L’Urus, ou Bos Urus, que l’on appelle aussi « Auroch de
Germanie », est-il de nos jours complètement disparu ?
Tel est le problème qui a été posé dans le numéro de
décembre du Chasseur Français et que chacun pourra résoudre — à son
gré — sur les données de l’évolution de l’espèce, telle qu’elle résulte de
la paléontologie, de la préhistoire et de l’Histoire.
Tous les savants sont d’accord sur ce point
qu’antérieurement à l’homme de l’âge de pierre vivait en Europe un bœuf d’une
taille si imposante qu’elle dépassait deux mètres au garrot. Il avait, comme
caractéristique, des cornes droites en lyre, semblables à celles de nos bœufs
de labour actuels. On suppose qu’il devait fréquenter, comme nos taureaux
sauvages de Camargue, les vastes plaines, coupées d’étangs et de marais, car on
trouvé presque exclusivement ses ossements fossilisés dans les marnières
provenant de marécages aujourd’hui desséchés.
Au musée de Saint-Germain-en-Laye, on peut voir, reconstitué
sur un crâne fossile, la tête impressionnante de cette immense brute.
Cet animal, que le monde savant a appelé le « bœuf primigène »,
est, sans nul doute, la souche de toutes les races bovines, tant sauvages que
domestiques, qui peuplent actuellement notre continent.
Les manuels de paléontologie affirment que ce bœuf n’existe
plus ... Voire !
Quelques milliers d’années plus tard, peut-être plus petit,
sous une autre dénomination humaine, mais de filiation incontestable,
n’allons-nous pas rencontrer la même espèce ?
La préhistoire peut nous éclairer : examinons les
documents qu’elle nous a laissés. Ce sont des dessins d’animaux inscrits sur
les parois des cavernes habitées, il y a vingt ou trente mille ans, par nos
lointains ancêtres humains. Ils représentent des bisons à crinière et des bœufs
à cornes droites. Ces derniers sont manifestement les descendants du « primigène ».
La science va leur donner un nom nouveau : Auroch.
Sans jamais mêler leur sang, ces deux espèces. Bison et
Auroch, vont cheminer côte à côte jusqu’à nos jours, à travers le temps. Le
Bison Bonassus d’Europe vivra dans la forêt en grognant ; l’auroch
fréquentera la plaine en beuglant.
Mais, tandis que le bison demeurera immuablement farouche,
l’auroch se divisera en deux races. L’une, peut-être croisée, deviendra
pacifique, malléable, asservie, domestiquée et intelligemment sélectionnée par
l’homme, tandis que l’autre ne se laissera jamais apprivoiser.
De cette dernière, nous allons trouver la trace dans la
période historique.
Sénèque, en effet, dans ses Questions naturelles,
parle de deux espèces de bœufs habitant la Germanie : l’Urus aux larges
cornes et le pileux Bison. Pline mentionne, sur le même territoire, le bison à
la fiente brûlante et l’urus, d’une force et d’une rapidité extrêmes.
Enfin, Jules César, dans son livre VI de la Guerre
des Gaules, écrit qu’en Germanie, dans les plaines de cette forêt
hercynienne, coupée d’étangs et de marécages, qui s’étend depuis les Alpes
jusqu’aux confins des Carpathes, existe l’urus, qu’il a dû voir, mort ou vif,
au cours de sa campagne : « Il est, dit-il, presque aussi grand qu’un
éléphant. »
Les indigènes l’appellent urochs et, par abréviation,
« ur » ou l’ancêtre. Le latin en a fait « urus ».
C’est un animal redoutable. Malheur à qui le rencontre au
moment du rut ou même lorsque la vache, au temps de l’allaitement, s’éloigne de
la harde pour préserver son petit de la brutalité des mâles ! L’auroch va
devenir un objet de terreur pour la population autochtone. Aussi sa souhaitable
destruction sera-t-elle particulièrement en honneur. Le chasseur qui lui
tranchait la tête d’un coup d’épée devenait un héros national.
Pendant des siècles, une jeunesse courageuse s’adonna à ce
sport particulièrement dangereux, tant et si bien qu’il finit par amener la
disparition de cette espèce.
Un vieux tableau, daté de 1600, du musée d’Augsbourg,
représentait (avant la guerre) un splendide auroch à robe rougeâtre. C’est le
dernier « portrait » qui nous reste, pris sur un animal vivant. On
estime donc que l’anéantissement de cette race en Allemagne a été consommé au
début du XVIIe siècle.
Mais peut-on affirmer en toute certitude que l’auroch est
véritablement et définitivement disparu ?
N’a-t-il pas, sous une apparence plus grêle, sous une
couleur plus sombre, produit d’un milieu méditerranéen, laissé une descendance
ou nous allons distinguer tous les caractères essentiels de l’ancêtre ?
L’évolution des espèces n’est-elle pas un perpétuel recommencement ...
Il y a une vingtaine d’années, un savant allemand
m’écrivait : « L’auroch de Germanie vit encore dans les bovins
de Corse, d’Ibérie et de Camargue.
Votre taureau camarguais possède la structure squelettique,
la forme des membres et la cérébralité sauvage de l’ur. Courage, agressivité,
mœurs grégaires, rassemblements saisonniers des individus, élève à l’écart des
jeunes, en somme conservation de tous les caractères de la harde sauvage.
En le croisant avec le bœuf ibérique, qui lui donnera la
taille, et le taureau corse, qui le dotera de la couleur rougeâtre, l’ancêtre
pourra être reconstitué. »
De plus, au dire de ce savant, cette expérience se
justifiait par le récit d’explorateurs qui avaient observé au cœur de l’Afrique
des bœufs ayant toute l’apparence de l’auroch.
Importés d’Europe par un colon qui avait dû les abandonner
dans la brousse, ces bœufs domestiques étaient redevenus sauvages. Délaissant
les formes acquises par sélection artificielle, au cours de plusieurs
générations, ils avaient reconquis les caractères ancestraux.
Si le rosier que le jardinier prive de ses soins redevient
églantier, si l’animal domestique, débarrassé de l’emprise de l’homme, reprend
les formes et la psychologie de l’ancêtre, c’est que de grandes lois naturelles
trop ignorées régissent le monde vivant : ce sont les lois de la
continuité de l’espèce et du retour à la souche.
Paul CORDIER-GONI.
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