Le tir, la chasse et les chiens, qui, au premier abord,
paraissent indissolublement liés, sont, en réalité, trois choses différentes.
On peut tirer sans chasser. Il n’est pas difficile de
chasser sans fusil et sans chiens, avec un furet et des bourses. Enfin, en
ayant recours à de bons chiens, on prend, quand on en est capable, sans brûler
une cartouche.
Certes, lorsque, à force de pratiquer le tir, la chasse et
les chiens, on arrive à coordonner leur action, ils s’entendent, à merveille
tous les trois et forment un tout idéal, trop naturel en apparence pour l’être
effectivement. Rares, en effet, sont ceux qui savent y parvenir. Ainsi :
qui tire bien connaît mal la chasse et ignore tout des chiens, qu’il n’aime
pas ! Qui n’est pas trop novice en l’art de chasser n’arrive pas à tirer
convenablement ! Qui s’entête à s’accompagner d’un chien n’est pas capable
de le conduire !
L’absence d’un membre de l’association : tir, chasse et
chiens, dénature le tir de chasse. On le confond alors avec la contrefaçon du
tir de chasse intégral, c’est-à-dire avec le tir de chasse devant les chiens.
Il est bon de faire une distinction entre le « tir de
chasse » et le « tir à la chasse ». Ce n’est pas du tout la même
chose.
Aussitôt qu’on abandonne la plaque pour pointer un fusil de
chasse sur un but en mouvement, on pénètre dans le domaine du tir de chasse.
Cependant, il n’est pas nécessaire, pour s’y livrer, que ce but fuyant soit
représenté par une pièce de gibier. Le ball-trapp est là pour le prouver.
Par d’ingénieuses combinaisons de projection, il reproduit,
autant qu’il est possible, les principales directions d’envolées, telles
qu’elles se produisent à la chasse. Il s’en rapproche dans le rapport où sa
complexion de catapulte lui permet d’imiter la nature. Quoi qu’il en soit, il
propulse, dans un style de démarrage foudroyant, une coupelle friable qui prend
son départ avec une vitesse extrême appelée à décroître au lieu de s’accentuer,
comme celle du gibier, à mesure que la distance s’allonge.
Nous citons cette particularité, connue de tous les tireurs,
simplement pour marquer la première différence initiale qui commence à creuser
le fossé séparant le tir de chasse et le tir à la chasse.
Malgré toutes les précautions prises par le premier pour
s’amalgamer au second, il ne peut empêcher qu’on s’attaque à un but inerte, qui
est mort avant d’être mis en miettes par les plombs, et ne possède que la vie
artificielle sans réflexes dont on s’efforce de l’animer.
En plus de cela, les faits et les circonstances qui
entourent le tir, dans un stand, sont peu comparables à ceux qui vous attendent
sur les divers terrains où l’on chasse.
Au stand, on a toujours le temps de se placer à sa guise, et
l’on peut user de la possibilité qui vous est offerte de tenir son fusil
épaulé, afin de lancer le coup plus rapidement. On commande, également,
soi-même, le départ du pigeon d’argile : complaisance assez peu dans la
manière du poil et de la plume. Donc pas de surprises et, par conséquent,
suppression d’une grande part des émotions qui vous guettent à la chasse. La
seule capable de vous troubler, sur la planche, se rencontre dans la gêne et
dans l’énervement qui s’en suit de tirer en public, car il est bien rare, à
moins d’un cas particulier, de s’adonner au ball-trapp à l’écart de toute
compagnie. Cette sorte d’émotion n’étreint d’ailleurs pas souvent ses fidèles
habitués.
L’avantage est grand de ne se heurter à l’imprévu que sous
des formes prévisibles ! Il existe cependant de par le monde des écoles
spéciales, dites : de chasse, où l’on s’emploie à masquer l’imprévu avec
une bonne volonté méritoire, au long d’un parcours s’étendant sur un terrain,
tantôt boisé, tantôt découvert, s’efforçant de représenter celui qu’on bat le
plus communément à la chasse. Dans la pratique, cette bonne volonté se manifeste
par l’apparition d’un pigeon d’argile prenant brusquement son essor, ou d’un
chariot, portant une silhouette de lapin, s’enfuyant sur ses rails.
C’est, en somme, de l’incertitude ordonnée qu’on vous
apprend à vaincre méthodiquement pour la transformer en routine.
De même que l’imprévu, la préoccupation de ne pas manquer
devient inexistante. Lorsqu’on tire à côté d’un but artificiel, on a la
facilité de le remettre tant qu’on veut au bout de son fusil. C’est une énorme
supériorité.
À la chasse, il en va autrement : c’est elle qui
commande et distribue les chances de tirer. Le souci de ne pas manquer une
occasion dont le retour n’est pas assuré vous talonne, vous crispe et vous
laisse dans une disposition morale peu favorable au tir.
Chaque École de Chasse enseigne sa méthode. C’est une
excellente chose en ce qui concerne les débutants, exception faite pour les
tempéraments trop récalcitrants. En revanche, elle l’est moins pour ceux qui
ont déjà chassé et se sont façonné une manière de tirer parfois très différente
de celle qu’on veut leur inculquer.
Lorsque des habitudes considérées comme mauvaises sont bien
ancrées, il est plus sage de les exploiter, autrement dit de tenir compte de
leurs exigences, au lieu de vouloir les détruire. Qu’elles proviennent de la
complexion du tireur ou d’une arme mal adaptée à laquelle il a voulu
s’accoutumer coûte que coûte, elles ont des racines profondes d’une
extraordinaire vitalité.
Dans la réalité des choses et des faits, les méthodes
proposent et la chasse ordonne. Une conception du tir de chasse, aussi parfaite
semble-t-elle être, ne peut répondre à toutes les éventualités. C’est pourquoi
les Écoles de Chasse sont utiles tant qu’on ne regarde pas le tir qu’elles
enseignent comme la reproduction exacte de celui qu’on pratique à la chasse.
À la chasse, les circonstances inconnues à l’École ne sont
pas rares, auxquelles il faut bien faire face avec les seuls moyens du bord. On
doit donc ne pas trop s’étonner si, pour y parvenir, on ne fait guère de
différence entre les bonnes et les mauvaises habitudes. On se trouve devant la
conséquence normale de ce que les trois quarts des chasseurs n’ont pas reçu du
sort la faveur d’en récolter de bonnes. Le petit chasseur surtout, que rien n’a
préparé aux difficultés du tir de chasse. Pour se familiariser avec elles, il
n’a généralement ni ball-trapp, ni assez de gibier à sa disposition : il
est donc naturel qu’il s’y prenne comme il peut.
Qu’on veuille bien ne pas s’y tromper ! Cette remarque
n’est pas un éloge des mauvaises habitudes. Si l’on parvient à ne pas tirer
trop mal en s’y abandonnant, elles sont loin d’être obligatoires.
Notre ambition se borne à expliquer pourquoi le tir à la
chasse est un exercice spécial où le facteur personnel est prépondérant devant
les initiatives à prendre, et qu’on doit isoler de tout ce qui n’appartient pas
à son essence particulière, pour en saisir les complications séduisantes.
Le tir a la chasse exige la chasse, et ce petit bout de
phrase est moins chargé de naïveté qu’il n’en donne l’impression ! Il
s’acquiert, ce tir, par la chasse elle-même, et non par des instructions
théoriques.
L’auxiliaire naturel de la chasse est le chien. Sans lui, à
part de rares exceptions, elle se réduit au simulacre d’elle-même. Il la situe
à sa place exacte et lui donne son vrai caractère, ce qui permet au tir qu’elle
provoque de jouer loyalement son rôle conclusif sans falsifier les
contingences.
Nous verrons par la suite ce que peut être son mécanisme
dans la pratique.
Raymond DUEZ.
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