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Réflexions d'un veneur

Les chiens courants étant la base de la chasse à courre, il est normal que les veneurs aiment à en discuter et à échanger entre eux le produit de leurs réflexions et de leurs expériences. Aussi, dans ces parlotes, qui pour les profanes paraissent interminables, incompréhensibles et fort vaines pour tout dire, traitent-ils souvent d’une manière complète et fort pertinente de la construction, du type, du chasser et des aptitudes à prendre de leurs bons auxiliaires à quatre pattes.

J’ai souvent entendu, parmi les gens moins connaisseurs, et, comme il est normal, plus affirmatifs en l’occurrence, de ces axiomes dont l’excellence n’est pas certaine. En voici un entre autres : « Un chien ne chasse pas avec ses oreilles. Pourquoi s’arrêter à de si petits détails, comme un chanfrein plus ou moins droit, un nez plus ou moins carré ? Ces juges d’expositions qui suivent si fidèlement (et si aveuglément !) les standards ne sont que de vulgaires théoriciens, tandis que nous (nous qui chassons !), nous ne pouvons les suivre sur ces voies de hautes erres et nous nous moquons de ces opinions étroites et qui ne reposent sur rien, et nous nous moquons de ces vieux rapprocheurs, qui ne sont plus que des radoteurs et qui clabaudent et vocalisent sur place d’inutiles chansons. »

On nous permettra d’en douter. D’abord, parce que je ne connais guère de juges de chiens courants qui ne soient, ou ne furent, maîtres d’équipage, et que ce titre confère tout de même un minimum de connaissances en fait de chasse, qui dépasse de beaucoup celles que possèdent en général les simples chasseurs à tir.

Et puis les standards des chiens courants furent l’œuvre d’hommes de chasse, qui ont tous laissé un nom dans la vénerie, et ce ne sont pas ces propriétaires de meutes, dont on connaît les succès, qui auraient pu marquer en des canons, qu’ils voulaient intangibles, des caractères de races inutiles ou superflus.

Chez les hommes, ces signes sont bien connus : certaines formes d’oreilles, de crânes, de nez, de mâchoires particulièrement caractéristiques indiquent ou le dégénéré, ou l’anormal, ou le demi-fou, ou aussi parfois l’artiste. Pourquoi n’en serait-il pas de même chez les chiens courants ?

Le colonel Dommanget, ce grand et cher Frédéric, dans son « Dressage de Fram », a écrit quelque chose dans ce goût-là en parlant « de certains chiens à tête carrée (de ces têtes carrées comme on en trouve chez nos voisins d’outre-Rhin) qui ne pouvaient manger leur soupe sans avoir au préalable mis leur nez dans la gamelle du voisin ». Ce n’est pas moi qui le contredirai, ayant connu d’assez près certains pointers et autres bipèdes à l’angle facial similaire moins intéressants, mais aussi typiques sous ce rapport.

L’expérience nous dit que presque toujours la ligne d’attache de l’oreille par rapport à l’œil indique une certaine façon de chasser. En dessus de la ligne de l’œil, le chien chasse d’entreprise le plus souvent, le nez haut et en batteur d’estrade ; en dessous il chasse uniquement par la voie, et plus l’attache est basse plus l’oreille est longue, et plus le chien est collé et souvent musard.

Ce n’est pas nous qui avons découvert cela ; du reste, nous l’avions déjà écrit et nous le répétons, il n’y a guère de sujets inédits en matière de vénerie. Nos devanciers ne nous ont pas laissé de place pour la nouveauté ou l’invention, et il n’est guère de mise pour un veneur de notre temps de vouloir découvrir quelque chose de nouveau. Bien avant notre époque de restrictions et de chasse mesquine, nos ancêtres l’avaient énoncé. Élevant facilement un grand nombre de sujets, chassant comme beaucoup de nous ne peuvent l’imaginer (du reste, beaucoup d’entre eux ne vivaient que pour cela), leurs expériences multiples les avaient conduits facilement à des résultats que ces observateurs pouvaient changer en presque certitudes.

Aujourd’hui parfois quand un chasseur a réuni quelques sujets plus ou moins homogènes, quand il arrive à chasser, il croit facilement avoir atteint le summum de l’art cynégétique ... Beaucoup ne veulent pas apprendre ce qui est, au fond, un vrai métier. Ils opèrent chez eux, en véritables autodidactes, ne vont jamais voir chasser les autres et se persuadent aisément qu’ils sont dans la bonne voie. Il est du reste curieux de constater que ce sont ces personnes qui ont le moins élevé — ou tout au moins élevé d’une façon bien terne ... — qui, à diverses époques, se permettent de ces initiatives imprudentes que les grands éleveurs se garderaient bien de tenter.

Je ne dis point cela dans un esprit de critique et je n’ai pour mes confrères, chasseurs aux chiens courants et veneurs, que des sentiments de vraie camaraderie en saint Hubert ; je tiens à m’adresser aux débutants et je les conjure d’être prudents avant d’apporter aux races qu’ils détiennent des modifications quelconques.

Beaucoup de nous peuvent se souvenir de ces transformations imprudentes, bien qu’au début elles ne semblaient modifier légèrement qu’un point qu’on pouvait estimer comme un détail. Mais, dans ces espèces plus ou moins consanguines comme sont la plupart de nos races de chiens courants, ces caractères insignifiants devenaient très vite de plus en plus marqués, et cette transformation ne s’arrêtait pas souvent qu’au physique, mais elle modifiait aussi le chasser et le moral du chien. Quand on est parti sur cette pente, il est impossible de retourner en arrière, et c’est ainsi que de vieilles et bonnes races ont disparu.

Il ne s’agit pas de pleurer sur ce qui a été et ce qui n’est plus. Le temps qui passe amène dans la vie des êtres bien des changements ; certains types de chiens d’autrefois ne conviendraient pas à notre chasse moderne, mais, pour les sujets d’aujourd’hui qui sont dans le modèle souhaitable et qui a fait ses preuves, soyons très prudents et prenons conseil chez les vieux et bons éleveurs avant d’introduire un sang nouveau dans le lot de chiens dont nous avons la direction.

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°624 Février 1949 Page 302