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Ski de haute montagne

A saison d’été, favorable aux grandes ascensions, est trop brève au gré des alpinistes, car elle ne dure guère plus d’un mois, du 15 juillet au 15 août.

Au début de l’été, l’enneigement est encore considérable et interdit l’accès des sommets rocheux ; plus tard, après la période généralement orageuse qui suit le 15 août, les journées sont trop courtes pour permettre de très longues ascensions.

Pour peu que le mauvais temps se mette de la partie et survienne quelques semaines trop tôt, comme en 1948, ces vacances dont on aura rêvé pendant un long hiver seront gâchées et les projets longtemps étudiés devront être reportés à l’année suivante.

Aussi les alpinistes ont-ils cherché à parcourir la montagne en d’autres saisons, et c’est par le ski qu’ils ont trouvé le moyen idéal de parvenir à leur but. Ainsi sont nés l’alpinisme hivernal et l’alpinisme de printemps, que l’on est parfois tenté de confondre, et qui sont pourtant très différents l’un de l’autre. Cette différence provient des conditions de la montagne, qui évoluent entièrement d’une saison à l’autre.

En février ou mars, la neige tombe en abondance à basse altitude, mais peu au-dessus des trois mille mètres, car les nuages qui produisent cette neige se condensent dans les régions inférieures ; la petite quantité de neige qui tombe sur les sommets est très sèche, poudreuse, et le vent en débarrasse les rochers bien avant que le soleil n’ait eu le temps de la fondre.

Le résultat de cette combinaison des éléments est une sécheresse des sommets rocheux très comparable à celle du plein été. Il a donné lieu à une nouvelle forme de l’alpinisme, deuxième conquête des principaux sommets difficiles des Alpes.

À vrai dire, si parfois ces nouveaux conquérants ont profité de conditions exceptionnelles, il leur est arrivé bien souvent de rencontrer en haute altitude un vent ou un froid qui leur ont fait payer cher leur réussite.

Avril est une époque de transition pendant laquelle le régime se renverse progressivement : la neige commence à fondre dans les vallées, les nuages s’élèvent, la neige commence à adhérer sur les rochers. C’est une période intermédiaire où la neige est de qualité médiocre et les rochers impraticables. Le temps n’est pas stable, le fœhn souffle fréquemment, les avalanches sont nombreuses et la montagne peu accueillante.

Enfin, vient la période merveilleuse du printemps. La neige a disparu dans les vallées, mais elle commence à couvrir les glaciers, bouchant les crevasses, fondant superficiellement dans l’après-midi pour regeler chaque nuit. Les jours sont très longs et permettent les grandes traversées de cols glaciaires, les longues ascensions de sommets neigeux de haute altitude. C’est l’époque idéale pour gravir ces grands sommets du Valais ou de l’Oberland bernois qui présentent peu de difficultés rocheuses : Mont Rose, Breithorn, Jungfrau, Monch.

On partira le matin au lever du jour, montant dans la neige durcie par le gel nocturne en tirant les skis derrière soi ; on chaussera dans la zone des glaciers, transformant en une longue promenade agréable ce qui serait, en été, une monotone marche d’approche. On flânera longtemps au sommet, même si la course a été longue, car on sait que la plus longue descente, si pénible en été dans la neige profonde, sera, dans la neige homogène de printemps, une splendide glissade qui, en quelques minutes, vous ramènera à votre point de départ.

Et, par un contraste unique au monde, on passera brusquement du domaine des neiges éternelles, de l’atmosphère sans pareille des quatre mille mètres, aux vertes prairies des vallées alpines, retrouvant successivement les colchiques à peine sorties de terre, les pins odorants, les pâturages verdoyants et, plus bas, les arbres fruitiers en fleurs.

Le visage bronzé par le soleil des hauts sommets, les yeux encore pleins du spectacle grandiose admiré là-haut, ivre encore d’une folle descente de deux mille mètres, le skieur étanche sa soif à chaque fontaine, avant de reprendre le train ou la voiture qui le ramènera vers l’atmosphère enfumée des villes et les soucis de l’existence quotidienne.

P. CHEVALIER.

Le Chasseur Français N°626 Avril 1949 Page 407