Les questions concernant la responsabilité résultant des
dégâts commis par les animaux nuisibles ne cessent jamais d’être d’actualité si
nous en jugeons par la correspondance qui nous parvient. On ne peut dire,
cependant, qu’il se produise, en cette matière, des innovations résultant de la
promulgation de textes législatifs ou réglementaires nouveaux, ou encore de
revirements de la jurisprudence. Les principes que nous avons été amené à
formuler à ce sujet, dans nos causeries, restent inchangés dans leurs grandes
lignes, et la plupart des questions sur lesquelles nos correspondants nous
demandent un avis se réfèrent simplement à ce qu’on appelle des « cas
d’espèce » ; il s’agit, dans la plupart des cas, de faire
l’application des principes de la matière à telle ou telle situation donnée.
Nous ne pouvons songer à entreprendre ici un exposé complet
des règles régissant la matière des dégâts causés par le gibier : cela
déborderait largement le cadre dans lequel doivent se renfermer nos
causeries ; il suffira que nous rappelions qu’en principe la
responsabilité des dégâts dont on se plaint n’est encourue que si ces dégâts
sont la conséquence d’une faute (négligence ou imprudence) imputable à la
personne contre laquelle est exercée l’action en réparation. Rappelons aussi
que, dans la plupart des cas, la faute d’où la responsabilité découle consiste
dans une insuffisante destruction des animaux nuisibles, en sorte que la
personne susceptible d’encourir la responsabilité est celle à qui il appartient
de procéder à cette destruction, c’est-à-dire ou bien le propriétaire des bois
ou des terres servant de refuge aux animaux nuisibles, ou bien le locataire de
la chasse sur ces terres et bois. Dans le cas où la chasse n’est pas louée, le
propriétaire peut seul être l’objet de la demande en dommages-intérêts ;
si la chasse est louée, c’est ordinairement le locataire de la chasse qui
encourt la responsabilité ; mais, même en ce dernier cas, le propriétaire
peut être poursuivi, sauf à lui à se retourner contre le locataire de la
chasse, auquel, en définitive, incombera l’obligation de réparer les dégâts.
La question nous a été posée de savoir si le locataire de la
chasse peut être rendu responsable des dommages causés par le gibier même dans
le cas où c’est pendant la fermeture de la chasse que ces dégâts se sont
produits. La réponse à cette question nécessite une distinction. Tenant compte
du principe rappelé ci-dessus, que la base de la responsabilité doit être
trouvée dans une faute imputable à celui contre lequel est exercée la demande
en dommages-intérêts, on doit en déduire que, dans l’hypothèse envisagée, le
locataire de la chasse pourra ou ne pourra pas être tenu pour responsable,
suivant que la faute qu’on lui reproche est indépendante ou non de la fermeture
de la chasse.
Pour éclairer la distinction que nous venons de faire,
prenons un exemple concret. Dans le cas où la demande en dommages-intérêts
serait fondée sur la faute consistant en ce que le locataire de la chasse
aurait procédé d’une manière insuffisante à la destruction des lapins, le fait
que les dégâts ont été causés pendant la période où la chasse était fermée
serait inopérant si c’est dans la période antérieure à la clôture de la chasse
que le locataire de la chasse a fait preuve de négligence. Au contraire, ce
locataire ne peut encourir aucune responsabilité si, avant la fermeture, il
avait pris toutes les mesures appropriées pour éviter la multiplication
excessive des lapins, et s’il résulte des circonstances que cette
multiplication est la conséquence de la fermeture de la chasse. En définitive,
tout se ramène à une question de preuve à faire. Si le cultivateur qui a subi
les dégâts fournit la preuve de l’existence dans les bois du locataire de la
chasse d’une quantité excessive et anormale de lapins, le locataire ne pourra
échapper à la responsabilité qu’en prouvant que, dès avant la fermeture, il
avait procédé à la destruction avec toute la diligence voulue, et que c’est à
partir du moment où il n’avait plus la possibilité d’y procéder que s’est
produite la multiplication excessive des lapins.
Ce que nous venons de dire suppose d’ailleurs que le
locataire de la chasse ne jouit pas, en période de fermeture, du droit de
détruire les animaux nuisibles. Or il est de principe que ce droit n’est pas
affecté par la fermeture de la chasse, et qu’il peut être exercé pendant toute
l’année. Mais, en ce qui concerne les locataires de la chasse, il n’est pas
interdit de déroger à cette règle par une clause du bail de chasse.
Précisons, en terminant, que les observations qui précèdent
s’appliquent aussi bien quand la location de la chasse a été consentie à une
société de chasse, ou lorsque le droit de chasse est exercé par une société
communale de chasseurs. Il ne résulte de ces circonstances aucune modification
en ce qui concerne la responsabilité en raison des dégâts ; seules les
conditions d’exercice de l’action en justice peuvent se trouver modifiées.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
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