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Choix et utilisation du chien d'arrêt

Comment on tue nos races nationales

La formule du chien anglais, celle du chien continental classique et la formule intermédiaire représentée par l’épagneul breton et le griffon à poil dur orthodoxe (1) répondent chacune à des besoins et des goûts différents, tous respectables et défendables selon le tempérament, le terrain, le gibier de chaque chasseur. Or, on tend à supprimer la formule continentale et à mouler tous les chiens qui ne sont pas anglais sur la formule intermédiaire. Celle-ci veut des chiens de plus en plus rapides, à quête large, ne s’occupant que de l’émanation directe, marquant l’arrêt de loin, souvent, aussi, loin du chasseur, méprisant la recherche du gibier blessé pour ne pas nuire au style, à l’arrêt de longueur ; elle tend donc à se rapprocher de la formule anglaise. On y parvient par la méthode des field-trials de printemps. Ce sont ces épreuves qui sont destinées à mettre les races et les sujets en vedette. L’article 2 du règlement de ces épreuves stipule bien que chaque chien doit quêter selon l’allure et le style inhérents à sa race ; pratiquement, trop souvent on ne tient pas suffisamment compte de cet article et, pour égaliser leurs chances, les chiens continentaux classiques doivent s’adapter par tous les moyens au style, à la vitesse, à la quête exigés. Handicapés, les épagneuls qui ne sont pas bretons et les braques briguant le titre de trialer n’ont pas d’autre moyen que celui de se transformer en demi-sang anglais. C’est ainsi que tant de familles de braques ont été pointérisées. L’expérience a prouvé que cette méthode donnait souvent plus de pattes que de nez. Or ce sont bien les pattes qu’on a voulu leur allonger ; du nez, ils en avaient assez quand ils chassaient selon leur style propre ; mais la difficulté est d’allonger le nez proportionnellement aux pattes pour ne pas rompre l’équilibre. Il est exact que le métissage braque-pointer, notamment, donne directement d’excellents chiens ; il est exact aussi que, le pointer n’étant qu’un braque amélioré, ce métissage n’a pas sur la descendance les conséquences désastreuses observées par pareille méthode chez le griffon à poil dur, par exemple, lorsque, contrairement à la méthode de Korthals, des griffonniers veulent aller plus vite pour améliorer la vitesse. Mais peu à peu les races se transforment au physique et au moral, le caractère continental disparaît, l’amateur de chiens galopeurs trouve plus simple de prendre un chien dont la formule naturelle est de courir ; le professionnel préfère présenter ce dernier aux épreuves, car il a plus de chances de gagner, et, progressivement, le vrai continental s’écarte de l’arène et ne fait plus parler de lui. Tous les nouveaux chasseurs, et certains vieux, voulant des chiens issus de trialers, les prennent dans les races où ils les trouvent ; celles qui sont bâties pour ces épreuves standard.

Le critère des field-trials de printemps contient du meilleur ; et du pire ; prétendant désigner les meilleurs chiens de chasse, il éloigne et étouffe une catégorie de chiens faite pour satisfaire de très nombreux chasseurs, qui, ne la trouvant plus chez nous, vont la chercher à l’étranger. En voici une preuve : un de mes amis, possesseur d’une excellente chienne braque française issue d’un vieux sang français, gardé jalousement pur, désire la présenter aux épreuves de printemps et me charge de trouver un dresseur pour sa mise au point de présentation. N’ayant pu l’en dissuader, j’en parle à l’un de nos meilleurs et plus sérieux dresseurs. Il me répond, faisant la moue : « ...Un de ces grands chiens lourds qui traînent le nez par terre ? Cela ne me dit rien. » Il finit par accepter, étonné de voir, au lieu d’un « grand chien lourd », une petite chienne légère et d’aspect sportif. Quelques jours après, nous allons voir l’état d’entraînement de la chienne ; le dresseur nous dit : « Je ne suis pas très chaud pour la présenter. J’ai ma réputation ... Ça ne barde pas assez. Mais, si vous voulez que je la mette au point pour la chasse pratique et si vous voulez bien me la laisser pour faire l’ouverture, nous nous arrangerons. J’ai eu bien des chiens dans les mains, et des as ; mais, pour tuer du gibier, je n’ai jamais eu un bestiau pareil ! »

Voilà donc une première raison de la disparition de nos races nationales, construites en trotteurs ou petits galopeurs, au bénéfice de celles qui sont naturellement aptes à la quête rapide.

Elles disparaissent aussi pour une autre raison. Il est aisé de constater que, depuis quelque temps, les races allemandes jouissent d’une vogue croissante au détriment de nos races françaises. Et cependant les chiens allemands ne se montrent guère plus nombreux que les français aux épreuves (les trois quarts de ces dernières étant courues par des épagneuls bretons, qui répondent idéalement à la formule des field-trials). C’est que les chiens allemands jouissent d’une réputation, fort adroitement exploitée, de chiens pratiques et meurtriers. Une revue cynégétique vantait, il y a quelque temps, les mérites d’une race allemande, découverte brusquement et promise au plus haut avenir parce que certains sujets présentés rapportaient un œuf sans le casser et une tomate sans l’écraser ! Il s’agissait d’un braque de Weimar. Cela prouvait uniquement que ces chiens étaient bien dressés. J’ai personnellement dressé de nombreux chiens à ces performances faciles et possède une chienne, bien française, capable d’emporter de la salle à manger à la cuisine assiettes, plats et verres, sans les casser. Elle est aussi capable de retrouver un objet caché à son insu au bois à cent mètres. Ceci n’est qu’un aspect du dressage pratique que les chasseurs allemands, fort avisés, imposent à leurs chiens et c’est ce qui fait leur renommée, plus que les performances de field-trials de printemps. Ce ne sont pas tellement les aptitudes particulières des chiens allemands qui leur confèrent leur auréole, mais bien l’usage que l’on en fait par le dressage et par l’entraînement, qui se transmettent par atavisme, et la publicité qu’on fait autour d’un chien parce qu’il rapporte ... une tomate.

L’erreur des cynophiles français est de s’hypnotiser sur les field-trials de printemps qui spécialisent des chiens pour des fonctions fort éloignées de la chasse pratique et de négliger ce qui fait un chien meurtrier, roublard, vraiment utile. On met ainsi en vedette des chiens rapides, certes, et de haut nez, mais d’un usage pratique souvent discutable. Le chien continental classique, éminemment pratique, n’ayant pas l’occasion de montrer publiquement ses qualités, reste dans l’ombre et disparaît.

Les chasseurs français qui voient en Allemagne des chiens dressés à des fins pratiques s’imaginent découvrir des races de phénix parce qu’ils ont perdu l’habitude de voir chez nous des chiens élevés pour les mêmes fins.

En résumé, si nos épagneuls français ou picards et nos braques se raréfient, c’est à la fois parce qu’une formule officielle les condamne et que les cynophiles français ne leur donnent pas l’occasion de montrer ce qu’ils sont dans leur formule propre. Les premiers responsables sont les clubs spéciaux, qui se doivent de montrer que nos races françaises sont tout aussi capables que les autres de faire des chiens meurtriers et pratiques et de ... rapporter des Tomates.

J. CASTAING.

(1) Voir Le Chasseur Français, nos 622 et 623.

Le Chasseur Français N°624 Février 1949 Page 302