Si le Maroc est un pays que certains connaissent bien, il
est malheureusement par beaucoup d’autres complètement ignoré.
Le Maroc, rappelons-le, est un pays extrêmement varié,
extrêmement riche, et peu exploité parce qu’il est un pays neuf. Que ce soit au
point de vue minier ou agricole, le peu qui a été fait jusqu’à ce jour peut
être considéré comme un sondage et tout reste à faire.
Parlons aujourd’hui de la question « arboriculture
fruitière », qui nous intéresse tout particulièrement.
Les régions actuellement déterminées, et dans lesquelles se
plantent annuellement des centaines d’hectares d’arbres fruitiers (orangers,
clémentiniers, mandariniers, pomelos, abricotiers et pêchers), sont :
1° La région de Meknès-Fez ;
2° La région de Sidi-Slimane-Ksiri ;
3° La région côtière de Port-Lyautey à Mazagan ;
4° Les plaines du Sud (Marrakech-Beni-Mellal-Tadla ;
5° Le Maroc oriental (plaine des Triffas) ;
6° Le Sous.
Les plaines du Sud sont les plus neuves et encore
complètement inexploitées, car elles ont été colonisées il y a peu de temps.
La région de Beni-Mellal-Tadla, notamment, que l’on nomme
avec juste raison la Californie du Maroc, n’a été ouverte à la colonisation
qu’en 1933, date de l’arrivée des premiers pionniers. Ce sont des terres
d’alluvion d’une extrême richesse, situées au pied de l’Atlas, couvert de neige
l’hiver. Elles forment une immense plaine comprenant des centaines de milliers
d’hectares qui seront dans quelques années entièrement irrigués par des
barrages gigantesques en cours de construction et destinés à capter l’eau des
oueds descendant des montagnes de l’Atlas.
La température y est très douce l’hiver, le thermomètre ne
descendant à 0° qu’au moment des grands froids, et ce pendant un ou deux jours
seulement, généralement fin janvier, avant le départ de la végétation. Les
gelées printanières ne sont pas à craindre ... En juillet et août, il y
fait très chaud : 40 à 45° à l’ombre. C’est grâce à cette chaleur et à
l’eau qui, plus tard, coulera en abondance à travers ces milliers d’hectares
qu’il est permis de dire que cette région, la moins exploitée du Maroc, est
appelée au plus grand avenir. Des plantations importantes d’orangers et
d’abricotiers ont déjà été faites. Des vergers de 10, 20, 30 et 50 hectares
sont déjà en plein rapport, et les plantations s’accélèrent à une allure
record, limitées actuellement, et pour quelques années encore, aux possibilités
d’irrigation, en attendant l’ouverture des grands barrages.
L’abricotier dans cette région y prospère tout
particulièrement, remarquablement greffé sur l’abricotier du pays appelé Mech-Mech.
On le plante en scion d’un an, pour lui donner par la suite la forme gobelet,
qui lui convient le mieux ici. On le taille une fois en hiver et, l’été, on lui
fait subir deux pincements : l’un en juin, l’autre en septembre. Comme on
le voit, il faut que sa végétation soit extraordinaire pour pouvoir supporter
ces trois tailles annuelles. Sa fructification est parfaite et régulière. Cette
année, dans des plantations bien conduites, des gobelets de trois ans de
plantation, donc âgés de quatre ans, ont produit une moyenne de 18 à 20 kilogrammes
de fruits par arbre, achetés sur pied par les usines locales 45 francs le
kilogramme.
La plantation de ces arbres se fait à intervalles réguliers
de 6 X 6 ou 7 X 7, ce qui donne une densité de 250 à 150 arbres
à l’hectare. Les frais d’entretien sont pour ainsi dire nuls ; une ou deux
irrigations par an suffisent à en assurer la bonne marche. Cette année même, en
raison du printemps pluvieux, certaines plantations n’ont pas été irriguées.
Les variétés qui ont le plus de vogue sont : Canino, Giletano, Blenheim.
Le poids moyen de ces fruits est de 75 à 85 grammes.
Devant la perspective de toutes ces plantations futures, on
est en droit de se poser la question suivante : « Comment écouler
toute cette production ? » La question est d’avance résolue. De
nombreuses usines surgissent annuellement pour absorber celle déjà existante et
celle à venir. On y procède à la mise en conserve, à la fabrication des jus de
fruit, au séchage, à la fabrication des confitures ; on y traite aussi les
pulpes. Dans la région de Marrakech notamment, la production actuelle est
absorbée par plus de trente usines. Cette année, des expéditions massives de
fruits frais ont été faites sur l’Europe par avion ou par bateau, en empruntant
la chaîne du froid. Les meilleurs résultats ont été obtenus, et il est certain
que, l’an prochain, les expéditions seront plus importantes.
En résumé, le Maroc sera certainement, dans une dizaine
d’années, un pays de ressources inestimables. Beaucoup de métropolitains,
d’ailleurs, l’ont compris depuis la fin de la guerre. Que l’on en juge par les
immigrations massives de ces dernières années (10 à 12.000 nouveaux
arrivants mensuellement). On le comprendra d’autant mieux que Casablanca n’est
plus qu’à cinq heures de Paris par avion.
André GAUJARD,
Arboriculteur-pomologue.
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