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Panorama du ski français

En 1932, à Cortina d’Ampezzo, la France alignait cinq concurrents au Championnat du monde de ski. Les cinq Français se partagèrent modestement les cinq dernières places.

En 1948, sur l’ensemble de la saison — 3 victoires aux Jeux olympiques, le Kandahar et la Semaine internationale, — nous occupons incontestablement le premier rang du ski mondial.

Quinze années se sont écoulées entre le désastre de Cortina et le couronnement de Saint-Moritz. Cette éclosion supérieure, cette consécration magistrale ne sont pas le fruit d’un hasard heureux, mais l’aboutissement d’un long travail de technique et d’initiation.

Dès 1935, nous avions la joie d’assister à l’épanouissement de deux ou trois très grands champions : Émile Allais, René Beckert, Maurice Lafforgue et François Vignole — lequel demeure le skieur à la fois le plus comblé de dons et le plus accablé du mauvais sort.

Vers 1930, nos stations de ski s’ouvraient aux premiers hivernants étrangers, et les moniteurs — suisses ou autrichiens pour la plupart — y enseignaient la méthode consacrée de l’Arlberg.

Les failles et les imperfections de cette méthode apparurent très vite à nos champions. Allais entrevit le premier la possibilité d’une technique différente, adaptée à notre morphologie et à notre tempérament. Il s’agissait, selon le mot de Baudelaire, de « faire mieux et de faire autre ».

Entouré d’une étincelante équipe — Fournier, Erny, Livacic, Vignole, Beckert, Berthet, — Émile Allais se mit au travail. Après des années de tâtonnements et d’exploration, cette phalange glorieuse avait inventé et codifié un système entièrement neuf, qui allait connaître un épanouissement mondial : la Méthode française de ski.

On peut attribuer le triomphe de cette méthode :

    — au prestige personnel et au rayonnement d’Émile Allais ;
    — aux efforts de Gignoux et Blanchon au sein de la Fédération française de ski ;
    — à l’éclosion spontanée d’une génération de skieurs exceptionnels ;

— enfin au travail obstiné de l’École nationale de ski, qui demeure le véritable laboratoire de notre technique. Cette école, aujourd’hui installée à Méribel-les-Allues, a pour directeur un des pionniers du ski français, René Beckert, et ses moniteurs sont les élèves et les héritiers de l’équipe initiale. C’est là que se forment, chaque année, au stage national, les éducateurs qui enseignent dans nos stations de ski. C’est là que l’équipe de France prendra ses quartiers d’entraînement et de perfectionnement. C’est là enfin qu’on revoit et corrige sans cesse les préceptes techniques et les problèmes d’équipement et de matériel.

Le rôle de l’École est considérable. C’est d’elle qu’est parti un réseau voyageur : Cathiard en Perse, Lafforgue en Suède, Bessonnet au Chili, Albouy et Ravoire aux U. S. A., Lionel Terray au Canada, tous véritables missi dominici du sport français, et de tous les pays a déferlé vers l’Université des neiges un flot ininterrompu de champions et d’éducateurs étrangers.

Les Suisses et les Austro-Allemands n’ont pas vu sans regret l’expansion et la diffusion de notre méthode à travers les pays et les continents. La presse et les films documentaires suisses attribuent curieusement les victoires d’Oreiller et de James Couttet à la méthode helvétique. Par ailleurs, aux États-Unis, une campagne d’une rare violence a été déclenchée par les moniteurs de l’ArIberg qui voient tomber un à un leurs derniers bastions. Mais Émile Allais s’est déjà installé dans la plus grande station de l’Idaho, et les premiers moniteurs américains ont rejoint en décembre dernier notre École nationale.

La valeur pédagogique de la technique française n’est plus à démontrer. S’il nous restait des doutes sur le plan de son efficacité en compétition, il nous suffirait d’établir un tableau synoptique des grandes épreuves depuis un an. Outre les grandes victoires mentionnées plus haut, la Semaine internationale 1949 a marqué une écrasante supériorité de nos représentants. Le slalom est revenu à Henri Oreiller, la descente à Désiré Lacroix, grande révélation de l’année, la descente slalomée à James Couttet. Chez les dames, Lucienne Schmitt-Couttet a remporté deux probantes victoires.

Le seul domaine où nous étions d’une infériorité évidente jusqu’à ce jour était le ski de grand fond. Nous n’avions eu, jusqu’à l’an dernier, qu’un comportement de néophytes et d’apprentis dans cette épreuve qui semblait le monopole définitif des Scandinaves.

Pour la première fois cette année, le jeune Savoyard Benoît Carrara vient de nous donner notre première victoire dans une compétition internationale.

Ainsi nos résultats vont de pair avec notre enseignement. Ils en sont la conséquence et l’illustration. Sur le plan national, les avantages sont incalculables pour notre tourisme et pour notre industrie hôtelière.

À l’extérieur, il est difficile de mesurer déjà les conséquences de notre suprématie. J’ai eu l’occasion de présenter à Stockholm, devant un public averti et enthousiaste, les remarquables films de propagande sur le ski qui sont réalisés et distribués par la Direction générale des sports.

Notre attaché de presse m’assurait qu’une telle manifestation avait autant de poids pour le prestige français qu’une pièce de Giraudoux ou qu’une conférence de Duhamel. Cette appréciation n’est pas excessive. Dans le domaine littéraire ou artistique, la démonstration de notre génie n’est plus à faire. Mais il est important pour notre pays de montrer, auprès de nos grandes traditions culturelles, les formes neuves du génie physique de la race.

Gilbert PROUTEAU.

Le Chasseur Français N°626 Avril 1949 Page 405