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La culture physique pour tous

L'exercice

et l'équilibre de la nutrition

Se nourrir est une fonction, et même, penseront les gourmands, une prérogative des êtres vivants. Par cette nutrition, ceux-ci renouvellent sans cesse leur substance avec des aliments qu’ils empruntent au monde extérieur. Les corps inanimés peuvent, il est vrai, au hasard des circonstances, se transformer chimiquement par réaction des uns sur les autres ; mais ce n’est pas là entretenir son individualité en s’assimilant des matières étrangères. Au contact de l’air, le fer absorbe de l’oxygène ; mais alors il devient rouille, qui n’est plus du fer. Tandis que l’être vivant digère les aliments les plus variés, c’est-à-dire qu’il les transforme en substances qui, plus ou moins longtemps, feront partie de son corps.

Remarquons aussi que les corps inanimés peuvent persister longtemps tels qu’ils sont, tandis que, faute d’entretenir leur forme et leur structure en se nourrissant, les vivants meurent et se désagrègent en leurs constituants chimiques élémentaires.

Le sens commun a toujours reconnu la nécessité de manger pour vivre ; mais on ne sait pas assez que cette nécessité résulte de ce que le corps ne vit qu’en se détruisant, de sorte qu’il faut sans cesse lui fournir de quoi se réparer. On peut supprimer tout apport alimentaire pendant quelques jours ; on ne peut arrêter plus d’une minute — le temps de suspendre sa respiration — la désintégration, la fonte de ses tissus ; et si l’on vit quand même pendant le jeûne, c’est que l’organisme trouve dans les réserves de sucre, de graisse et d’albumine qu’il a faites de quoi fonctionner quelque temps. Mais cela ne peut durer longtemps, comme on sait ; même dans l’inaction absolue, on finit par mourir de faim, en huit jours si l’on ne boit ni ne mange, en un mois si l’on ne boit que de l’eau.

Mais si la nourriture entretient la vie, vit-on d’autant plus et mieux que l’on mange davantage ? Certains le croient, ou font semblant de le croire ; mais c’est un assez bon moyen d’abréger ses jours par obésité, arthritisme, artério-sclérose, apoplexie et tant d’autres misères dont sont accablés ceux qui s’alimentent plus que ne l’exige leur activité. Car si l’on absorbe plus qu’on n’use, l’excès de nourriture, étant inutilisable, ne peut qu’encrasser et détraquer la machine humaine,

Ainsi, la nutrition comporte deux phénomènes étroitement liés, l’assimilation et la désassimilation ; et c’est la désassimilation qui provoque et règle la nutrition : sans elle, il ne peut y avoir d’assimilation. Il faut que la destruction des vieilles substances donne aux nouvelles des places à occuper.

Ainsi la matière vivante n’est pas stabilisée en de fermes combinaisons chimiques comme le sont les matières inertes. Elle groupe dix à douze sortes d’atomes — dont quatre principaux — en très grosses molécules, parfois énormes. Ainsi l’albumine, la plus caractéristique des substances vivantes, ne comporte guère, en atomes constituants, que de l’oxygène, de l’hydrogène, du carbone et de l’azote ; mais ces atomes se combinent par centaines — et non par deux, trois ou quatre comme dans les corps inertes — pour former des édifices moléculaires compliqués, peu cohérents, instables, qui, peut-on dire, se disloquent et s’écroulent aussitôt qu’ils atteignent leur structure normale. Ils sont donc, tant que l’être vit, en perpétuelle réparation ou rénovation. La vie ne résulte pas de l’existence de matières albuminoïdes, mais de ce que celles-ci s’usent et se régénèrent sans arrêt ; l’arrêt de ces transformations bio-chimiques — ou nutritives — équivaut au retour à l’inertie des minéraux, à la mort.

La désassimilation est une désintégration, ou, plus simplement, une oxydation des molécules organiques. L’oxygène, apporté par la respiration, prend leur hydrogène et leur carbone pour faire de l’eau, de l’acide carbonique, de l’urée, qui s’éliminent par les poumons, la peau et les reins. Cette oxydation de la matière vivante est la raison même de la respiration, qui ne peut s’arrêter sans entraîner la mort. Il nous faut respirer, parce qu’il faut que nous nous oxydions, autrement dit que nous nous détruisions.

Mais, aussitôt détruits, nos tissus et organes doivent être reconstruits ; intervient donc l’assimilation, qui, avec nos aliments digérés, fabrique des sucres, des graisses, des albumines qui ont exactement la structure chimique de nos substances, structure qui est assez différente de celle des aliments.

Si l’alimentation ne nous apporte pas assez de matières assimilables pour compenser nos oxydations, nous dépérissons peu à peu ; et, finalement, nous mourons d’inanition. Notre désassimilation s’est bien ralentie pour lutter contre la famine, mais elle n’a pu s’arrêter.

Qu’au contraire l’alimentation nous apporte plus de substance que nous n’en désassimilons — et le cas est bien plus fréquent que l’inanition, — ces substances n’ont point leur emploi vital ; elles encombrent l’organisme de réserves et de toxines ; l’obésité, l’arthritisme, le vieillissement précoce résultent de ce ralentissement de la nutrition.

On conçoit donc qu’il ne faudrait prendre de nourriture qu’en proportion de ce que l’activité vitale désassimile ; mais il faut voir aussi qu’il y a intérêt à désassimiler assez abondamment, puisque c’est assurer une rénovation accélérée et plus complète de nos substances constitutives, ce qui revient à maintenir leur jeunesse autant que possible.

Stimuler la désassimilation, c’est augmenter nos oxydations en faisant détruire nos réserves nutritives et nos vieux tissus par l’oxygène que nos poumons prennent dans l’atmosphère. L’activité physique, le travail de nos muscles déterminent une consommation d’oxygène de deux à six fois supérieure à celle qui se fait au repos, de sorte qu’il y a de deux à six fois plus de substances désassimilées ; grande évacuation de déchets, réserves et vieux matériaux ; place nette pour des substances vitales neuves que l’assimilation va constituer et fixer où il convient. Rajeunissement général ou, tout au moins, freinage du vieillissement.

On pensera peut-être qu’il est assez vain de se donner tant de mal pour détruire ce qu’il faut nécessairement reconstruire. Mais la vie n’est, biologiquement, que cette transformation continue de matière, comme la flamme d’une bougie n’est ni la bougie, ni sa mèche, ni l’allumette dont on l’allume, mais le « phénomène » de combustion. Mieux brûle la bougie, plus sa flamme est claire, chaude, et même plus sa forme est belle.

La nutrition s’équilibre, entre désassimilation et assimilation, à des taux divers, qui dépendent non de ce qu’on mange, mais de ce qu’on oxyde. L’activité physique se trouve restreinte, chez la plupart des gens, par les conditions de la vie moderne, alors qu’il y a de grandes facilités à se bien nourrir. La mauvaise santé qui en résulte est moins à combattre par des restrictions alimentaires que par une augmentation des dépenses d’énergie musculaire, par des oxydations massives de toutes ces substances nutritives dont l’organisme s’encombre et s’empoisonne.

Si les enfants et jeunes gens ont besoin d’exercice pour croître robustes et sains, les adultes, les personnes « sur le retour », les vieillards ont à lutter contre la dévitalisation progressive de leurs tissus et humeurs ; c’est le ralentissement de leur désassimilation qui les alourdit et enraidit, diminuant de jour en jour la puissance fonctionnelle de leurs organes. Leur salut est dans cet exercice physique auquel ils se soustraient si volontiers, prétextant que « ce n’est plus de leur âge ». Mais, à tout âge, la ration quotidienne d’exercice est aussi nécessaire que la ration de nourriture ; et l’équilibre entre ces deux rations est indispensable pour que la vie s’entretienne en nous, facile et vigoureuse.

Dr RUFFIER.

Le Chasseur Français N°625 Mars 1949 Page 357