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Philatélie

Saint-Thomas

Revenons au fonctionnement des Postes dans l’île (1). Lorsque les timbres-poste commencèrent à être utilisés, Saint-Thomas possédait deux bureaux de poste officiels, l’un danois, l’autre britannique. Cette dualité devait être pour les autorités danoises la source d’ennuis diplomatiques multiples, car les Anglais de cette époque avaient l’innocente habitude de se considérer partout comme en territoire conquis et d’agir en conséquence. D’une part, le bureau britannique appuyé par la puissance de la flotte commerciale et la proximité de nombreuses colonies riches et puissantes ; de l’autre, le bureau danois d’un territoire perdu et isolé d’un petit État sans grande puissance. La partie n’était pas égale.

Aussi, si l’on se basait sur les correspondances de cette époque, aurait-on tendance à considérer la petite île comme un territoire britannique. À cette époque, tout le courrier maritime, le seul qui comptait, passait par la voie anglaise, et le bureau danois en était réduit au rôle subalterne de poste locale. La situation ne changea qu’en 1867, initialement du fait de la France. Notre pays obtint pour la Transatlantique des avantages portuaires équivalents à ceux obtenus par la Royal Mail Steam Packet. Par la suite, afin de répondre aux vœux d’une colonie française assez nombreuse, très agissante et pas mal anglophobe, il envisagea l’ouverture d’un bureau de postes français, pendant du bureau britannique. D’autres pays affichèrent les mêmes prétentions : les États-Unis, l’Espagne, la Hollande.

De l’excès du mal naquit la réaction salutaire. En 1867, les timbres des Antilles danoises avaient déjà été déclarés valables pour le pré-paiement des ports pour l’étranger. (Avant cette date, des lettres pour l’étranger avec timbres danois sont pratiquement inconnues.) Et peu à peu, surtout grâce à l’aide indirecte des compagnies de navigation non britanniques, le bureau danois reprit la souveraineté qui lui revenait.

Pour résumer, en ce qui concerne les lettres de cette époque d’origine danoise :

a. De 1855 à 1867, timbres utilisés seulement pour les besoins locaux, très modestes, d’autant plus que la poste officielle était boycottée par les habitants parce que trop onéreuse. Les lettres originales avec timbres sont excessivement rares, un peu plus d’une vingtaine étant connues.

b. À partir de 1867, les lettres avec timbres danois sont un peu moins rares en ce qui concerne le courrier local, mais elles restent introuvables jusqu’en 1873 en ce qui se rapporte au courrier vers l’étranger. Les « combinaisons », c’est-à-dire timbres des Antilles danoises et timbres étrangers sur la même lettre, sont moins difficiles à trouver que les lettres pour l’étranger par la voie danoise seule. En passant, notons qu’un assez grand nombre de lettres, entre 1866 et 1873, originaires de l’île à destination de l’étranger et ayant payé la poste danoise, ne portent pas de timbres danois, les droits payés étant indiqués simplement par des cachets postaux. Matière première de choix pour les truqueurs, qui ajoutent le timbre danois manquant et font payer la prime correspondante.

Pendant cette même période, les lettres venant de l’étranger et ayant passé par la poste danoise — et portant le timbre de trois cents de taxe locale — sont encore plus rares que celles ayant suivi le chemin inverse. Seuls quelques rares exemplaires sont connus.

Le bureau anglais n’utilisa jamais officiellement les timbres britanniques avant juillet 1865. Mais on connaît d’assez nombreux exemples de lettres portant ces timbres seuls, et plus encore en combinaison avec des timbres de France ou des colonies générales : U. S. A., Hambourg, Cuba, Danemark, etc. Il semble pourtant que l’affranchissement anglais ou encore Antilles anglaises n’a jamais été reconnu comme valable par les autorités postales britanniques, et qu’il provient simplement de voyageurs en possession de ces timbres.

Aussi leur valeur philatélique réelle est-elle des plus réduite et les prix très élevés qu’on en demande habituellement ne semblent se justifier par rien de solide.

En 1865, le bureau anglais reçut le lot habituel de timbres que nous avons vu précédemment pour les bureaux anglais de l’Amérique latine, c’est-à-dire 1, 2, 3, 4, 6 et 9 pence et un shilling.

Ces timbres sont probablement les plus communs de tous les « used abroad », et leur prime ne s’élève guère au-dessus de deux à trois shillings. Le bureau anglais cessa son activité en septembre 1877.

En marge de l’activité normale du bureau anglais, un accord spécial fut conclu avec une compagnie espagnole « Empresa de Vapores Esp. Correos de las Antilles », qui assurait le service entre Saint-Thomas et Porto-Rico, et le transit pour Cuba, Haïti et Saint-Domingue. Les lettres ainsi transportées portaient des timbres anglais. À l’origine, depuis avril 1866 jusqu’en 1868, aucune marque oblitérante ne fut utilisée ; ces lettres sont très rares. À partir de cette date, le bureau anglais utilisa l’oblitération « D26 », qui est, et de loin, l’indication des « used abroad » la plus rare de toutes. Les timbres britanniques détachés font plus de deux livres de prime, si portant cette oblitération ; le one shilling est inconnu avec. L’on ne peut guère fixer la valeur de ces mêmes timbres sur lettres, car l’on ne connaît en tout et pour tout qu’une seule lettre de ce genre, et qui n’est même pas originaire de Saint-Thomas, mais simplement transitée et d’origine Saint-Domingue. Elle est adressée aux U. S. A. et affranchie d’un four pence, oblitérée D26. Au dos, le cachet rond habituel « Spanish Mail Packet », qui identifie les intéressantes lettres de ce courrier, à défaut de l’oblitération révélatrice.

En dehors des deux bureaux de poste gouvernementaux danois et anglais, fonctionnèrent des bureaux privés, subventionnés par les négociants locaux et utilisant presque toujours des navires de lignes non officielles. Très peu de chose est connue de ces offices privés, qu’on a longtemps confondus avec les agents transitaires (forwarding agents), d’autant plus qu’ils employaient très souvent des marques postales de formes identiques.

Il semble qu’entre 1840 et 1860 il y eut au moins quatre ou cinq différentes organisations de ce genre. L’on ignore tout et de la rétribution qu’elles demandaient pour centraliser le courrier, et de ce qu’elles allouaient aux capitaines de navires pour le transport par mer. Ces lettres, bien entendu, ne portaient aucun timbre-poste d’origine. Au débarquement, elles étaient affranchies en timbres du pays et passaient soit par la voie officielle avec les différentes marques : Ship, Ship letter, etc., ou étaient glissées dans le courant du courrier domestique intérieur dont les tarifs étaient très inférieurs. Ce qui finalement, à cette époque de tarifs très élevés pour les correspondances utilisant des transits officiels de nationalités différentes, se traduisait par une économie substantielle pour les négociants animateurs de ces offices postaux privés.

M. C. WATERMARK.

(1) Voir Le Chasseur Français, no 623.

Le Chasseur Français N°625 Mars 1949 Page 380