Si l’on se réfère aux différentes statistiques que nous
fournissent les services responsables de la marche de la construction
automobile française, tout de suite on constate que nous sommes arrivés à un point
crucial. Nous quitterons probablement, au cours de cette année, le domaine
obscur du dirigisme pur pour aborder les espaces enivrants de la liberté. Comme
tout changement de régime, on va assister à des heurts et à des grincements de
dents ; mais il est possible d’envisager un accroissement certain de la
production si des mesures fiscales intempestives ne viennent pas entraver son
essor. La hausse des prix des véhiculer neufs et la rareté de ceux-ci ont
entraîné la raréfaction de la voiture d’occasion de construction relativement
récente. En 1948, on a noté la sortie de 190.000 véhicules neufs : 104.000
tourisme et 86.000 industriels. Notons qu’en 1945, première année d’après la
Libération, 34.000 véhicules neufs avaient été produits, dont 1.730 tourisme
seulement. Si l’on se reporte à l’année type 1938, qui ne fut pas précisément
une bonne année, nous notons qu’à l’époque 228.000 automobiles avaient vu le
jour avec 201.500 tourisme et 26.500 poids lourds. Il est vrai qu’à l’époque la
coordination des transports freinait la production des châssis industriels.
Nous nous étions, à ce moment, élevés contre l’aveuglement d’une telle
politique, aveuglement qui se révéla catastrophique à la déclaration de guerre,
en laissant l’autorité militaire désemparée devant un parc automobile lourd
squelettique. Espérons que la leçon portera ses fruits pour l’avenir ...
Quoi qu’il en soit, les prévisions pour 1949 envisagent une
production de 220.000 unités, avec 170.000 tourisme et 50.000 industriels.
C’est nettement insuffisant si l’on tient compte des 60 p. 100 réservés à
l’exportation et des 10 p. 100 de prioritaires. Il reste donc 60.000
tourisme pour le besoin intérieur. Si on considère que le marché français
réclame quelque 600.000 ou 800.000 voitures neuves, on conviendra que l’on se
trouve loin du point de saturation.
Cette livraison au compte-goutte entraîne des anomalies
ahurissantes ; telle marque cote, en occasion de trois ou quatre ans, 450.000 francs,
alors que le modèle neuf est catalogué 310.000 ! Notons pour mémoire le
trafic des priorités, trafic qui sera toujours difficile à juguler tant que la
liberté totale ne sera pas revenue. Souhaitons seulement qu’avec la production
mondiale automobile toujours croissante et le besoin pressant pour chaque pays
d’exporter à tout prix, et compte tenu de nos prix de revient en hausse
continue, la montée des salaires français ne tarisse pas bientôt nos débouchés
extérieurs. Joignons à cela que peu de modèles nationaux, par suite de notre
tendance au développement de la voiture ultra-légère, trouveraient preneur à
l’étranger, ce qui entraînerait bientôt une mévente en devises appréciées à
l’avantage, en contre-partie du marché français. C’est là un écueil que nos
dirigistes doivent prévoir à une échéance plus proche, peut-être, qu’ils ne
pensent.
Si nous jetons un coup d’œil de détail sur chacune de nos
grandes marques, nous sommes bien obligés de constater, hélas ! que
chacune tourne, sinon au ralenti, tout au moins à une cadence restreinte.
L’approvisionnement en tôles est déficient. Les métaux non ferreux se
raréfient, et les matières premières, en général, sont insuffisantes. Chez
Renault, en fin d’année 1948, on constate que la cadence de production a
atteint 350 voitures par jour, dont 200 environ 4 CV. On espère
atteindre 300 à la fin du prochain trimestre. Ce sera là un beau résultat.
Peugeot, malgré ses grèves, travaille sur la base de 175 modèles 202 par
jour, et commence à démarrer la chaîne des 203. La production journalière de
Simca est actuellement de 70 Simca-8 et 20 Simca-6. Ford, dont le potentiel de
production est plus que respectable, puisqu’il peut atteindre 50.000 véhicules
par an, est arrivé à sortir, en 1948, 4.500 voitures particulières. De son
côté, Citroën, qui sortait plus de 400 véhicules par jour, durant sa splendeur,
n’a, en 1948, engendré que 34.000 tractions avant. Il devrait faire beaucoup
mieux, surtout que cette marque est particulièrement appréciée à l’étranger et
que la demande est énorme. La production des autres marques est trop limitée
pour influencer le marché.
En bref, les prévisions pour l’année 1949 ramènent la
production automobile à ce qu’elle était en 1938. Nous sommes loin de
satisfaire tous nos besoins, surtout si l’exportation se maintient au chiffre
actuel.
Mais, direz-vous, c’est bien beau d’avoir, sinon une voiture
neuve, tout au moins l’espérance d’en avoir une, mais il va falloir la faire
rouler, c’est-à-dire posséder suffisamment d’essence et des pneumatiques pour
la chausser.
Côté pneumatiques, la situation est beaucoup plus
satisfaisante. Après un timide et partiel essai de vente libre, on en est bien
vite revenu à la réglementation. Faut-il incriminer le principe ? Nous ne
le croyons pas. Nous avons pu constater pour d’autres produits que rien n’est
plus difficile d’assurer l’ « accrochage » et de passer du dirigisme
à la liberté. Il y a un point précis où l’on peut passer « la
vitesse » sans faire grincer les engrenages ou sauter la mécanique. Ce
point est d’autant plus difficile à trouver que si l’un des facteurs, la vente,
est libre, l’autre, les prix, restent bloqués. Il n’y a plus de régulateur à
l’appareil. Quoi qu’il en soit, notons que, pour 1948, la production a dépassé
de 40 p. 100 celle de 1938.
Ce chiffre peut paraître énorme, mais il ne faut pas perdre
de vue que la demande de pneumatiques de remplacement est considérable. Plus de
la moitié de la production était réservée à ce poste. En 1949, on espère porter
la production de 2.400.000 à 3.000.000 d’unités. Les poids lourds, surtout, ont
consommé d’autant plus de gomme que celle-ci était d’une qualité médiocre. L’amélioration
actuelle de ce produit va permettre d’accroître dans une sensible proportion le
kilométrage parcouru par une enveloppe. Le facteur de remplacement baissera
donc d’autant, et il est très probable que la liberté nous arrivera, sur ce
point, au cours de cette année.
Quant au problème de l’essence, c’est tout un volume que
l’on pourrait écrire. Mais, là aussi, nous pouvons espérer. Certes, les
perspectives sont moins encourageantes ici que pour les pneumatiques, mais nous
ne pouvons passer sous silence le fait que la production est en avance de
beaucoup sur le fameux plan Monnet et que les raffineries sont en mesure de
traiter actuellement 11.200.000 tonnes de pétrole brut. Nous pouvons donc
envisager un ravitaillement économique en carburant du fait que la France
devient un pays exportateur de produits finis, le seul en Europe. Notre
consommation, qui était de 3.500.000 mètres cubes en 1938, a atteint
respectivement 1.800.000 mètres cubes en 1946, 2.100.000 mètres cubes en 1947
et 2.000.000 mètres cubes environ en 1948. Compte tenu du nombre de véhicules
de circulation, il nous faudrait 2.600.000 mètres cubes pour que l’essence
devienne libre. Notre pénurie de devises seule nous empêche d’atteindre ce
point idéal. Nous n’en sommes pas si loin. Il est facile de calculer tous les
avantages qu’apporterait, pour l’économie et les finances du pays, la liberté
totale de la consommation. Nul doute que les pouvoirs publics mettront tout en œuvre
pour y parvenir.
G. AVANDO.
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