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Les bêtes qui disparaissent

Toussenel écrivait dans La Zoologie passionnelle : « La chasse est le plus ancien des arts. L’humanité lui doit son premier manteau et son premier « roastbeef ». » Ceci est vrai : la chasse fut aux premiers âges d’une utilité naturelle. L’atavisme a laissé aux hommes la marque de leur origine. Je ne parlerai pas ici de la disparition de toutes les espèces depuis le premier jour. La tâche serait, n’est-il pas vrai ? un peu lourde.

Parlons du loup. Du Fouilloux écrivait qu’ « entre les animaux sauvages vivants dans les bois et subjects à la chasse des hommes et des chiens, le loup est le plus méchant qui plus fait de mal et de nuisance et plus mérite d’être questé, couru, chassé et halé des chiens et des hommes ».

En fait, au XVIIe siècle, le loup faisait de grands dommages aux bêtes et aux gens dans les régions françaises. C’est à cette époque et devant le danger que présentait le nombre considérable de loups que fut institué dans notre pays l’organisme des tueurs de loups. De 1860 à 1870, on trouvait, malgré l’effort de défense contre ce véritable fléau, de nombreux loups dans les Ardennes, en Bretagne et en Vendée.

Dans son volume Gibiers rares en France, Paul Mégnin signalait qu’en 1877 il fut tué en France 555 loups ou louveteaux, la plupart dans le Nord-Ouest du pays.

En 1883, la strychnine intervint, produisant des effets brutaux, et le nombre des loups dans cette région devint bien moindre.

De loin en loin, on a bien signalé quelques loups tombés sous des plombs heureux.

En 1918, dans la Haute-Vienne, une vieille femme fut dévorée par les loups. Depuis lors on n’entend plus parler des loups, ou bien rarement. Lorsqu’on signale la présence d’un loup dans une région française, n’est-ce pas plutôt d’un chien loup allemand qu’il s’agit, qui, par certaines attitudes, ressemble au loup ?

Aujourd’hui, notre vieille institution des lieutenants de louveterie, très utile pour la chasse, ne courre plus le loup. Ses offices sont dirigés vers la destruction des nuisibles : sangliers, renards, blaireaux et putois. Ils ont eu, après cette longue guerre, beaucoup à travailler pour protéger le gibier, combattre les déprédations des récoltes et des poulaillers.

Nous sommes bien partisans de la protection des espèces. Mais, étant donnés les dommages causés par les loups, nous ne demanderons pas la protection des loups si, d’aventure, il s’en cachait dans les forêts de France !

Je signale, après la mort des derniers loups, l’extinction en France d’un bel oiseau coureur : la grande outarde, qui, autrefois, hantait les plaines pierreuses de la Champagne et de la Vendée. Avec le grand tétras et la grue, c’était le plus grand oiseau de notre pays (12 à 13 kilos). Pline disait que les Espagnols l’appelaient Otis tarda très certainement à cause de sa lenteur à s’élever après l’envol.

Mon père, en 1882, en tua une sur les bords de l’Orne. Joseph Oberthür m’a dit en avoir levé deux en Poitou, ces deux gros oiseaux étant partis hors de portée.

On en trouve aujourd’hui de rares échantillons dans la marisma espagnole. Au Maroc, on en lève de loin en loin. Baudrillard écrivait en 1834, dans le Dictionnaire des chasses, que « les outardes sont craintives et méfiantes. Elles courent avec rapidité et fournissent de longues courses. Mais elles prennent leur volée avec peine. Toutefois elles peuvent se soutenir quelque temps en l’air. Elles ne s’élèvent qu’après avoir parcouru un certain espace les ailes étendues. Il leur arrive souvent, quand il y a du verglas, de ne pouvoir s’envoler, ce qui rend leur capture facile. »

Mais il n’y a pas de verglas tous les jours, et je pense que ce qui a facilité la capture de la grande outarde et sa disparition dans nos régions, c’est surtout la chasse à cheval et aux filets et, par temps de neige, la chasse à l’hameçon. Ces chasses furent trop longtemps pratiquées en France.

À côté de sa grande sœur, la petite outarde, elle, n’a pas disparu. Appelée canepetière dans la partie Nord de la France, on l’appelle outarde dans le Midi. C’est un oiseau de la taille d’un faisan, très grand coureur aussi, d’un plumage fin, mimétique. Elle passe dans nos plaines en octobre par bandes qui peuvent être considérables (j’ai vu des bandes de 40 dans le Midi et des bandes de 200 en Beauce). Très farouches aussi, mais partant franchement. Je me souviens des premières outardes que j’ai tirées à l’âge de seize ans sur la plaine de la Garonne.

Elles s’étaient levées de fort loin à Truquet, une vaste plaine assez isolée et, par conséquent, propice à leur pose. Je les suivais des yeux : gentiment, elles se posèrent près d’une gravière où un cheminement à l’abri des vues me permettait des les approcher ... J’étais bien ému, mon cœur battait à coups redoublés.

Je sortis de ma rangée de topinambours ; les canepetières se levèrent avec un sifflement adorable. Je fis coup double au premier coup et en tuai une troisième du second. J’étais fier de la réussite d’une de mes premières chasses. Depuis cette lointaine époque, j’ai tué un certain nombre de petites outardes dans la même plaine, mais je n’ai pas renouvelé mon coup de trois.

J’ai le sentiment que ce migrateur diminue assez sensiblement, malgré sa sauvagerie : je le regrette, c’était un oiseau digne de la convoitise du chasseur.

Depuis 1919, le râle de genêt est dans le même cas. Nous en trouvons moins que jadis dans les maïs humides. J’ai dit, dans une précédente chronique, que le tir du râle n’était pas tir de grand sport et que ce grand coureur détraquait les meilleurs chiens ; c’est incontestable, mais le râle a une grande qualité : c’est un mets vraiment exquis, ce qui lui vaut notre grande estime.

La caille elle-même est moins nombreuse qu’autrefois : il est vrai que les étés secs que nous avons longtemps subis lui faisaient rechercher des contrées plus fraîches. Et puis la date de l’ouverture de la chasse a été retardée d’une quinzaine de jours. Pendant ce temps, hélas ! les cailles ont pris l’envol vers d’autres régions.

Les bêtes qui disparaissent ? J’ai parlé du loup de naguère, de certains migrateurs. Mais les sédentaires ; le nombre des chasseurs a beaucoup augmenté en vingt ans, ce que je trouve très bien ; mais il faut que l’État donne à ces chasseurs, en échange du prix relativement important des permis, des occasions de tir plus fréquentes qu’en cette année 1948. Il faut intensifier l’élevage du lapin (dans certaines régions), du lièvre et du perdreau. Mais à quoi bon élever ce coûteux gibier si le braconnage sévit avec virulence ? Si les trous des lapins sont, les uns après les autres, visités par les furets, même dans les réserves communales, et si les perdreaux sont, la veille de l’ouverture, adroitement panneautés dans nos plaines ?

C’est aux chasseurs respectueux des lois sur la chasse qu’il appartient de se défendre contre les braconniers si nombreux aujourd’hui, adversaires égoïstes de la collectivité. Il faut augmenter les sanctions de façon que le braconnier, en faisant la comparaison entre le produit de la vente du gibier et l’amende lourde, n’ait pas intérêt à braconner. Sans cela, il sortira du tribunal en pensant : « Je tâcherai de faire mieux la prochaine fois. »

La Fédération, les gardes communaux ou privés font ce qu’ils peuvent. Des progrès ont été déjà constatés quant aux sanctions ; elles sont encore insuffisantes.

Avec énergie, il faut combattre le mal, sinon en France le gibier sédentaire ne sera bientôt plus qu’un souvenir.

Jean DE WITT.

Le Chasseur Français N°625 Mars 1949 Page 338