Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°627 Mai 1949  > Page 452 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

La petite reine sur la grand'route

1948, avec les Jeux Olympiens, fut l’année de l’athlétisme et de la natation. L’été 1949 qui commence sera la grande saison des courses cyclistes sur route, dont le nombre et l’envergure va battre tous les records. Jamais on n’a vu un calendrier aussi surchargé. Et le lot des candidats aux titres et au palmarès, s’il n’est pas supérieur (il ne l’est certainement pas, hélas !) en qualité à celui des temps glorieux du cyclisme français — où nous avions chaque année une demi-douzaine d’hommes de la classe de Lapize ou des Pélissier au départ de chaque grande épreuve, — est impressionnant par son nombre et sa diversité. Si bien que, alors qu’il y a dix ou vingt ans, on pouvait miser sur dix coureurs avec la quasi-certitude que parmi ces dix noms on retrouverait, à la fin de la saison, tous les vainqueurs des grandes épreuves classiques, il est aujourd’hui difficile de risquer un pronostic, le nombre des épreuves se multipliant en fonction du nombre des coureurs, tout comme nos feuilles d’impôts se gonflent avec la multiplication des fonctionnaires et des retraités.

En plus des grandes épreuves classiques : Paris-Roubaix, Bordeaux-Paris, Tour de France (30 juin-25 juillet), Championnat de France (19 juin), nous reverrons les courses Paris-Saint-Étienne et Marseille-Lyon (15 août). Les Championnats du Monde auront lieu fin août, à Copenhague.

Mais tout le monde veut avoir aujourd’hui son petit « tour », par étapes, dont le moindre durera une semaine : Tour d’Algérie (13 mars au 3 avril). Tour du Maroc, Tours d’Italie, de Suisse, de Belgique, de Hollande, du Luxembourg. Sans compter le Tour du Benelux, avec épreuves courues la nuit, contre la montre, tous phares allumés ! auxquels il faut ajouter les Circuits de l’Ouest, du Sud-Ouest, du Dauphiné, des Boucles de la Seine (jeudi de l’Ascension), Tour des Flandres, Liège-Bastogne et retour, etc. ...

Il est, hélas ! à craindre que cette abondance d’affiches soit au détriment de la qualité, car il est bien évident qu’en l’espace d’un hiver n’ont pu éclore miraculeusement la cinquantaine de grandes vedettes qu’il faudrait réunir pour remplir dignement un tel programme. Mais il n’y aura après tout que demi-mal, si, comme on peut l’espérer, ces compétitions aussi répétées et aussi ouvertes donnent à quelques jeunes l’occasion de sortir du lot.

Ce qui est admirable, c’est que, grâce à la fée Publicité, il y a aujourd’hui presque autant de routiers professionnels que de boulangers ou de facteurs, et tout le monde y trouve son compte, y compris les organisateurs. Signe des temps, où la machine à sous a remplacé le violon d’Ingres.

Comment se présente cette petite armée à la veille de se lancer sur nos belles routes de France ... et des alentours ?

Premier pronostic, hélas ! à peu près certain : nous serons nettement barrés, cette année encore, par nos amis belges et italiens. Coppi et Bartali, tout en se regardant en chiens de faïence, remporteront chacun de leur côté, et en évitant de se concurrencer dans la même épreuve, la plupart des courses dont ils prendront le départ, et cela d’autant plus facilement que les organisateurs feront tout pour les aider et ne pas décevoir leurs admirateurs. Car il est bien entendu que, pour les grands seigneurs actuels, chaque départ est flanqué d’une cour de « co-équipiers » qui se sacrifient pour mener le train au « caïd » et pour le secourir au premier incident. Il serait trop fatigant pour des hommes qui gagnent, sur la route, des centaines de milliers de francs de courir seuls contre la montagne, le vent et la pluie, comme savaient le faire un Thys ou un Christophe. C’est bien naturel. Maintenant que le fantassin fait ses étapes en « jeep », avec son sac chargé sur un camion, pourquoi un cycliste serait-il assez naïf pour franchir les Pyrénées avec sa seule volonté, et pourquoi s’ennuyerait-il tout seul dans les côtes ? Ce serait vraiment trop « sport » et trop semblable à l’effort que produisent ces bonnes poires, de plus en plus rares, qu’on appelle des amateurs, ou que ces pauvres coureurs à pied.

Les Belges, sur le papier tout au moins, auront la meilleure équipe. Ils possèdent un lot homogène d’une dizaine de routiers courageux et expérimentés, dont chacun est parfaitement capable de gagner n’importe quelle grande épreuve. Daneels et Schotte s’annoncent redoutables.

Le Hollandais Schulte, aussi fort sur la route que sur la piste, visera surtout les parcours classiques, si on l’y invite.

Devant ce lot très relevé, quelles sont nos chances ?

À mon humble avis, je ne crois pas à de grandes victoires françaises en 1949. Mais ce que j’espère sincèrement, c’est que, parmi la pléiade de seconds rôles que nous possédons en ce moment, la dure saison qui s’ouvre obligera toutes les bonnes volontés et les jeunes talents à s’employer à fond, et nous verrons sortir du lot quelques hommes susceptibles de reprendre, dans un ou deux ans, la succession — ouverte depuis quatre ou cinq ans — des grands routiers français qui, depuis trente ans, portaient si haut notre drapeau.

Nos athlètes, nos nageurs, nos boxeurs, depuis la Libération, ont fait un effort et ramené le sport français à un niveau digne de son passé. Il n’y a aucune raison qu’en cyclisme, le seul sport précisément où nous avons toujours brillé sur le plan international, il n’en soit pas de même. Il suffit pour cela d’un peu de volonté et de revenir aux vieilles traditions des Lapize, des Petit-Breton ou des Magne : celles du courage et du goût de l’effort personnel.

Parmi ceux en qui nous pouvons espérer voir sortir les vedettes recherchées, nous citerons : José Beyaert, Lazaridès, Bobet, Teisseire, Caput, G. Lapébie, et peut-être Guégan et Pernac. Tous ces hommes, qui ne manquent pas de qualités naturelles, doivent progresser, encadrés de vieux renards de la route comme Vietto, Thiétard, et stimulés par Marcellak.

Enfin, nous avons des hommes de classe certaine, tels que Caffi, Danguillaume et Robic (qui vaut mieux que son palmarès de 1948), qui sont parfaitement capables de nous causer, cette année, des surprises agréables.

Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°627 Mai 1949 Page 452