N nouvel André Leducq est né ... conçu à Londres
et élevé, en même temps, à la dignité de champion par le duc d’Édimbourg en
personne.
José Beyaert, en effet, chut dans les premiers bras qui
s’ouvrirent à lui, aussitôt passée la ligne d’arrivée de la course olympique
sur route. Ces bras étaient ducaux !
Il eut, même, le mot argotique, qui s’imposait sans doute,
mais que seul un cerveau lucide pouvait offrir à la française ... avec
élégance ... et sans danger pour des suites diplomatiques.
— Maman va être heureuse ... c’est le jour de sa
fête ! Passé au rang des coureurs professionnels, José Beyaert a éclaté,
sur le même ton, dans sa première course importante de l’année : le
Critérium de L’Écho d’Alger.
Cette fois, le jeune vainqueur de quelques « gros
bras » tels Idée, Bobet et consorts, s’en prit au micro, à l’intention de
sa fiancée :
— Ma petite chérie ... j’ai gagné ... et je
t’embrasse ...
* * *
Par son intelligence, son esprit d’initiative, sa vigueur,
sa santé, sa tenue, José Beyaert va prendre la succession, souriante et
optimiste, d’André Leducq.
Ce dernier a drainé une génération vers le vélo. Beyaert
connaît donc sa destinée.
Nous avons besoin de ces ambassadeurs cyclistes qui savent
aussi bien parler que pédaler ; faire de l’esprit qu’user de stratégie
sportive ; se présenter en ville que gagner une course ou accomplir une
randonnée.
J’ai écrit : randonnée.
À bon escient ; car le vélo n’est ni un but, ni un
moyen, mais une raison d’être. Par lui l’humanité échappe à la promiscuité du
transport véhicule, à la tyrannie du vêtement et à l’accaparement de la pensée.
Le chiffre de dix millions de pédaleurs que nous comptons en
France, qui vont du champion du Tour au bébé de square, est infime par rapport
à ce qu’il pourrait être. En vérité, nous devrions tous pédaler, y compris ma
grand’mère ; la marche ne s’expliquant que sur terrain meuble, alors que
l’asphalte, le pavé, le ciment exigent la roue ... Parmi ceux qui en
usent, seul le chasseur est dans le vrai ...
* * *
Bah ! nous vous emmènerons un jour sur ces routes
bordées de mimosas ou flanquées de grisaille, tant il est vrai que tous les
décors, pour peu qu’ils soient naturels, ont du bon.
L’équilibre vital ne se conquiert que par
l’équilibre ... à bicyclette ! C’est tellement simple que nous sommes
assez peu à le savoir et encore moins à l’exprimer valablement.
Comme en tout il faut une exception, pour établir une règle,
certains cyclotouristes fournissent cette image nécessaire de l’ultra :
par cols, par raids, par randonnées, par autant de démonstrations qui sont
probantes lorsqu’elles s’adressent aux possibilités du commun.
Charles Antonin, mon ami, n’a-t-il pas réalisé une autre
performance, celle de s’échapper vers la montagne ou la campagne cinquante et
un dimanches dans une année ?
Hiver comme été ...
L’hiver, il y a le cyclo-cross, qui ne se réclame pas
nécessairement d’émules de Robert Oubron, mais dont la pratique se satisfait de
salutaires promenades sous bois en alternant le vélo, la marche ou la course à
pied. Il y a, aussi, le ski. Et Antonin a dû en user.
Ainsi donc, toujours, on retrouve à la tête du mouvement
l’exploit sensationnel (le Claverie cité par H. de La Tombelle) ou l’être
d’exception. On ne tombe, vraiment, dans la pratique logique d’une chose qu’au
moyen de ce que l’on croit être une bizarrerie : l’infirme âgé qui fait du
vélo parce qu’il ne peut plus aller à pied ou le gosse de trois ans qui tient
sur deux roues aussi bien qu’un poisson nage dans l’eau.
* * *
J’écris ceci à l’aube d’avril.
Nous saurons, bientôt, si le coureur cycliste, à l’exemple
de Caput nouvellement inscrit au club de Monaco, de Lazaridès, Teisseire, Vietto,
Fachtleitner, habitants azuréens, trouve mieux sous le soleil que dans la brume
la bonne carburation.
Les Belges, accrochés à leur tradition du pavé gras, du
trottoir cyclable impraticable et du rail, s’emparent généralement de la forme
par ces moyens de féroce brutalité. Ils ne craignent pas la transition.
Pain noir d’abord ! Telle est leur formule ...
Elle leur a souvent réussi au cours des premières grandes rencontres
internationales, où la fragilité n’est pas de mise.
De toute façon, le coureur cycliste possède la nostalgie
méditerranéenne.
La ruée 1949, cependant, n’a pas été aussi marquée qu’au
temps où Speicher, Le Grevès, Archambaud s’embarquaient non pas seulement
vers la côte, mais vers les cols, tôt accessibles, qui la dominent.
Quant aux cyclotouristes, s’ils pouvaient tous descendre en
Provence, ils le feraient. Il y a là un fanatisme qui les poursuit. Ils ne
voudraient connaître d’autre porte ouvrant sur le printemps que celle qui, du
haut du col du Rousset, ou dans la vallée du Rhône, aux alentours de Viviers,
marque la délimitation d’une sorte de paradis terrestre.
Taisez-vous ! Je tremble, en écrivant, à la seule
pensée que, dans un mois, mon tandem croisera par les Baux ou
Saint-Rémy-de-Provence, venu d’Ardèche ou d’Isère, selon les circonstances.
René CHESAL.
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