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Grande culture

Inventaires

En comptabilité agricole, il est recommandé de procéder à un inventaire annuel. Il s’agit alors d’estimer, après un récolement aussi exact que possible, tout ce qui garnit la ferme en matériel, en cheptel, de passer à l’examen des marchandises en magasin, puis de pousser les investigations jusqu’aux champs pour déterminer la valeur des préparations pour la prochaine récolte. En ajoutant à ces renseignements tout ce qui concerne les espèces en caisse, comptes en banque ou autres, après avoir pris la précaution de chiffrer ce qui reste dû tant à l’exploitant que par lui-même, on a le compte de l’ensemble des capitaux existant à la date choisie.

Ne reprenons pas l’éternelle discussion entre les partisans d’un inventaire effectué en hiver— greniers pleins, travaux en terre réduits — et ceux qui préfèrent procéder à cette opération au milieu de l’année — récoltes à faire, magasins vides. Dans tous les cas, des estimations sont inévitables, le point important est d’opérer tous les ans à la même époque.

Depuis quelques années, un inventaire est réellement difficile à faire, puisque l’on aboutit à des francs dont la valeur changeante, toujours dans le même sens, ne permet pas de faire des comparaisons valables. Déduire de la comparaison que l’on a réalisé de gros bénéfices, si c’est le sens de la comparaison, serait se leurrer, et c’est d’ailleurs pourquoi tout contrat faisant allusion à une majoration de rémunération ainsi fixée peut donner lieu à des discussions prolongées.

En vérité, après toutes les estimations, il serait opportun de faire un retour en arrière, et partir d’une époque relativement stable en ramenant les résultats à cette commune mesure. Ainsi aurait-on sous les yeux des documents de quelque valeur pour apprécier la solidité ou la précarité des combinaisons de culture. Plus spécialement, on se rendrait compte du rapport qui peut exister entre les éléments de l’inventaire et les résultats globaux. Par exemple, l’exploitation a développé ou restreint son cheptel vif, elle a introduit la culture mécanique ou en est restée à la traction animale.

Il importe toutefois d’attacher un grand intérêt à la manière de faire les estimations. Prenons le matériel ; il comprend ce que nous appellerons le matériel amorti, celui qui sert de longue date et dont la valeur réduite d’année en année pendant les temps normaux, a évidemment une valeur d’usage indéniable, qui même, le jour d’une vente, trouverait peut-être des offres intéressantes. À notre avis, il faut le laisser pour ce qu’il est, presque pour mémoire ; inutile de gonfler les valeurs.

Par contre, il existe du matériel acheté depuis peu, la règle est de l’amortir puisqu’il a servi ; celui-ci trouverait certainement des amateurs lors d’une vente ; il a encore une valeur d’usage sérieuse. Toutefois, on remarquera souvent que les conditions de sa fabrication ne sont pas celles d’autrefois, par conséquent la durée d’emploi sera moindre ; en outre, le machinisme subit en ce moment des transformations sérieuses ; admettons qu’elles soient ingénieuses et susceptibles de longs services ; il n’empêche que le matériel évolue, que l’on sera tenté d’acheter ce qui paraît mieux. Dans ce cas, être prudent dans les évaluations. Si l’on était tenté d’évaluer au prix fort, annexer à l’inventaire une sorte de contre-partie : réserve pour remplacement de matériel.

Il y a encore des règles sûres pour l’estimation du cheptel vif. Il existe des transactions normales sur le bétail ; évidemment, les cours subissent des variations qui causent de la perturbation et amènent les agriculteurs à se lancer dans telle ou telle spéculation, un peu à l’aveuglette et en tentant la chance. Ainsi passera-t-on du lait à la viande, de la viande au lait, augmentera-t-on ou diminuera-t-on l’importance des porcs à la ferme. Les écarts en matière ovine sont moins sensibles ; il y a un sens général dans la diminution en nombre qui tient à d’autres causes plus générales ; encore faut-il observer de la reprise dans quelques secteurs, en raison de la paix relative qui plane au-dessus des troupeaux. La production chevaline envisagée en tant qu’élevage est influencée par les pulsations du marché des tracteurs.

Pour tous les animaux, il faut s’en tenir, il me semble, aux cours du jour, atténués chaque fois que l’objet de l’élevage a un caractère un peu spéculatif. À ce propos, une donnée reste intéressante, c’est de comparer le nombre des existences et en même temps les poids vifs entretenus, renseignement intéressant pour la caractéristique de l’exploitation et les variations dans le système de culture suivi.

Lorsque l’on pénètre dans les magasins, la détermination des volumes, des poids, est facile, pour peu que l’on y prête attention. En ce qui concerne les valeurs, là aussi s’en tenir aux valeurs du jour ; évidemment, c’est parfois assez grave, car les années présentent des différences marquées, surtout s’il s’agit de pailles, de fourrages, même de racines et de tubercules. Distinguer la partie qui fait l’objet d’une vente normale et lui assigner les prix actuels ; pour le reste affecter une valeur très modérée, puisqu’il s’agit au fond de moyens d’action qui entreront dans la circulation intérieure. On pourrait d’ailleurs discuter très longuement sur les prix de revient basés sur les prix commerciaux et sur les valeurs de transformation.

Si l’on quitte la ferme pour inventorier les avances aux cultures, aborder ce chapitre sur le plan des comparaisons d’année à année en tant que travaux effectués, d’investissements annuels normaux ; se montrer circonspect s’il s’agit de chiffrer, sauf dans les pays où des changements de mains ont lieu sur ces bases, ou, si l’on veut, poussant la comptabilité beaucoup plus loin, faire des comparaisons de pièce à pièce, ce qui implique évidemment la comptabilisation de tous les éléments des frais de culture : travaux effectués, fumures, etc.

En définitive, avoir particulièrement en vue la comparaison des variables entre les éléments matériels et la production, et ne pas se laisser hypnotiser par des bénéfices qui sont, au contraire, le reflet d’une situation pénible due au manque de stabilité de l’unité monétaire.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°624 Février 1949 Page 317