Dans un précédent article (1), nous avons souligné
toute l’importance du fumier, sa richesse en azote en particulier, qui en fait
un engrais de premier choix.
Et les agriculteurs ne l’ignorent pas, quand ils disent que
le fumier, c’est de l’or. Malheureusement, pour ignorer trop souvent sa
composition, sa formation, parfois aussi par manque de soins, par routine, ils
se condamnent à perdre la plus grande partie des éléments utiles qui rendent le
fumier si précieux, et l’azote surtout. Autrement dit, ils laissent l’or
s’échapper pour n’en conserver que la gangue.
Certes, beaucoup de ces pertes sont inévitables, mais, quand
on connaît leur provenance, on peut les réduire et les limiter au minimum.
Quelques chiffres s’imposent ici pour mieux faire saisir
leur importance. Une vache, par exemple, rejette annuellement, dans ses
déjections solides ou liquides, environ 80 kilogrammes d’azote qu’on devrait
théoriquement retrouver intégralement dans le fumier, en cas de stabulation
permanente. En fait, il peut s’en perdre jusqu’à 70 p. 100, soit 60
kilogrammes qui retournent à l’atmosphère (70 p. 100 de pertes ne
représentent d’ailleurs pas les plus mauvaises conditions de récolte et de
fabrication ; elles peuvent atteindre des pourcentages beaucoup plus
élevés, de l’ordre de 90 à 95 p. 100). Or qu’on veuille bien se rappeler
que 100 kilogrammes d’engrais azoté, par exemple de nitrate de soude, ne
contiennent guère que 15 kilogrammes d’azote ! Comparez ce chiffre avec
les 60 kilogrammes de tout à l’heure et concluez !
Agriculteurs ! vous qui savez le prix d’un sac de
nitrate, voulez-vous que nous étudiions ensemble brièvement la nature de ces
pertes et le moyen de les réduire ?
À vrai dire, leurs causes sont multiples et, pour
simplifier, nous les rangerons en 2 groupes :
I. Pertes à l’étable.
— Ces pertes se font sous les pieds même des animaux et
proviennent de la décomposition du carbonate d’ammoniac formé à partir de
l’urée. Ce carbonate, très volatil, se dissocie rapidement en gaz carbonique et
en ammoniac.
Outre les pertes en azote que représente ce dégagement
d’ammoniac, ces gaz se répandent dans l’étable et, pour peu que celle-ci soit
mal aérée, ils y entretiennent une atmosphère pestilentielle, parfaitement
nuisible à la santé des animaux.
Pour remédier à ce double inconvénient, il existe deux
moyens : d’abord évacuer les fumiers et refaire les litières le plus
souvent possible, au moins une fois par jour. Ensuite veiller à la bonne et
rapide évacuation des purins qui seront recueillis dans une fosse close, où il
se réalise une tension suffisante pour arrêter la dissociation du carbonate.
Cette fosse sera munie d’une pompe grâce à laquelle on pourra aisément arroser
le fumier avec le purin.
Méthodes simples et qui, en outre, ont l’avantage de
concorder avec les principes élémentaires d’hygiène. Hélas ! on voit
encore trop souvent de ces fermes ou le purin s’écoule librement des étables à
travers la cour.
II. Pertes du fumier en tas.
— Ces pertes ont lieu pendant tout le temps durant
lequel on entasse le fumier sur la plate-forme ou à même le sol de la cour,
avant de l’épandre.
Le fumier étant exposé à la pluie, on conçoit tout d’abord
qu’il pourrait se produire des pertes importantes par entraînement si les eaux
et purins, s’écoulant à la partie inférieure du fumier, n’étaient recueillis
dans une fosse à purin, dont nous retrouvons encore une fois la nécessité.
Mais en considérant même un fumier entassé sur une
plate-forme construite selon les meilleures règles, il peut s’y produire encore
de nombreuses pertes sous forme de dégagement gazeux dont les causes sont
diverses.
Tout d’abord, à la partie superficielle du fumier, des
bactéries aérobies (c’est-à-dire qui ont besoin d’oxygène) provoquent une
ammonisation avec dégagement d’ammoniac. D’autre part, dans les parties profondes,
donc privées d’air, d’autres bactéries, dites anaérobies, provoquent des
fermentations qui aboutissent à de nouvelles et très importantes pertes
d’azote.
Supprimer les premières, celles qui ont lieu par
ammonisation, est évidemment impossible puisqu’elles se font par la partie
superficielle du fumier : toutefois, on peut les réduire quelque peu par
tassement du fumier. Ce tassement, qui peut se réaliser de façon très simple,
en laissant divaguer des animaux sur le fumier lui-même, a pour but de réduire
la profondeur de la couche où l’air peut pénétrer.
Il est plus facile de réduire les secondes. En effet, les
bactéries qui en sont responsables vivent à des températures voisines de 30°.
Il suffit donc de provoquer dans le fumier une fermentation à haute température
qui aboutira à une stérilisation de ces bactéries. Ce principe est simple. La
méthode l’est également.
Au lieu d’entasser le fumier au hasard des brouettes, on en
fait d’abord un premier lit sur toute la surface de la plate-forme. On remue et
on aère cette couche autant que possible de façon à déclencher une rapide
fermentation aérobie qui peut faire monter la température jusqu’à 70°. Puis on
entasse une deuxième couche, avec laquelle on procède de même. Et ainsi de
suite.
De la sorte, on aura pu empêcher toute fermentation
anaérobie dans la masse du fumier. Sans doute, cette méthode augmente les
pertes par ammonisation, mais elle diminue considérablement les pertes d’azote
gazeux, qui sont les plus importantes.
Cette méthode, quoique simple, a évidemment l’inconvénient
de réclamer un supplément de main-d’œuvre, mais bien faible en comparaison des
bénéfices cachés qu’on en retirera.
D’une manière générale, pour diminuer les pertes en azote du
fumier en tas, il est évidemment bon d’épandre et d’enfouir le fumier le plus
souvent possible. Une station prolongée augmente les pertes d’autant, et
l’humification se poursuit de la même façon après enfouissement. Il y a donc
tout à gagner par cette méthode.
Nous terminerons en répondant à une objection qu’aura pu
faire naître la lecture de cet exposé. Nous avons conseillé plus haut de
changer les litières le plus souvent possible, de sorte que le fumier sorti des
étables sera un fumier très pailleux, ce qui semble être contraire à la
formation d’un fumier bien décomposé, c’est-à-dire bien humifié.
Cette objection ne tient pas si on s’en tient à la
fabrication du fumier par couches successives avec fermentation à haute
température, qui en moins de trois mois donne une masse parfaitement
décomposée. D’autre part, il ne faut pas oublier que les pertes en azote sont
d’autant plus faibles que la concentration en azote est elle-même plus faible.
À telle enseigne que la composition du fumier artificiel, fabriqué à partir de
pailles et végétaux de toute espèce, avec le minimum d’azote nécessaire à la
nourriture des bactéries, ajouté sous forme de déjections animales ou sous
toute autre forme, est souvent voisine de celle d’un fumier de ferme ordinaire.
C’est dire que la plus grande partie de la richesse initiale en azote de
celui-ci aura été perdue.
Agriculteurs, lisez ces quelques conseils pratiques,
appliquez-les ... et ne gaspillez plus des trésors !
J. P.
(1) Voir Le Chasseur Français de mars 1949.
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