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Sédentaires et migrateurs

I les gibiers sédentaires s’accommodent de presque tous nos terrains, ils ne sont pas comme les gibiers de passage, qui marquent d’un caractère plus net les endroits où ils font halte. Ce sont eux qui, de la façon la plus vive, mettent en évidence les affinités qui lient le sol et les bêtes. Certes, ces affinités sont commandées par les besoins impérieux de la procréation et de la nourriture, et les voliers effectuant leurs migrations doivent avoir des antennes pour reconnaître à l’aller et au retour les paysages où ils trouveront la provende et le gîte. La liaison permanente qui existe entre la température, les saisons, les vents, les oiseaux, constitue le charme profond des chasses saisonnières.

L’été ne nous offre pas, à ce point de vue, un caractère aussi vif que l’hiver.

Voyez ces jours de décembre jusques auxquels l’automne s’est prolongé sans défaillance. Sous notre ciel méridional, beaucoup d’arbres et d’arbrisseaux ont conservé des feuilles jaunies. Trompées par la clémence du temps, des pousses vertes pointent au ras des prés. Soudain, au crépuscule d’une de ces courtes journées que l’ombre envahit dès quatre heures, le vent tourne au nord et fraîchit. Une bande de ciel rouge vif flamboie derrière le mont Lozère, des nuages gris sombre la couvrent et les feuilles arrachées des rameaux tournoient dans les chemins. La terre devient sèche. Le gel la durcit. Le lendemain, les peupliers dressent leurs branches fuselées vers un ciel glacé. L’hiver a pris possession de la terre. Que manque-t-il pour terminer ce paysage, pour lui donner son caractère particulier, compléter sa parure hivernale ? Le volier de canards, qui, escadrille en bon ordre, sort de l’horizon et traverse le ciel, les bandes de corneilles qui jettent leur croassement comme des pierres, les vols d’alouettes qui envahissent les terres ensemencées. En un mot, une boutée.

Bien que nous ne soyons pas sur un grand chemin de passage, chaque saison ne manque pas d’amener ses oiseaux.

La plupart de ceux qu’amène le printemps intéressent peu le chasseur. On ne chasse ni la huppe, ni l’hirondelle, ni le rossignol, ni le coucou. Messagers du renouveau, leur présence caractérise la fermeture complète de la chasse. Pour eux, notre pays, c’est le septentrion et l’instinct génétique les y a poussés des contrées plus chaudes où ils ont passé l’hiver. Certes, ils sont accompagnés d’espèces classées parmi le gibier : en premier lieu les cailles, puis les loriots, les tourterelles et quelques bandes d’ortolans qui, chez nous, passent inaperçues. Tout cela retrouve ses cantons habituels et forme des agglomérations plus ou moins denses, selon les ressources nutritives et les commodités de l’habitat. Peu d’originaux s’arrêtent dans des endroits qui ne leur sont pas favorables. C’est la période calme, sans boutée, où sédentaires et migrateurs, côte à cote, déroulent leurs amours annuelles, victimes seulement des tragédies que l’homme, les éléments et les bêtes de proie mettent dans leur destinée.

Les hôtes seront là dans les premiers temps de l’ouverture et bon nombre d’entre eux iront tenir compagnie dans le carnier aux lièvres et perdrix que n’attendait aucun départ.

Septembre, octobre passent. Les migrateurs plus septentrionaux obéissent à la loi et descendent vers le sud. Grives et bécasses font leur apparition et s’installent avec les lapins dans les bois et les buissons. Les bords de mer et les marais voient défiler un plus grand nombre et une plus grande variété de voyageurs. Nos régions de l’intérieur sont moins favorisées et elles ne connaissent l’abondance cynégétique qu’à l’occasion des grands froids qui provoquent les boutées. Des températures exceptionnelles amènent du gibier exceptionnel. Elles président aussi aux réunions en grands vols des alouettes et des pinsons. Alors c’est pour ces derniers le signal du grand massacre. Les petits chasseurs, dont la bredouille est le lot habituel, se rattrapent sur eux. De trop nombreux vrais chasseurs aussi cèdent à la tentation. Un vol à peine posé reçoit un coup de fusil et ne s’enlève et ne se repose que pour être tiré à nouveau. J’avoue que je n’ai jamais pu contempler sans tristesse cet acharnement à tuer de pauvres bêtes exténuées. Je comprends très bien cette dame qui me déclara que la chasse, ce n’était pas beau, parce qu’elle avait vu un jour d’hiver, en passant dans son automobile, un grand nombre de chasseurs tuant des alouettes affamées.

Le gibier sédentaire donne au chasseur le plaisir permanent de la chasse. Il est, pour ainsi dire, à notre disposition, et c’est lui qui nous attend. Au contraire, nous attendons le gibier de passage. Il convient, pour en profiter, de ne point laisser passer les jours favorables, de surveiller le temps pour saisir à ses variations, à ses tendances, les signes des passages et des mouvements locaux.

Ainsi, l’arrivée et le départ des oiseaux marquent d’un signe inéluctable la marche du temps et donnent aux saisons leur signification cynégétique. Qu’une hirondelle traverse le ciel, que le coucou chante dans les bois, c’est le temps du repos. Qu’un tourdre ivre s’élève lourdement de dessous une vigne par un chaud soleil de midi en octobre, c’est le signe avant-coureur de l’hiver. En mars, lorsqu’on épuise les dernières cartouches sur les bécasses le long des cours d’eau, lorsque, au bois, un grand chêne porte cinquante bisets, l’hiver s’achève.

La première hirondelle est de nouveau proche.

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°627 Mai 1949 Page 441