
construction pose un sérieux problème, celui de la qualité des aciers employés.
Les principaux organes, arbre principal et turbine, travaillent à une vitesse
linéaire fantastique, et ce à une température de plus de 800°. C’est un point
noir, surtout pour les constructeurs français, qui ne disposent pas encore
d’acier à haute résistance, malgré tous les efforts de nos ingénieurs et
chimistes.
Il est bien évident qu’à des moteurs nouveaux devaient
correspondre des avions nouveaux ; les avionneurs créèrent de nouvelles
cellules aux formes aérodynamiques plus étudiées, offrant le minimum de
résistance à l’air ; la guerre offrit un magnifique champ
d’expérience ; des chasseurs à réaction virent le jour atteignant près de
1.000 kilomètres à l’heure ; leurs ailes étaient de plus en plus
réduites, souvent en forme de flèche, et leurs fuselages en forme de cigares au
fini impeccable.
Les constructeurs s’orientent maintenant vers l’aviation
commerciale ; des prototypes d’avion commerciaux équipés de moteurs à
réaction ont déjà volé avec plus de vingt passagers. Les Américains mettent au
point un géant de l’air de 56 tonnes qui sera équipé de 6 réacteurs
et transportera 100 passagers à 1.000 kilomètres-heure. En France, un Languedoc
volera vraisemblablement, à l’heure où paraîtront ces lignes, avec deux
réacteurs entièrement réalisés en France et qui, paraît-il, feront sensation.
Le pilotage des avions à réaction est plus facile que celui
d’un avion à hélice, le couple de renversement étant radicalement supprimé.
Certes le moteur à pistons et l’hélice n’ont pas encore dit leur dernier mot,
mais il est fort probable que le moteur à réaction sera le moteur de demain.
Maurice DESSAGNE.
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