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Cyclisme

Vieilles inventions

Au fond d’une caisse où ils dormaient depuis plus d’un demi-siècle je viens de trouver quelques exemplaires d’une grande revue sportive de l’époque : « La Bicyclette, Journal hebdomadaire illustré d’informations vélocipédiques. » Tels en sont le titre et le sous-titre. Il paraissait chaque vendredi, sur 16 pages, 10 centimes le numéro. Ceux que je feuillette sont datés de février à juin 1893. Nous nous les passions de main en main, sur les bancs du collège, car alors, pour un lycéen, deux sous représentaient un prélèvement appréciable sur la « semaine » octroyée par la famille !

Ce ne sont pas les exploits et records de cette lointaine époque que je veux rappeler aujourd’hui, mais les petites inventions, représentées comme devant bouleverser le cyclisme et qui ont sombré dans l’oubli.

Je vois une « ceinture spéciale pour vélocipédistes » modèle Charles Terront. C’est une longue courroie qui passe derrière les reins et s’attache au guidon, par deux crochets, à droite et à gauche du tube de direction. Et je lis : « Charles Terront a hautement déclaré qu’il devait à cette ceinture une grande partie de son succès dans la course Paris-Brest, en lui permettant de gravir très facilement (en italique dans le texte) les côtes de Bretagne. » Poids 300 grammes. (Le prix n’est pas indiqué.) Par contre, à la même page, figurent les « chaussures pour vélocipédistes modèle Charles Terront, les meilleures, les plus légères et les moins chères. Sans talons : 14 francs ; avec talons : 16 francs ... »

Quel prix les coureurs de Paris-Brest 1948 ont-ils payé les leurs ? Quant à la ceinture, elle a rejoint dans les limbes de l’oubli le « coupe-vent transparent dit le papillon » présenté ainsi à la page suivante : « Démontable, pliable, portatif, élégant, poids net 380 grammes. Il permet d’atteindre sans plus de travail, même contre un vent très faible, 25 kilomètres à l’heure au lieu de 20 kilomètres environ. » Et ce merveilleux appareil est livré « dans une boîte avec accessoires et instructions pour le prix de 30 francs, franco. Un franc en plus contre remboursement. »

Il arrivait dé crever, et plus souvent qu’aujourd’hui, je vous assure, car le pneu était à ses débuts. Je copie encore : « Le pneumatique est obligatoire à tout vélocipédiste digne de ce beau nom depuis la découverte du talisman l’obturateur Thomas. En une minute on répare et on repart. Demandez-le partout : 5 francs. » Je le revois, cet obturateur ! Une seringue à injection hypodermique ! On la remplissait d’une sorte de mastic ; sans démonter le pneu, on enfonçait l’aiguille dans le trou fait par le clou ou le silex, on appuyait sur le piston et le mastic faisait prise à l’intérieur de la chambre. On repartait, mais on n’allait jamais bien loin. Et l’obturateur n’a pas détrôné la dissolution classique.

Au fait, on n’aurait jamais dû crever, si on en croyait les réclames. « Pneumatique Décourdemanche, à chambre à air auto-obturatrice indégonflable. Expériences publiques du 25 décembre 1892 au Palais des Machines à Paris : quarante-quatre perforations sans aucune fuite. Voilà donc le véritable pneumatique increvable. Usine à Choisy-le-Roi (Seine). » Décourdemanche ? Cela ne vous dit évidemment rien ! Il est un autre nom plus illustre que nous allons retrouver : Michelin. Mais oui ! Dans le numéro du 26 mars 1893, Michelin insérait cette réclame : « Personne n’osera tenter la vraie course que fera Michelin au vélodrome Buffalo. Mille perforations sans aucune fuite !! Après arrachage des clous, on courra 60 kilomètres. » J’ai reproduit fidèlement les deux points d’exclamation qui sont dans le texte ; il en aurait bien mérité trois. Hélas, cinquante-cinq ans ont passé depuis lors et nous attendons toujours la réalisation ... du passé. Je me rappelle cependant avoir vu, il y a une vingtaine d’année, un représentant de commerce qui, pour démontrer l’increvabilité de ses pneus, arrêtait son auto devant les terrasses des cafés et enfonçait dans les quatre roues de gros poinçons. Il prenait alors tranquillement une consommation, tandis qu’on s’attroupait autour de sa voiture, puis il retirait les quatre poinçons et repartait après avoir distribué des notices ... Je ne voudrais pas croire que les fabricants de pneus ont intérêt à ne pas nous livrer d’increvables. Mais, puisqu’on pouvait faire mille trous à une chambre à air, en 1892, nous nous contenterions aujourd’hui du dixième, et même de moins encore.

Décidément le progrès a marché à reculons (si j’ose employer cette image anti-étymologique). Car, dans ma Bicyclette du 4 février 1893, on nous offrait le « vélographe, porte-plume à réservoir indépendant permettant d’écrire 50.000 mots sans reprendre d’encre, franco contre 1 fr. 75. » Cela valait bien le stylo à bille, n’est-ce pas ?

J’ai conservé pour la fin l’invention la plus originale, présentée comme suit dans ce même numéro : « Bicyclette vis-à-vis. Dans cette bicyclette-tandem, les deux velocemen se font face. Le premier marche ainsi à reculons, actionnant le mouvement pédalier inférieur en s’appuyant sur le guidon fixe relié au tube supérieur du cadre. Le second, faisant face à la route, actionne le pédalier supérieur et dirige la machine ...

Cette description ne saurait se passer de l’illustration qui l’accompagne et qui est reproduite ci-dessus.

Il paraît — je copie toujours — qu’au bout de « quelques instants on ne s’aperçoit plus que l’on marche en arrière et on profite du plus grand agrément de cette bicyclette, qui est de pouvoir converser avec la plus grande-facilité pendant le trajet ». J’avoue n’avoir jamais vu cet engin ailleurs que sur le papier. J’aurais été curieux de savoir comment les « velocemen » entremêlaient leurs bras et leurs jambes !

Voilà, cyclistes de 1949, ce que j’ai glané pour vous dans cet hebdomadaire de ma jeunesse. Autant en a emporté le vent ... Mais, si vous trouvez trop chers vos vélos d’aujourd’hui, lisez, pour terminer, cette annonce parue le 2 juin 1893 dans la rubrique « Occasions-échanges ». « Bicyclette Rover, neuve, cadre 1893, 14 à 15 kilos, pneu Torrilhon, jamais roulé, cataloguée 765 francs, pour 475 francs. » Si le coefficient 100, largement dépassé depuis un demi-siècle, était appliqué, vous payeriez vos machines 76.500 ou 47.500 francs. Comment oseriez-vous médire des prix actuels ?

R. DESDEMAINES-HUGON.

Le Chasseur Français N°624 Février 1949 Page 309