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Tir de chasse

Recherche d'une moyenne

S’il est assez facile de classer les tireurs devant les boîtes à pigeons, il est beaucoup plus malaisé d’apprécier leur valeur sur le terrain de chasse, dans des conditions où les difficultés du tir et la nature du gibier varient sans cesse. Il est certain qu’un bon fusil n’aura pas la même moyenne devant le gibier d’ouverture que sur les oiseaux de battue, en arrière-saison, et il convient de s’attacher, pour serrer de près la question, à ne comparer que des éléments du même ordre.

Les résultats obtenus sur le terrain dépendent de l’adresse du tireur, c’est-à-dire de son écart probable, étant entendu que l’écart dont il est question ici comprend celui de l’arme, qui est négligeable, mais aussi la somme des erreurs dues au pointage rapide, aux appréciations inexactes des corrections de tir et aux défauts d’exécution sur lesquels nous avons précédemment insisté. L’esprit scientifique nous affirme avec raison que notre connaissance des choses est d’autant plus parfaite que nous sommes à même de l’exprimer par des chiffres ; les résultats obtenus à la chasse n’échappent pas à cette judicieuse remarqué et il est beaucoup plus rationnel d’étudier l’efficacité d’un tir en comparant des moyennes qu’en employant des adjectifs empruntés à la phraséologie courante.

Dans une des études qu’il a consacrées au tir, le général Journée a admis que l’écart probable des très bons tireurs ne dépasse pas 1/100 de la distance, et celui des tireurs moyens 2/100 ; on est conduit à adopter ces valeurs par la comparaison des résultats obtenus dans les épreuves de tir aux pigeons. Ils sont intéressants dans la mesure où ils permettent une adaptation judicieuse du groupement des armes aux qualités des tireurs.

Mais, sur le terrain de chasse, il est beaucoup plus utile et plus intéressant de faire concourir des résultats numériques au perfectionnement des tireurs plutôt qu’à la vanité de leur classement. Les considérations suivantes sont principalement destinées aux tireurs moyens ou débutants qui, désirant faire quelques progrès, sont suffisamment doués d’esprit méthodique pour noter, au cours de leur saison de chasse, autre chose que le tableau journalier ; nous ne leur demanderons d’ailleurs rien de difficile et ferons surtout appel à leur consciencieuse observation.

Pour ne pas entrer dans des complications inutiles, nous leur demanderons de noter, simplement et honnêtement, au soir de chaque journée de chasse, le nombre de cartouches employées et le nombre de pièces abattues : rien de plus, rien de moins. Et comme, à la chasse, seule la loi des grands nombres est susceptible d’éliminer les facteurs peu importants, nous ne retiendrons en fin de compte que le rapport saisonnier entre les victimes et les munitions.

Liberté entière, bien entendu, pour les esprits curieux, de sérier les moyennes s’ils disposent d’éléments statistiques suffisamment étendus, mais nous insistons sur le fait que ce n’est pas parce que l’on vient de réussir une heureuse série de coups de fusil que l’on peut se proclamer en progrès et qu’inversement une suite de coups désastreux n’implique pas une perte de forme. Seules les statistiques suffisamment étendues, nous le répétons, ont une valeur intéressante.

Nous pourrons d’ailleurs traduire le résultat en pourcentage de réussite ; les deux rapports ont la même valeur, mais nous pensons que la première indication envisagée parle mieux à l’esprit dans la pratique journalière et permet, chemin faisant, quelques comparaisons utiles.

Et, maintenant, à quelle moyenne doit-on arriver ? À la meilleure, bien entendu. Mais répétons que c’est là une question de gibier et de terrain : tel tireur qui consomme deux cartouches par pièce dans l’ensemble de sa saison n’aura pas de difficultés à tuer en terrain découvert huit lapins sur dix, alors qu’il ne descendra que deux ou trois oiseaux de battue avec ses dix cartouches : toujours l’intérêt de la moyenne saisonnière. Et l’examen des années consécutives suggérera probablement des réflexions utiles au sujet de l’armement et des munitions.

On peut admettre que la moyenne de deux cartouches par pièce est très honorable, que celle de quatre cartouches caractérise les fusils assez ordinaires et qu’il faut être un tireur de grande classe pour ne consacrer qu’une cartouche et demie à la pièce. Et pour un tireur expérimenté, opérant sur le même terrain, la moyenne ne varie que par dixièmes, d’une année à l’autre. Ceci prouve la valeur de la méthode de mesure.

Beaucoup de chasseurs trouveront ces considérations superflues, voire oiseuses ; pour eux, le principal est de tirer tant qu’on peut et tout ce qu’on peut. Certains d’entre eux tirent d’ailleurs fort bien, mais beaucoup d’humains s’intéressent d’instinct à la chasse, y réussissent plus ou moins bien et désirent si possible faire quelques progrès. Faute de points de repère précis, ils tâtonnent souvent fort longtemps et attribuent à l’arme ou aux munitions ce qui n’est qu’un manque de savoir-faire, ou inversement. À quelques autres, la certitude de la constance des moyennes donnera l’insouciance du résultat quotidien, ce qui est un facteur important de réussite.

Enfin, il n’y aura pas lieu de s’émouvoir outre mesure si, avec l’âge, les résultats s’affirment moins heureux. La sagesse saura, dans ce cas, affirmer à la vieillesse qu’il vaut encore mieux brûler quelques cartouches, peut-être un peu moins brillamment que dans le passé, mais en y trouvant toujours le suprême plaisir des passionnés de la chasse.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°627 Mai 1949 Page 433