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La consigne est de frissonner !

A naissance, a dit un biologiste, est pire que la mort. » Exposé au froid extérieur après les molles tiédeurs de la vie « intra-maternelle », l’être humain réagit durant toute son existence — parfois au prix de rudes souffrances — pour maintenir en lui-même une température vitale de 37°.

Ce curieux « mécanisme », d’une précision extrême, serait-il, en outre, un témoignage des plus précis en faveur de l’« évolution » ? D’après le regretté René Quinton et les « évolutionnistes » de son école, l’homme serait le suprême chaînon d’une longue suite d’êtres qui aurait débuté — voici un milliard d’années — par le gélatieux « amibe », méduse microscopique des chaudes mers primaires. Ces mers anciennes, moins « concentrées » que les mers actuelles, étaient salées seulement à 9 p. 1.000 ; voilà pourquoi, toujours suivant les évolutionnistes, notre organisme s’est efforcé de reconstituer ce tiède bain à 37° et 9 p. 1.000, véritable « souvenir » des océans créateurs, miraculeusement conservé sous forme ambulante par le génie de l’espèce.

Cruellement dépourvu de fourrure et de plumage, l’animal humain lutte difficilement, à l’état nu, contre le froid. Il possède néanmoins une « couverture intérieure » automatiquement réglable, formée tout simplement par un « matelas d’eau ».

Le professeur Léon Binet, à qui il faut toujours en revenir en ce qui concerne les « mécanismes de défense » de l’organisme, a poursuivi les célèbres expériences de Barbour sur les rats et les cobayes placés au frigorifique. Quand on refroidit ces animaux « à sang chaud », on constate que le sang se concentre, abandonnant de l’eau, qui va se loger sous la peau et dans les parties extérieures des muscles. Les tissus profonds et les organes se trouvent ainsi isolés du froid par une couche liquide.

Malheureusement, il ne suffit pas de « calorifuger » l’organisme comme une simple marmite norvégienne ! Il faut également « activer le feu ». Depuis Lavoisier, on sait que la chaleur vitale est due à l’oxydation de certaines substances, telles que le glycogène, « brûlées » par l’oxygène provenant du poumon ; l’air inspiré abandonne son oxygène, qui traverse la mince paroi des alvéoles pulmonaires et se fixe sur l’hémoglobine des globules rouges du sang ; ceux-ci le transportent dans les tissus, principalement dans les muscles, où l’oxydation se produit. Or les muscles, tels une locomotive ou un moteur de voiture, brûlent bien davantage en état de travail qu’au « ralenti ». De là l’utilité ... réchauffante de ce travail musculaire factice qui n’est autre que le « frisson ».

Frissonner n’est pas seulement un signe de refroidissement intérieur, une « cloche d’alarme » ; c’est un véritable exercice physique imposé par la nature. Le grand physiologiste Charles Richet a reconnu chez le chien deux sortes de frissons : le frisson réflexe, déclenché par le froid extérieur bien avant que la température centrale s’abaisse, et le frisson interne, que l’on observe chez l’animal refroidi jusqu’à 33° au cours d’une anesthésie. Il y a là une tactique d’urgence, une « position de repli » de l’organisme envahi par un froid croissant, qui met la vie en danger.

Tous les muscles ne frissonnent pas aussi violemment. Le frisson atteint particulièrement les extenseurs et les muscles inspirateurs. D’abord intermittent, il se produit au moment de l’inspiration pour disparaître pendant l’expiration ; puis il devient continu. Les « masticateurs », ou muscles de la mâchoire, sont les premiers à frissonner : c’est le phénomène familier du « claquement de dents ».

Détail curieux : pour que le frisson s’établisse, il faut que la respiration demeure libre ; prenez dans vos mains le museau d’un chien qui frissonne, et le tremblement s’arrête aussitôt. Une anesthésie profonde supprime le frisson ; l’animal anesthésié se comporte comme un animal à sang froid, tel que le serpent, c’est-à-dire qu’il suit la température extérieure. Mais, comme le cas n’est pas prévu par la nature, cette « hypothermie » ne tarde pas à devenir mortelle si on ne réchauffe pas l’organisme artificiellement. La saignée diminue le frisson ; un blessé, un hémorragique, tout comme un anesthésié, doit être réchauffé.

Les nouveau-nés ne frissonnent qu’à partir du quatrième jour et le frisson demeure insuffisant jusqu’au trentième jour pour maintenir la température vitale. Les enfants qui naissent en hiver — disgrâce qui retentit parfois sur toute une vie — doivent être particulièrement entourés à ce point de vue.

Chez la marmotte, animal qui « hiverne » avec une température centrale inférieure à 10°, le réchauffement se produit en quelques heures au réveil ; il est « orchestré » par le foie et activé par les muscles du thorax et de la respiration. L’action « bio-chimique » des hormones, ces précieuses sécrétions des « glandes endocrines », est prédominante dans le maintien de la température vitale et de la « sensation de confort ». André Mayer a montré qu’il existe une « thermogenèse » profonde, autrement dit un véritable foyer autorégulateur, qui permet à notre organisme, même immobile, de rétablir sa température centrale effondrée. Le célèbre physiologiste vivisecteur américain Cannon a montré qu’un animal ou un homme qui avale de l’eau froide réagit très violemment par une décharge d’adrénaline dans le sang ; cette adrénaline provient des capsules surrénales. La thyroïde semble intervenir également ; chez de malheureux rats blancs soumis à des températures de -1 à -18° durant dix à vingt-cinq jours on trouve, à l’autopsie, un développement anormal de cette glande. L’équilibre « endocrinien » est donc une des conditions essentielles de la lutte naturelle contre le froid. Chez les personnes frileuses, sensibles au froid extérieur même dans un appartement chauffé, un traitement opothérapique peut être indiqué.

On affirme généralement que les matières grasses constituent le meilleur aliment d’hiver. Il est incontestable que les races ultra-nordiques, Lapons, Esquimaux, Samoyèdes, en font une grosse consommation ; mais les travaux de l’école de Belgrade ont mis en évidence l’importance capitale du régime sucré. Des rats maintenus à des températures de -4° à -14°, nourris uniquement soit de protides (viande maigre et blanc d’œuf), soit de lipides (lard), soit encore d’hydrates de carbone (empois d’amidon ou sucre), ont offert une résistance bien plus longue avec le régime aux hydrates de carbone.

Si le sucre paraît un « remède d’urgence » contre le froid, l’alcool n’est pas un « aliment de fond » pour l’hiver. Assurément, il donne un « coup de fouet », c’est-à-dire qu’il « persuade » à l’organisme de faire un effort. Mais des animaux soumis au froid, ravitaillés à l’alcool, n’utilisent pas l’excès d’alcool qui leur est fourni expérimentalement par voie digestive ou en injections sous-cutanées. Il est également recommandé de ne pas boire trop d’eau ou d’un liquide quelconque, Mayer ayant montré que la dilution du sang, quand elle est excessive, met l’organisme hors d’état de se défendre contre le froid. À dose raisonnable, le breuvage chaud exerce, au contraire, une action réchauffante classique.

Battre la semelle, se frapper les flancs avec les bras ou se livrer à des mouvements violents ... tous ces exercices permettent, assurément, de lutter contre un refroidissement imminent. Il serait toutefois dangereux de confondre travail musculaire et fatigue. Des rats, exposés au froid dans une cage d’écureuil entraînée par un moteur électrique, ce qui leur occasionne une violente fatigue, se refroidissent beaucoup plus vite que leurs congénères au repos. La « mesure », ici comme partout, quand on a affaire à la nature, est de rigueur ; tout ce qui contribue à affaiblir l’organisme diminue nos défenses naturelles contre le froid.

Pierre DEVAUX.

Le Chasseur Français N°624 Février 1949 Page 331