Dans un précédent numéro (1) du Chasseur Français,
nous avons exposé deux grandes causes de gaspillage de bois :
1° Le gaspillage de bois sur pied ;
2° Le gaspillage de bois au cours de l’abatage.
Nous allons parler maintenant du gaspillage du bois, d’une part,
pendant le transport et en scierie et, d’autre part, au cours de l’utilisation,
en espérant que cela pourra inciter chacun à économiser ce matériau qui est
précieux pour l’humanité entière et qui est plus rare qu’on ne veut bien le
croire habituellement.
Gaspillage pendant le transport et en scierie.
— On laisse trop souvent les grumes abattues stagner
pendant de longs mois sur les coupes ou dans les fossés des routes avant de les
débiter.
L’échauffure du hêtre, le bleuissement du pin, si souvent observables
sur les planches de ces essences, n’ont pas d’autre cause ; les bois
abattus en sève qui passent tout un été en forêt, avant d’aller en scierie,
sont toujours atteints. D’autres fois, ce sont des grumes écorcées, par exemple
des grumes de résineux, qu’on laisse exposées aux ardeurs du soleil d’été et
qui se couvrent de fentes, allant jusqu’au cœur. Tous ces dégâts peuvent aussi
se produire sur les parcs à grumes mal conditionnés. Il est facile d’y remédier
en sortant rapidement les grumes de forêt et en les stockant dans des parcs à
grumes propres et sains, avec un coin abrité du soleil pour les grumes sujettes
à se fendre. Le hêtre, le pin doivent être débités très vite.
Le sciage nécessite ensuite des ouvriers spécialisés de
qualité, qu’on ne possède pas toujours. C’est le scieur qui, en griffant bien
sa grume sur le chariot diviseur ou en la calant bien sur la table mobile,
réduit au maximum les pertes en dosses et en délignures. C’est aussi du choix
de la lame, de sa tension, de son affûtage que dépend la quantité de sciure qui
sera arrachée à la grume. Trois à quatre dixièmes du volume des grumes entrant
en scierie peuvent ainsi s’en aller en chutes et en sciure. Ceci représente
presque le volume des sciages que la France est obligée d’acheter à l’étranger.
Ces chutes et ces sciures servent parfois à fabriquer de la force motrice avec
un rendement médiocre et à un prix élevé, mais ceci n’est pas une bonne
utilisation. Rarement on vend les sciures à des usines qui les conditionnent ou
font de la farine de bois. Le plus souvent on les accumule en tas encombrants
ou on paie un ouvrier pour les brûler en pure perte. L’utilisation accrue des
chutes et des sciures en cartonnerie, ou pour faire des agglomérés, ou comme
charge pour les matières plastiques, est une question primordiale.
Le stockage mal compris des bois débités est aussi une cause
de pertes. Sur les chantiers mal aérés, non débarrassés des mauvaises herbes,
où les tas ne sont pas largement isolés du sol, les champignons et les insectes
font des ravages. D’autre part, les planches, mal protégées centre les rayons
brûlants du soleil, mal empilées ou mal « épinglées », se déforment
et, lors de l’emploi, donnent des pertes considérables au rabotage. La
récupération et l’utilisation des copeaux, plus faciles à résoudre que celles
de sciures, posent aussi un intéressant problème.
En conclusion, il dépend du scieur, par une bonne
organisation de son usine et un bon choix des lames, de réduire au maximum les
inévitables pertes en dosses, délignures et chutes, et il appartient aux
industries de produits synthétiques de développer au maximum l’utilisation de
ces déchets. Nous y reviendrons. Un des principaux points de la lutte contre le
gaspillage est là.
Gaspillage au cours de l’utilisation.
— Cette question est celle de l’emploi rationnel des
bois dans les diverses techniques et industries.
On gaspille du bois au cours de son utilisation en
charpente, menuiserie, ébénisterie, tonnellerie, etc., soit parce qu’on emploie
plus de bois que cela est nécessaire eu égard à la solidité recherchée, soit
parce qu’on fait trop de chutes au cours du débit et du façonnage (un bon
traceur est ici nécessaire).
On emploie trop de bois. Les charpentes anciennes,
terriblement lourdes, utilisaient un cube énorme de bois, des poutres de
dimensions largement supérieures aux dimensions nécessaires de sécurité.
Souvent aussi (malheureusement cela se fait encore de nos jours), on emploie,
pour la charpente, des bois non protégés qu’envahissent des insectes
(longicorne des maisons) ou des champignons (mérule), et il faut remplacer
prématurément la charpente. Dégoûté, on se tourne vers le fer ou le béton. Il
est possible de nos jours de calculer les pièces avec exactitude (normes de
l’Association française de normalisation). De bons ouvrages techniques existent
à ce sujet. De grands progrès ont été faits dans la conception même des
charpentes (pièces lamellées, charpentes alvéolaires) et dans les assemblages (emploi
de goujons d’assemblage, charpentes collées). Ceci réalise de sensibles
économies de bois. Enfin on sait mieux protéger les bois, avant mise en œuvre,
contre les parasites.
La menuiserie, elle aussi, a évolué. Les parquets, lambris
et panneaux de portes de bois massif étaient sans contestation d’un très bel
effet ornemental. Ils deviennent inabordables quant aux prix. De plus en plus,
on les remplace par des matériaux synthétiques (parquets sans joints en
agglomérés bois-ciment, lambris et portes en contreplaqués ou en panneaux de
fibres, etc.) qui réalisent une économie de bois et augmentent la rapidité de
la pose.
L’ébénisterie doit évoluer elle aussi. On reste plein
d’admiration déférente devant les meubles anciens, dont les énormes masses de
bois furent sculptées avec art par les artisans des siècles passés. Mais leur
technique n’est plus compatible avec la rareté actuelle du bois d’ébénisterie,
et son prix avec le coût de la main-d’œuvre, avec les prix des transports. Le
meuble s’est allégé sans forcément pour cela perdre en qualité. Les bons
artisans d’aujourd’hui font des meubles légers pas plus sensibles au retrait
que les meubles anciens, peut-être moins déformables. Il faut pour cela qu’ils
soient faits avec le soin qui caractérisait l’artisan d’autrefois et non en
séries bâclées. Le contreplaqué, les âmes lamellées ou lattées ou en panneaux
de fibres, les placages tranchés ou déroulés, les panneaux synthétiques, les
vernis et teintures les plus récents permettent, tout en sauvegardant et même
en enrichissant l’effet ornemental, de réaliser d’intéressantes économies de
bois précieux.
On pourrait multiplier à l’infini ces exemples de révolution
de la technique des industries du bois dans le sens de l’économie de ce
matériau par une amélioration des conditions d’emploi.
L’amélioration des bois constitue une importante question
qui mérite un article spécial. La lamellation, la compression, la résinification,
combinées ensemble, révolutionnent la technique de la mise en œuvre des bois.
De même la fragmentation du bois en fibres ou en farine pour
la fabrication de panneaux ou de matières plastiques ouvre au bois un étrange
et intéressant avenir. Nous nous promettons d’en reparler ici plus longuement.
Pour conclure, nous pouvons dire qu’il appartient au
forestier, à l’exploitant et au scieur d’économiser le bois sur pied, au cours
de l’abatage, pendant le transport et au cours du stockage ou du débit en
scierie. C’est une question de soin et de modernisation de l’outillage.
Il appartient à l’artisan et à l’industriel du bois de ne
pas employer le bois en excès, mais en quantité soigneusement calculée, et de le
remplacer par d’autres matériaux tirés du bois avec un rendement supérieur
(placages, panneaux synthétiques, matières plastiques, etc.). En outre,
l’utilisateur, par un traçage habile des pièces sur les plateaux, aura à cœur
d’économiser le bois. Et aussi l’utilisateur n’exposera pas le bois sans
protection aux intempéries, aux altérations, ni aux parasites. Il appartient
enfin au mécanicien, au chimiste, à l’industriel, de perfectionner le débit des
bois (sciage, tranchage, déroulage, défibrage) ou leur transformation chimique
(distillation, hydrolyse, cellulose, lignine) et les techniques de mise en
œuvre de ces matériaux (assemblages, collage, ignifugation, vernis protecteur,
contreplacage, amélioration, panneaux, matières plastiques, dérivés chimiques
des celluloses et lignines, etc. ...).
Ce programme est excessivement vaste et il fait l’objet
actuellement de recherches poussées même dans des pays riches en forêts comme
la Scandinavie ou les U. S. A.
LE FORESTIER.
(1) Voir le Chasseur Français, no 620.
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