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Canoës et kayaks

En ouvrant une rubrique consacrée au canoë, nous ne pensons pas qu’il soit superflu d’instruire le lecteur des origines du canoë, canoë canadien et kayak, puisque l’usage les désigne généralement sous le même vocable.

Ces deux embarcations répondent pour nous à un même but : la descente des rivières rapides où leur valeur est sensiblement égale. Bien que de provenances, formes et modes de construction très différents, on pourrait même dire opposés, le canoë et le kayak ont un point commun : dans la hiérarchie des pirogues primitives, ils occupent, l’un et l’autre, l’échelon le plus élevé. Instruments de travail de l’Indien et de l’Esquimau, ils ont été amenés, au cours des siècles, par étapes insensibles, à un degré de perfectionnement que seuls les matériaux et les méthodes de travail de la civilisation moderne pouvaient modifier.

Le canoë canadien est originaire des régions forestières de l’Amérique du Nord, et l’Indien l’utilisait pour ses déplacements, souvent fort longs, pour se rendre d’un terrain de chasse à un autre et pour le transport de ses marchandises. C’était donc un bateau de fret offrant un volume justifié par son usage. Sa construction présentait des caractéristiques invariables ; membrures et étraves ployées, bordé en écorce de bouleau, le tout chevillé, cousu et calfaté.

Sa forme générale nous est familière ; elle n’a guère varié et nous la retrouvons dans nos modernes canoës. La longueur allait, suivant l’utilisation, de 3m,50 pour un homme seul à plus de 7 mètres pour le transport de marchandises et les pirogues de guerre. Un canoë de 4 à 5 mètres était suffisamment léger pour que son propriétaire puisse, en le portant, éviter un obstacle ou se rendre d’un cours d’eau à un autre.

La souplesse même du canoë d’écorce lui assurait une résistance suffisante aux chocs, et il était facilement réparable avec des matériaux que l’Indien, en forêt, trouvait à portée de main. Du reste, celui-ci n’attachait pas une grande importance à l’entretien de son canoë ; il l’abandonnait souvent au terme d’un voyage et le remplaçait en quelques journées de travail pour l’expédition suivante.

La pagaie simple était seule employée pour la propulsion et la manœuvre (il doit toujours en être ainsi, et c’est une hérésie que d’utiliser une pagaie double en canoë canadien), et l’Indien pagayait à genoux, accroupi sur ses talons. La perche était utilisée, de préférence à la pagaie, pour remonter les courants.

L’homme blanc, dès son arrivée dans le Nouveau Monde, adopte le canoë de l’Indien, moyen de locomotion idéal dans une région particulièrement riche en lacs et cours d’eau. Bientôt, il le construit lui-même avec des méthodes qui lui sont plus familières que le travail de l’écorce et de ses mains sortent les canoës bordés en bois avec membrures demi-rondes que nous connaissons. Cette construction ne permettant pas d’obtenir la forme parfaite du canoë d’écorce, très plat du fond, il adopte la technique de l’entoilage : larges membrures plates et bordé très mince recouvert d’une forte toile enduite et peinte.

Pour présenter le kayak, nous pourrions prendre le contre-pied de tout ce qui a été dit sur le canoë canadien. En effet, si le canoë est un bateau de charge, navigant seulement en eau douce, le kayak, lui, n’est utilisé à l’origine qu’en mer, par l’Esquimau du Groenland et du Nord de l’Amérique, pour la chasse.

À l’inverse du canoë, il n’a aucune stabilité de forme, et seule l’adresse du pagayeur le maintient en équilibre sur l’eau. Le kayak se compose d’une armature en bois et en os recouverte de peau ; entièrement ponté, un étroit trou d’homme livre juste passage au pagayeur dont le vêtement — l’anorak — obstrue l’ouverture. Toujours prévu pour un seul homme et construit à sa mesure, d’une longueur avoisinant 5 mètres, le kayak est très étroit et peu profond. L’an dernier, un de mes amis, membre de l’expédition P.-E. Victor, a rapporté du Groenland un kayak qui n’était pas des plus petits, et relativement profond. Nous avons pu constater qu’un Européen de taille moyenne éprouvait les plus grandes difficultés à s’introduire par l’étroite ouverture.

Ainsi calé l’Esquimau fait corps avec son bateau, qu’il dirige avec une courte pagaie double aux pales étroites. Vient-il à chavirer, l’Esquimau, sans quitter son bateau, rendu étanche par la fermeture de l’anorak, effectue un tour complet dans l’eau et se redresse à l’aide de sa pagaie, voire même seulement avec ses mains, tant son adresse est grande. Admirons sans réserve le courage et l’habileté des hardis chasseurs qui se livrent, à bord de si légères embarcations, à la poursuite de monstres marins.

Les quelques morceaux de bois qui entrent dans l’armature ont une valeur inestimable dans un pays dépourvu d’arbres, et l’Esquimau, à l’inverse de l’Indien, veille à la conservation de son kayak.

En France, c’est au début de ce siècle que les premiers canoës furent importés du Canada, en série, par les membres du Canoë-Club de France, mais ils n’étaient pas toujours choisis, faute d’expérience à une époque où ce sport débutait, parmi les mieux adaptés aux eaux françaises. Progressivement, les formes évoluèrent, se rapprochant du reste de la pureté de lignes du canoë d’écorce et de l’entoilé. Actuellement, nous pouvons dire, à l’honneur de la construction française, guidée par les meilleurs canoéistes, que nous trouvons chez nous des bateaux parfaitement adaptés à nos rivières.

Contrairement au canoë canadien, directement importé du pays d’origine, les premiers kayaks nous vinrent des pays d’Europe centrale vers 1928, profondément modifiés. Si l’armature subsiste, elle est, pour faciliter le transport, entièrement démontable, et une enveloppe de toile et caoutchouc remplace la peau. Ils sont, sinon plus longs, beaucoup plus larges et d’une profondeur considérable. Un nouveau type est créé, le biplace. Les pagaies suivent la même évolution, elles sont longues et larges.

Les compétitions de vitesse pure, très répandues dans toute l’Europe, modifient les formes et la structure du kayak. Il en existe, pour la course, de très légers, longs et effilés, démontables ou rigides, à une, deux ou quatre places.

Pour la croisière, les modèles démontables sont seulement utilisés ; le biplace reste une embarcation large et stable, tandis que le monoplace, seul apte aux descentes sportives, se rapproche de plus en plus, comme l’a fait le canoë, des formes idéales du kayak d’origine.

G. NOËL.

Le Chasseur Français N°626 Avril 1949 Page 408