I le chien est l’animal le plus sociable et le plus
fidèle compagnon que l’homme ait trouvé dans le règne animal, et malgré toute
la profonde amitié que je puisse avoir pour cette espèce, il n’en reste pas
moins vrai qu’il peut devenir un nuisible dangereux. Doué en général d’une
intelligence (je ne dis pas un instinct !) supérieure à celle des autres
animaux, doté de moyens olfactifs développés dans la majorité des individus,
cet animal, lorsqu’il se met à attaquer le gibier, n’en devient que plus dangereux.
Il y a chien et chien, direz-vous ! Entièrement
d’accord avec vous, mais un chien doté d’un bon odorat, livré à lui-même ou
poussé dans la voie de la chasse, prend vite la passion de ce sport, soit pour
subvenir à une existence ne lui offrant pas un menu adapté à ses besoins, soit
simplement par passion. Il ne fait là que suivre l’exemple de son digne
maître !
Si nous admettons quatre classes de chiens : chiens
d’arrêt, chien courant, corniaud (1), chiens de berger et autres, voyons
quels sont les plus dangereux pour le gibier.
À l’origine du chien, cet animal chassait pour subvenir à
ses besoins ; il chassait par instinct. La civilisation l’a domestiqué et
a dirigé cet instinct selon ses capacités. Chez certains, les chiens réservés à
la chasse, tout s’est bien passé et, le dressage aidant, la passion s’en
mêlant, le chien s’est confirmé facilement dans cette voie. Chez d’autres,
produits de croisements divers au hasard des aventures, cet instinct primitif
s’est complètement aboli ou, au contraire, sommeille et se manifeste de temps à
autre, soit, comme je l’ai dit, pour augmenter sa pitance, soit que la passion
se développe d’elle-même ou poussée par un dressage (si l’on peut employer ce
mot). Un exemple en est fourni dans le Grand Nord américain ou canadien où,
lorsque la nourriture vient à manquer, on lâche les chiens de traîneaux pour
qu’ils puissent trouver eux-mêmes leur subsistance.
Pour le chien d’arrêt, un manque de dressage ou un dressage
mauvais, une négligence de son maître qui le laisse divaguer à longueur de
journée ont vite fait de transformer le chien en vagabond passionné de la
chasse, le terrain étant parfaitement propice à l’expansion de son amour pour
celle-ci. Le chien d’arrêt vagabond devient d’autant plus dangereux que son
odorat est développé, car il a vite fait d’acquérir une marche d’approche
identique à celle du renard, et de pouvoir ainsi « coiffer »
proprement lièvre ou lapin au gîte. Quelques essais couronnés de succès et
notre gaillard devient un as du genre et il est considéré avec extase par tous
les chassaillons.
Pour le chien courant, rarement dressé en général, les faits
se présentent autrement et offrent, à mon avis (sauf pour les chiens muets
avant le lancer), un peu moins de danger pour le gibier adulte. Dès qu’un courant
a connaissance d’une voie, il le fait entendre par ses abois, qui ne font que
s’amplifier en se rapprochant du gibier. Celui-ci est donc alerté, et il est
rare qu’il se laisse « gueuler » au déboulé, du moins pour le gibier
adulte. Par la suite, un chien seul forcera rarement son gibier. S’il s’agit
d’un levraut, d’un lapereau et d’un chien rapide et un peu bavard, il en sera
tout autrement, bien entendu.
Pour le corniaud, sa chasse sera différente selon son
origine, si l’on peut s’exprimer ainsi ! Provenant d’un courant, il aura
tendance à bourrer et donner quelques coups de voix. Provenant d’un couchant,
il chasse en renard : approchant sans bruit, lentement, bien dans le vent,
il bondit sans un coup de voix sur le gibier remisé ou gîté, le coiffant
proprement et en silence. Il est donc alors aussi dangereux que le chien
d’arrêt, je dirai plus du fait du grand nombre de cette variété de chiens et,
en général, de l’insouciance de leurs propriétaires.
Pour le chien de berger (je ne parle pas du pur chien de
race dressé au bétail, mais des trois quarts des chiens de berger qu’on trouve
en campagne), il est, 90 fois sur 100, un corniaud au sens que j’en ai
donné plus haut. C’est le produit d’une chienne qui gardait le bétail avec un
chien plus ou moins de chasse ou d’un corniaud. Il a donc dans
« l’âme » le virus de la chasse à un degré plus ou moins développé.
Livré souvent à lui-même, tout en gardant les troupeaux, il fouine de-ci,
de-là. Qu’un berger, pour occuper son temps, l’excite à chercher et à courir le
gibier, ou même le dresse à cet effet pour garnir la marmite, et voilà notre
chien de berger confirmé ennemi du gibier. Confirmation d’autant plus rapide
que quelques succès auront couronné ses efforts.
Parmi les autres chiens qui sont une plaie, il faut faire
entrer les fox ou assimilés laissés en liberté. Je pourrais même ajouter que
nombre de chassailleurs mitigés bracos ne chassent qu’avec ce genre de chiens
très intelligents, broussailleurs énergiques, batailleurs, très rapides dans
les fourrés et d’un entretien fort peu coûteux.
Les chiens de berger se livrent parfois à des hécatombes
sensationnelles : en 1934, en Silésie, à Reinerz, 13 mouflons furent
égorgés dans un parc ; dans l’Eiffel : 13 moutons égorgés, 107 noyés
et bien d’autres à abattre ; à Braubach : 16 moutons égorgés par
des chiens de berger pris sur le fait. Le dernier cas connu en France se situe
à Pindray, près de Montmorillon, dans la Vienne : dans une première nuit,
42 brebis furent égorgées dans un parc à moutons, le 10 décembre
1946 ; le 12 décembre, 32 autres y passèrent. Le Libre Poitou
donna un fidèle compte rendu des faits, on parla de loup, ce fut normal dans la
région, mais deux chiens vus sur les lieux furent, de l’avis de beaucoup, les
seuls coupables.
Le chien-loup, d’allure magnifique, chasse sans un coup de
voix. Très souvent, il chasse en compagnie d’un autre. Il approche la proie et
l’égorge au bond, ou lui sectionne la colonne vertébrale à la nuque. Parmi les
chiens de berger, j’en ai connu qui n’opéraient que de nuit, restant
paisiblement à leurs fonctions de gardiens pendant le jour ; leur capture
au piège me fixa sur le genre d’activité nocturne qu’ils déployaient. Très
souvent aussi, j’ai constaté que ces chiens braconniers chassent à deux et, si
un complice disparaît, ils ont vite fait d’en trouver un autre.
Les dégâts des chiens vagabonds, au point de vue
cynégétique, portent sur tout le jeune gibier, et sur le gibier adulte surpris
au gîte ou forcé à la course. De plus, ils troublent la tranquillité du gibier
dans ses cantonnements, lui faisant même abandonner ses remises par leur
vagabondage continuel. Le gibier à plume n’est pas à l’abri de leurs dents, les
couveuses sur les nids en particulier et les poussins des couvées.
Maintenant que les genres de chasse et les dégâts sont
définis, qui est le responsable ? Pas le chien 9 fois sur 10, mais le
propriétaire : négligence habituelle, négligence frisant l’intérêt, par
exception fuite accidentelle. Ce dernier cas mis à part, l’application de
l’article 1385 du Code civil rendant le propriétaire responsable des
dégâts est pleinement justifiée. Or, en campagne, on connaît les
« clients » qui laissent vagabonder leurs chiens du 1er janvier
au 31 décembre ! Quant aux moyens propres à empêcher le chien de
vagabonder de jour ou de nuit, ils sont excessivement simples.
Le premier est de tenir les chiens enfermés ou à l’attache,
en dehors des heures de service qu’on leur demande : garderie ou chasse.
Le second, pour les chiens de berger en service, est de les
dresser à ne faire que leur métier. Si l’on a affaire à un chien rongé par la
passion de la chasse, essayer d’une trique de 1 mètre et 5 centimètres
de diamètre, solidement fixée à une grosse corde attachée au collier et réglée
pour se trouver à 0m,20 du sol. Cette trique freinera
automatiquement sa vitesse et l’empêchera d’entrer au taillis. L’emploi d’une
muselière n’est guère applicable aux chiens de berger, qui doivent, selon le
bétail, pouvoir mordre à certains moments. Mais la muselière à un corniaud, à
un fox, est parfaitement bien placée.
Tous les chiens vagabonds, braconniers ou non, sont
justiciables de capture et mise en fourrière, et susceptibles de provoquer des
demandes en dommages et intérêts à leur propriétaire pour les dégâts qu’ils
peuvent causer.
Mais la mise à mort d’un chien (hors les cas de légitime
défense ou de rage) n’est pas un argument à employer, la loi ne l’admet qu’en
lieu parfaitement clos et au moment où le chien est en train de commettre des
dégâts. La capture des chiens se fait avec les pièges ordinaires ou, ce qui est
mieux, avec les boîtes à chiens, qui ne blessent nullement les animaux. Quant à
l’emploi du poison, dont un correspondant se plaignait amèrement, il est
formellement et strictement réglementé, et réservé uniquement aux animaux
nuisibles. Or le chien est un animal domestique, et la jurisprudence qui est
applicable est celle des animaux domestiques, et, si la preuve peut être
établie, l’auteur de l’empoisonnement peut s’attendre à être copieusement
« salé ».
A. CHAIGNEAU.
(1) Sous ce vocable, j’entends un chien d’origine quelconque
ayant eu un chien de chasse au moins dans ses antécédents.
N. D. L. R. — Signalons qu’un arrêté du ministre de
l’Agriculture, en date du 1er février 1949, punit des peines de
l’article II de la loi du 3 mai 1844, c’est-à-dire de 500 à 3.000
francs d’amende, la divagation des chiens « dans les champs cultivés ou
non, les prés, les vignes, sur les bords des cours d’eau, marais, étangs et
lacs, ainsi que dans les bois ». Cette mesure est prise pour prévenir la
destruction des oiseaux et favoriser leur repeuplement.
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