Le sarrasin ne couvre plus guère, en France, que 260.000
hectares, dont les 2/3 dans les départements bretons : Côtes-du-Nord,
Finistère, Ille-et-Vilaine, Loire-Inférieure, Morbihan, et limousins :
Haute-Vienne et Corrèze. Le rendement moyen est de 10 quintaux à
l’hectare, soit une production totale de 2.600.000 quintaux, le tiers environ
de la production du seigle.
Il a rendu, pendant la guerre, d’appréciables services, non
seulement dans les campagnes, mais dans les villes, où galettes et crêpes de
sarrasin, qui échappaient plus ou moins à la répartition, ont été appréciées de
maints citadins qui ne les connaissaient jusque-là que de réputation.
La valeur alimentaire du grain est un peu inférieure à celle
du blé, en raison de sa plus forte teneur en cellulose, mais il n’en constitue
pas moins un excellent aliment, tant pour l’homme que pour les animaux, et
particulièrement pour les volailles et les porcs. On lui reproche de donner des
démangeaisons aux chevaux. Il faut éviter de le donner aux moutons, auxquels il
cause une maladie dite fagopyrisme, qui se traduit par des troubles cutanés et
une dépigmentation de la peau. La paille a un peu les mêmes inconvénients. Elle
est d’ailleurs grossière et de mauvaise conservation, car elle est récoltée
avant maturité. Elle peut servir cependant de litière.
Le gros intérêt de cette culture est son peu d’exigences en
matière de sol. Le sarrasin s’accommode de terres médiocres, et, à l’inverse de
la plupart des plantes cultivées, ses préférences vont aux sols légers, meubles
et acides ; c’est ce qui le rend précieux pour la mise en valeur des
régions à sous-sol formé de roches éruptives et cristallophylliennes. S’il est
accommodant pour la nature du sol, il n’en va pas de même pour le climat, qu’il
demande doux et humide sans excès. Il craint les coups de vent chauds qui font
avorter les fleurs, mais aussi les gelées, les brouillards et les pluies
prolongées. C’est donc une plante délicate à rendements aléatoires.
La rapidité de sa végétation permet de le faire venir en culture
dérobée, après une céréale précoce, un trèfle incarnat ou un fourrage annuel,
avant un blé ou un seigle. Le rendement est évidemment inférieur à ce qu’on
aurait obtenu en culture principale ; il constitue cependant un supplément
de production appréciable.
Sa fumure est trop négligée, ce qui est une des causes de sa
médiocre productivité. Venant en sols superficiels, pauvres en acide
phosphorique, ne disposant que d’un système radiculaire réduit, ses besoins en
principes fertilisants sont d’autant plus impérieux que son développement est
plus important et plus rapide. On devrait lui donner, au minimum, 15.000
kilogrammes de fumier à l’hectare, ou l’équivalent en engrais organiques, 300 kilogrammes
de superphosphates, 100 kilogrammes de chlorure de potassium et 100 kilogrammes
de nitrates ou d’ammonitrates.
Un autre obstacle à sa productivité vient de ce qu’il
est négligé des sélectionneurs. Alors que chaque année voit sortir de nouvelles
variétés de blé, on continue, comme par le passé, à cultiver le sarrasin commun
à fleurs blanches et grains noirs, le sarrasin argenté à grains gris avec la
face bombée, qui lui est un peu supérieur, et, en terres calcaires, le sarrasin
de Tartarie à fleurs verdâtres, qui est surtout une variété fourragère.
N’ayant pas grand secours à attendre de l’extérieur, le
producteur devra compter sur lui pour assurer sa semence, qu’il choisira dans
un champ de bonne végétation bien récoltée et bien conservée, conditions
essentielles pour qu’elle ait conservé sa faculté germinative. Les grains
seront soigneusement nettoyés et ventilés. On conseille habituellement de
choisir les plus denses, reconnus par trempage dans l’eau salée à 10
p. 100. Ne pas oublier de laver ensuite à l’eau pure et de sécher.
Alors que les graminées mûrissent en bloc, le sarrasin, qui
est une polygonée, étage sa maturité, de sorte qu’on trouve sur la même
inflorescence des grains mûrs et d’autres qui ne le sont pas. Si on récolte
tôt, il y a une forte proportion de grains verts ; si on tarde, il y a
perte par égrenage. On s’efforcera de garder un juste milieu, et il semble que
le moment le plus favorable soit celui où les tiges sont rouge vif ou violacé,
ce qui correspond au maximum de graines mûres en même temps. Cette période se
place entre le 15 août et le 30 septembre, suivant que les semis ont
été plus ou moins précoces.
Mais, à ce moment, la paille n’est pas mûre, c’est pourquoi
il faut se méfier de l’humidité. On fait de toutes petites gerbes dont on
surveille attentivement le séchage, qui est toujours long et parfois difficile.
La récolte, une fois rentrée, est aussitôt battue. Le grain n’est pas encore
bien sec et doit être étendu en couches minces et fréquemment pelleté ou tararé,
surtout au début. Il y aurait à craindre autrement l’échauffement et la
moisissure.
Le sarrasin, malgré ses qualités, ne semble pas appelé à
connaître une nouvelle prospérité, et la superficie qui lui est consacrée
tendra d’autant moins à augmenter que les autres céréales, favorisées par les
recherches dont elles sont l’objet et l’amélioration des techniques agricoles,
le refouleront ; sa production peut cependant s’accentuer par une
augmentation du rendement unitaire. Avec des doses plus importantes d’engrais
et un meilleur choix des semences, celui-ci peut s’élever sensiblement. En
bonne culture, on arrive à une vingtaine de quintaux à l’hectare, ce qui laisse
une marge d’amélioration assez large aux moyennes actuelles.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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