NE certaine émotion a été soulevée aux États-Unis par le
rapport annuel de M. James Forrestal, secrétaire à la Défense nationale,
faisant mention d’« îles interplanétaires », véritables « lunes
artificielles », que les ingénieurs américains envisagent de lancer autour
de la terre ... pour des buts stratégiques, évidemment !
Le véhicule de l’infini.
— Personne n’ignore qu’à la célèbre station d’essais de
White Sands, dans les déserts du New-Mexico, les Américains mettent au
point, depuis trois ans, des « engins auto-propulsés » dérivés du
fameux « V-2 » allemand. Aux dernières nouvelles, une de ces fusées « semi-interplanétaires »
aurait atteint l’altitude record de 210 kilomètres ; des
photographies, prises par des appareils automatiques, montrent nettement un
aspect « astronomique » de notre planète, la rotondité de la terre.
Comment fonctionnent ces engins, capables de gravir les
marches invisibles de l’infini ? Essentiellement par « réaction »,
tout comme les avions sans hélice qui viennent — enfin ! — de
percer le « mur du son ». Mais, tandis que le turbo-réacteur d’aviation
aspire l’air atmosphérique par devant et le rejette vers l’arrière à une
prodigieuse vitesse, grâce à la dilatation produite par la combustion de l’essence,
le propulseur du V-2 et des fusées américaines trouve en lui-même tous les
éléments nécessaires.
Un réservoir de « comburant » (oxygène liquide,
acide nitrique, protoxyde d’azote) et un réservoir à combustible (alcool,
aniline) envoient leurs produits dans une chambre de combustion, où ils donnent
naissance à une longue flamme qui s’échappe vers l’arrière par une tuyère. C’est
la réaction — le « recul », comme disent les artilleurs — de
ce jet violent qui propulse l’engin en sens inverse. La fusée ne prend pas
appui sur l’air ; elle marche mieux dans le vide : c’est donc l’engin
« interplanétaire » rêvé.
Un « astro-pilote » va partir !
— Aux dernières nouvelles, les Américains ont reconnu
que la lune peut être atteinte sans qu’il soit nécessaire de faire appel à l’énergie
atomique. Le projet comporte une « fusée-tronçons » de 51 tonnes,
propulsée par alcool et oxygène liquide, qui abandonnera quatre tronçons
successifs, à mesure qu’ils seront vides, lorsqu’elle avancera dans l’espace.
Le dernier tronçon, seul utile, pesant 4 kilos et demi, viendra « alunir »
à la surface de notre satellite, où il produira un violent éclair de magnésium,
visible dans nos télescopes ; on envisage également de lui confier un
poste radar, dont nous capterons les ondes ... si le poste ne se fracasse
pas en tombant sur la lune, puisqu’il ne saurait être question de le confier à
un parachute, sur cette planète privée d’atmosphère !
Les volontaires affluent, dit-on, pour monter dans la
première fusée — un peu plus volumineuse, espérons-le ! — destinée à
percuter la lune. Les problèmes d’alimentation, de ventilation et de chauffage
ont été mis au point ; on étudie l’effet de la suppression de la
pesanteur et celui des rayons cosmiques.
Comment construire les îles interplanétaires ?
— Passe encore de cheminer à travers l’espace ;
mais s’y arrêter au point fixe pour ... bâtir une île d’acier, il faut avouer
que l’entreprise paraît chimérique !
On a parlé d’une région où la pesanteur serait « nulle » ...
C’est là une erreur, car la pesanteur terrestre, bien que décroissant comme le
carré de la distance, ne s’annule jamais, quelle que soit cette distance.
Certaines dépêches américaines donnent à croire que les « îles Forrestal »
seraient construites à 350.000 kilomètres de la terre, au point approximatif où
l’attraction de la terre et celle de la lune se font équilibre. Mais l’extrême
éloignement de ce point, ainsi que le fait que les « lunes artificielles »
tourneraient autour de la terre en vingt-huit jours, comme la lune véritable,
ôtent pratiquement tout intérêt à cette variante du projet.
La vérité — et la présence d’ingénieurs allemands parmi
les spécialistes américains de la Marine et de l’Aviation chargés d’étudier le
projet actuel est de nature à lever tous les doutes à ce sujet — est que
les Américains ont très certainement repris le projet allemand d’îles
interplanétaires construites à 36.000 kilomètres de la terre (donc à 30.000
kilomètres de la surface), lancées transversalement à 3 kilomètres par
seconde et tournant, par conséquent, autour de la terre en vingt-quatre heures.
Dans ces conditions, la force centrifuge équilibre exactement la
pesanteur, et l’île peut continuer sa course indéfiniment.
Le « rayon ardent » menace ...
— Du haut de cet observatoire aérien, les veilleurs de
l’espace verront la terre se déployer sous leurs yeux comme une carte. Lancée
dans le plan équatorial, l’île demeurera éternellement au zénith d’une ville de
la Terre également équatoriale, telle que Quito ; une station terrestre
pourra donc demeurer aisément en contact radio-électrique avec elle, sans la
voir jamais disparaître sous l’horizon. Si les occupants de l’île utilisent des
tuyères réactives, ils pourront accélérer ou ralentir légèrement le mouvement,
ce qui leur permettra d’explorer progressivement du regard la moitié de la
planète, les pôles exceptés.
Au point de vue ... stratégique, ces planètes de l’espace
se prêteraient à la surveillance des continents ; aucun mouvement de
troupes, aucune activité d’usine ne pouvant échapper aux observateurs. On
envisage de transformer le dessous de l’île en un gigantesque miroir concave,
capable de concentrer les rayons du soleil sur tel ou tel point. Ce « rayon
ardent » permettrait, paraît-il, d’incendier les forêts et les villes, de
faire périr les ... militaires et les civils par centaines de mille, d’assécher
les rivières, de vitrifier le sable des plages (?) ... Sur un plan
pacifique, les observateurs pourraient transpercer et peut-être disloquer les
systèmes nuageux, modifier les climats, fondre les neiges, enfin exercer sur la
planète une surveillance de police, dont l’humanité présente, avouons-le, a le
plus urgent besoin.
Pierre DEVAUX.
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