Généralement, les débutants du lancer, lourd ou léger,
exercent leurs nouveaux talents dans les endroits libres de tout obstacle,
profonds, aux rives bien nettes, au fond bien propre : comme ils
préféreraient, même, un bassin cimenté, où leurs cuillers circuleraient sans
encombre, comme sur un boulevard sans réverbères !
Hélas ! si ces pauvres confrères sont à peu près
certains de ne pas perdre de leurres, ils sont non moins assurés de ne pas
rapporter un seul poisson. J’entends « un seul beau poisson ».
Ils ignorent certainement le vieux dicton halieutique si
justifié : « Rivière sans végétation n’abrite pas de gros
poissons. »
Les chevronnés du multiplicateur ancien, ou du tambour fixe
moderne, connaissent bien cette particularité et ils évitent soigneusement
d’explorer les espaces libres et faciles, fréquentés seulement par les petits
carnassiers.
Les gros spécimens ont une prédilection marquée pour le
fouillis ou le chaos, soit pour y établir leur repaire, soit aussi comme poste
d’affût.
Ils ne s’en éloignent que fort peu, sachant bien qu’ils y
sont à l’abri et que le fretin viendra rôder autour de la demeure de l’ogre.
Je ne dirai cependant pas que jamais l’occasion ne se
présentera d’accrocher une belle pièce en pleine eau libre : je me
permettrai seulement d’affirmer que ce sera une exception.
J’entends — je crois entendre — vos protestations,
chers débutants pleins de confiance. « Nous n’avons pas envie de laisser
une cuiller à chaque coup dans le fouillis, cela reviendrait cher. »
Évidemment, on ne fait pas une omelette sans casser des
œufs, on ne chasse pas sans tirer quelques cartouches à côté du gibier, mais je
vais vous indiquer quelques moyens de limiter les dégâts et vous me direz dans
quelque temps si j’ai raison ... ou si je radote.
D’abord, montez vos leurres vous-mêmes, ils vous reviendront
meilleur marché et vous n’hésiterez pas à en sacrifier quelques-uns dans les
bons coins. D’ailleurs, l’expérience aidant, vous serez plus précis dans vos
lancers et moins enclins à viser dans le décor, d’où diminution de leurres
perdus. Ensuite, employez des hameçons protégés, susceptibles de naviguer sans
accrochages — oh ! pas toujours — dans les herbes et la
végétation aquatiques.
N’allez pas croire cependant qu’en faisant plonger votre
cuiller ou votre devon dans un banc de nénuphars, de roseaux ou de joncs, ainsi
que dans les branches d’un arbre immergé, vous allez les revoir à tout coup.
Ah ! ça, non ! Il y a une mesure en toutes choses.
Voyons donc à développer le titre de notre causerie.
Il s’agit d’empêcher la pointe de l’ardillon de se fixer
dans un obstacle autre que la bouche d’un carnassier. Pour cela, je recommande
avec insistance l’emploi exclusif de l’hameçon simple au lieu du traditionnel
grappin à trois branches.
D’autres voix, plus autorisées que la mienne, ont affirmé
l’avantage de cette substitution : le ferrage sera tout aussi efficace et
les accrochages réduits au minimum.
De plus, le montage rigide sur fil d’acier souple permettra
de donner au gros hameçon simple la position horizontale, pointe en haut, dans
le prolongement du plomb décentré qui le protégera, en écartant les
herbes ; et, si la base de la palette est assez large pour masquer la
pointe de l’ardillon, le montage sera parfait. Comme il ne faudrait pas que
cette largeur soit une gêne à un bon ferrage, il conviendra d’éloigner
suffisamment l’hameçon de la palette (figure 1).
Voyons, maintenant, à protéger encore plus
efficacement la pointe de l’ardillon. Plusieurs moyens sont à notre
disposition :
Touffes de plumes : Nous fixerons, sur la hampe
de l’hameçon, une collerette fournie de plumes à longues barbes très rigides
(vieux coq), imitant en cela une mouche artificielle. Les barbes doivent
couvrir la pointe et opposer au frôlement des herbes une assez forte
résistance, laquelle cédera aisément sous un coup de dents du vorace
(fig. 2).
Si vous ne pouvez vous procurer des plumes aux barbes très
rigides, il sera préférable de ligaturer sur la hampe deux ou trois plumes de
la queue d’un moineau, par exemple, ou de tout autre oiseau. Teignez-les si
vous voulez, en rouge de préférence.
Ceci est pour la pêche dans les herbes fines et souples,
cédant aisément, mais il en est d’autres qui opposent une forte résistance à la
flexion : il faut donc une garniture protectrice plus efficace
— relativement — pliant seulement sous les mâchoires d’un carnassier
rageur et puissant. Nous adopterons, dans ce cas, une protection métallique,
pourrais-je dire. Là encore, plusieurs systèmes sont à notre disposition.
Fil simple droit : Sur le haut de la hampe de
l’hameçon, vous souderez ou fixerez d’une façon quelconque, après l’avoir
aplatie, l’extrémité d’une tige d’acier mince que vous aurez coudée selon la
figure 3, la pointe de l’ardillon contre la tige en A et dans le même
plan que l’hameçon et sa courbure.
Le coup de dents démasquera la pointe et lui permettra de se
fixer dans la gueule du poisson.
Fil double droit : Au lieu d’un fil, mettez-en
deux, ou un seul assez long pour être doublé, ce qui est préférable (fig. 4).
Avec deux fils, il y a en B une solution de continuité.
Avec un hameçon double, ou triple, il nous faudra répéter
cette opération deux ou trois fois selon le modèle choisi ; ces fils
— ou ce fil — seront soudés solidement vers la palette, en prenant le
bas de ligne métallique sous la soudure.
N’exagérez pas, évidemment, le diamètre du fil protecteur
qui deviendrait un obstacle au ferrage du poisson ; d’ailleurs, les herbes
étant déjà déplacées par le passage du plomb, le chemin est frayé, la garniture
ne servant qu’à le maintenir ouvert.
Ces systèmes protecteurs agissent surtout par
« répulsion » sur l’obstacle solide (bloc de pierre, souche,
etc.) ; le choc déplace le leurre sur le côté d’autant plus vivement que
la récupération est plus rapide et la garniture plus résistante.
Il est bien évident que les barbes de plumes l’écarteront
légèrement, quoique avec assez d’amplitude pour que l’hameçon contourne
l’obstacle ; le fil d’acier produira un écart plus important.
Je ne veux parler que du choc latéral ou par le haut, car la
position de l’hameçon lui interdit un accrochage par-dessous.
Vous pourrez donc racler le fond — méthode recommandée,
car c’est là que se cantonnent les belles pièces. Pêcher en surface, c’est
perdre son temps, sauf en eau mince ou sur des chevelures d’herbes épaisses.
Observez un lanceur — pardon, un pêcheur, car il ne
faut pas confondre ces deux spécimens de trempeurs de fil : il attend
quelques secondes avant de récupérer et, s’il connaît bien son affaire
— et sa rivière,— il attendra le mollissement de son nylon pour
actionner le moulinet.
Cette façon d’opérer est surtout utilisable en lac, étang ou
en eau profonde : canal, pool, gouffre, où le courant ne risque pas de
plaquer le leurre sous une souche ou un gros bloc.
Et maintenant, résumons : toute protection sera
inefficace si la rivière est une forêt aquatique ou un grand banc de roseaux,
mais elle conviendra à merveille pour tout cours d’eau parsemé d’herbes ou
d’obstacles solides entravant la circulation d’un leurre ordinaire.
Pour faciliter le travail sur le fil d’acier, il est
recommandable de le détremper, puis de le retremper quand vous lui aurez donné
sa forme définitive. La corde à piano est à recommander.
Terminons par une anecdote personnelle : Je pêchais
dans la Sioule, partie basse, quand je vis un beau brochet dans les branches
immergées d’un arbre déraciné. Je « l’essayais » tout autour et ne
pus le décider à sortir, après avoir perdu deux cuillers dans les branches.
De retour à la maison, je garnis une hélice, comme je
l’indique plus haut, avec un seul fil assez rigide et, le soir, je retournai
voir mon animal qui, bien sûr, était toujours là.
Je glissai, avec la longue canne que j’avais apportée, mon
hélice dans le fouillis et la dandinai sur le côté sans m’accrocher ; cela
ne traîna pas ; un retournement, un bond et le leurre disparut dans la
vaste gueule : un coup très sec amarra « Grand gosier », qui fut
extrait de sa forêt sans ménagement. Ce n’était pas un monstre, mais il pesait
tout de même six livres.
Mon hélice protégée avait causé sa perte.
Marcel LAPOURRÉ.
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