La loi du 31 mai 1865 ayant prescrit la construction
d’échelles à poisson (1), il a fallu rechercher le système technique le
plus favorable pour le franchissement des barrages. La question a été étudiée
dans de nombreux pays. Aux États-Unis, évidemment, ce sont des constructions
grandioses qui ont prévalu. Il est vrai qu’il s’agissait de barrages hauts de
plusieurs dizaines de mètres et de rivières ayant de très importantes
populations de migrateurs : aloses et surtout saumons, ces derniers
alimentant des industries de pêcheries et de conserves « valant » des
centaines de mille et des millions de dollars.
Le principe général d’une échelle est celui d’un couloir en
maçonnerie, à faible pente, donc de grande longueur, où le courant d’eau est
brisé par des amortisseurs.
Une seule exception à la règle : c’est l’ascenseur à
poisson construit par la France au barrage de Kembs sur le Rhin, vers 1930. La
Suisse avait fortement protesté contre le projet de barrage, qui la priverait
de la montée des saumons et des anguilles. Le barrage ayant 10 mètres de
haut et la technique des échelles à poisson n’étant pas encore très sûre, il
fut construit un ascenseur se déclenchant automatiquement au bout de quelques
minutes et soulevant les poissons attirés dans un coin du barrage, sur la rive
gauche, et les déversant dans le bief supérieur. On peut, au passage, contrôler
les espèces ainsi transportées.
Le premier type d’échelle consiste en une simple échancrure
de 1 mètre, à 1m,50 de large, profonde de 0m,30
environ, pratiquée sur la crête du barrage, et qui est efficace pour les
saumons et les truites, si la hauteur du barrage ne dépasse pas 2 mètres.
Le saumon et la truite, en effet, sautent facilement
— à la moindre crue — les barrages de moins de lm,50 à 2 mètres.
Pour les barrages plus hauts, allant jusqu’à 4 et 5 mètres,
on a ensuite, au début de ce siècle, construit des échelles à chicanes dans un
large couloir en maçonnerie construit sur la pente du barrage. On élevait des
cloisons horizontales avec, à l’une de leurs extrémités et en chicane, une
échancrure pour l’eau (fig. 1). Ainsi l’eau parcourait un chemin beaucoup
plus long, et donc à une vitesse plus faible, accessible au poisson.
On peut voir de telles échelles, notamment, au barrage de Mauzac
sur la Dordogne. Ces échelles conviennent au passage du poisson blanc, mais
sont en général peu efficaces.
À la même époque, on a également construit des échelles à
bassins successifs, scindant par exemple une chute de 4 mètres en quatre
chutes de 1 mètre. Exemple : l’échelle de Tuilière sur la Dordogne.
Elles sont, en général, plus efficaces que les échelles précédentes.
On en est enfin arrivé aux échelles de type moderne qui
sont, en somme, de fausses rivières en maçonnerie, à pente de 10 p. 100
environ, de faible largeur (1m,50 à 3 mètres), de fort débit,
et où le courant est freiné par des amortisseurs.
La première de ces échelles est celle de Caméré (fig. 2),
construite en Belgique en plusieurs exemplaires. C’est en 1939 que les Eaux et
Forêts ont mis en application, dans le bassin de l’Adour, des échelles à saumon
du type de Lachadenède qui donne satisfaction pour les barrages inférieurs à 10 mètres
de hauteur. Les amortisseurs de cette échelle permettent d’y réduire la vitesse
du courant à 2m,50 par seconde, alors que le saumon et la truite, en
vitesse de pointe, atteignent 6 à 8 mètres par seconde. Ils la remontent
donc facilement.
De 1937 à 1939, sept de ces échelles ont été construites sur
le gave d’Oloron.
Sur le gave de Pau a été construite, en 1943-1944, la plus grande
échelle à poisson de France, celle du barrage de Baigts, haut de 10 mètres,
toujours sur le type de Lachadenède, et qui a permis de constater des remontées
de saumon dans le gave de Pau, déserté depuis trente ans. Cette échelle a plus
de 80 mètres de longueur.
Je dirai simplement de ces échelles :
1° Qu’elles sont coûteuses : pour un barrage de 3 mètres
de haut, une échelle coûte actuellement entre 1 et 2 millions.
2° Qu’elles exigent un fort débit, de 500 litres à 1 mètre
cube par seconde, mais qu’un système de clapet automatique permet de ne les
faire fonctionner qu’au moment des crues.
3° Que leur emplacement et leur construction doivent être
étudiés par des spécialistes. En particulier, le pied de l’échelle doit être
placé dans l’angle le plus en amont du barrage, et à la base du barrage
lui-même. En aucun cas, le pied de l’échelle ne doit être plus en aval que le
pied du barrage lui-même, afin que le poisson en trouve facilement l’entrée.
Les résultats de la construction de ces échelles sur gaves
pyrénéens ont été remarquables.
Le tonnage des captures da saumon, tant par les inscrits
maritimes que par les pêcheurs amateurs, est passé de 25 tonnes en
1938-1939 à 80 tonnes en 1948, sur le seul gave d’Oloron, grâce tant aux
échelles qu’à la reproduction artificielle et à la surveillance intensive de la
fraye.
Il y a là un très beau résultat qui permet d’espérer la
construction à bref délai des échelles nécessaires pour rétablir une forte
population de saumon dans nombre de nos rivières françaises, notamment
l’Allier, la Gartempe, la Dordogne, la Garonne, et nos fleuves normands et
bretons.
N’oublions pas qu’avant 1939 la France importait pour un
milliard par an (valeur 1948) de saumons et salmonidés divers.
Une politique de construction d’échelles à poisson doit être
à la fois une bonne affaire pour l’économie du pays, sa balance commerciale et
ses pêcheurs.
DE LAPRADE.
(1) Voir Le Chasseur Français, no 623.
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