La fermeture de la chasse nous procure le plaisir de
recevoir communication des desiderata de nos lecteurs ; dans ces derniers
mois, la question du poids des armes de chasse est revenue si souvent dans
notre courrier que nous croyons devoir consacrer à ce sujet la présente
causerie en espérant procurer quelques clartés à nos amateurs de fusils légers.
Nous avons plusieurs fois défini, dans nos causeries, l’arme
de chasse comme une bouche à feu dont la résistance de l’affût est limitée par
les forces du chasseur ; il convient donc en premier lieu de se demander
quelle est la puissance convenable de la bouche à feu et, secondairement,
comment on peut l’adapter aux possibilités humaines.
La puissance d’une arme se mesure par la force vive (énergie
destructrice) qu’elle est susceptible d’imprimer à ses projectiles ; les
considérations relatives à la vulnérabilité du petit gibier (tir à plombs) ont
conduit assez empiriquement à faire usage de charges variant de 36 à 24 grammes
dans les calibres 12, 16 et 20, étant entendu que ces charges sont lancées
à la vitesse initiale de 380 mètres environ.
On peut évidemment discuter sur ce postulatum,
particulièrement sur le choix relatif de la vitesse initiale et des charges,
mais il est prouvé par la pratique qu’étant donné les types de poudre fabriqués
en France il n’y a pas d’intérêt à s’écarter de ces chiffres. La question
serait à reprendre avec l’emploi d’autres explosifs et il convient, en outre,
de remarquer qu’au point de vue économique seul des solutions très diverses
peuvent intervenir suivant les prix relatifs du plomb et de la poudre. En
France, le prix de cette dernière étant un prix-impôt sans concurrence
commerciale, nous sommes obligés de raisonner sur des bases très étroites.
Évidemment, le calibre le plus efficace sera le plus fort
dont le chasseur pourra supporter le recul et dont le poids normal ne causera
pas de fatigue. Il convient de faire tout de suite justice ici d’un certain
nombre d’idées erronées, émises par ignorance ou intérêt, sur les systèmes de
fusils sans recul, bourres sans recul, chargements sans recul.
Toutes ces affirmations reposent sur des atténuations
partielles du recul obtenues au détriment de la vitesse ou du poids de la
charge. Lorsqu’une bouche à feu ne comporte pas de dispositifs spéciaux (c’est
le cas de l’arme de chasse ordinaire), le recul et la puissance destructrice
sont mathématiquement liés et l’atténuation du premier ne peut être obtenue que
par la réduction des effets meurtriers. Nous n’aurons donc d’autre moyen de
lancer une masse de grenaille donnée que d’accepter le recul correspondant et,
par conséquent, le poids normal de l’arme qui maintient la vitesse de celle-ci
dans une limite convenable.
Parmi les calibres usuellement employés, nous pouvons
affirmer que les 28 grammes du calibre 16 répondent à tous les
besoins et que les 24 grammes du calibre 20, dans les mains d’un bon
tireur, sont encore très efficaces. Le calibre 12 est celui des amateurs
des coups de longueur, réservé aux gibiers difficiles et au tir aux pigeons. Il
est d’observation courante que sur le terrain les tireurs se classent beaucoup
plus en raison de leur adresse que des calibres qu’ils emploient.
Nous avons donc à examiner s’il est possible de construire,
dans un calibre donné, un fusil extra-léger donnant des résultats
satisfaisants. Du côté de la résistance des matériaux, il y a peu d’objections,
car les ressources de la métallurgie permettent actuellement de construire très
léger et très résistant, mais il reste qu’une arme trop légère (notoirement inférieure
en poids à cent fois environ celui de la charge) prendra une vitesse de recul
trop grande et sera d’un usage désagréable au tireur. À cet inconvénient, nous
pouvons offrir deux remèdes : l’amortisseur de crosse et le frein de
bouche.
L’amortisseur de crosse, homologue des freins d’affût, et
dont le type le plus simple est le classique sabot de caoutchouc, ne modifie en
rien la vitesse de recul de l’arme, il diminue simplement la sensation
physiologique et permet d’employer des armes légères avec des charges normales
ou de fortes charges dans des armes normales. On peut concevoir des dispositifs
plus complexes que le sabot, mais, dès que la course d’amortissement prend une
valeur notable, il en résulte des chocs et contusions à la figure et aux doigts
du tireur.
Le frein de bouche, couramment employé en artillerie,
consiste à utiliser l’échappement des gaz à la sortie du canon en leur donnant
une direction telle que la vitesse de recul se trouve sensiblement atténuée.
Ces dispositifs, rationnels et efficaces, ne peuvent s’appliquer qu’aux canons
simples : l’industrie U. S. A. en a tiré un bon parti. Les
canons doubles ne pourraient bénéficier de ce perfectionnement qu’au prix de
sérieuses complications et d’un manque d’équilibre notable ; c’est donc principalement
l’arme à répétition, d’usage limité, qui profite du frein de bouche.
Et si nous désirons conserver l’arme à deux coups, seule
pratique pour la chasse courante dans laquelle la distance de tir et la nature
du gibier varient sans cesse, nous n’aurons le choix, en définitive, qu’entre
une arme légère, sous-chargée, d’un calibre donné, et une arme normale,
normalement chargée, d’un calibre inférieur. Nous préférons de beaucoup cette
dernière solution et nous affirmerons une fois de plus que l’on ne tue pas avec
le numéro du calibre, mais avec ce que l’on met dedans. Lorsque votre arme vous
fatiguera, prenez le calibre normal inférieur : vous tirerez peut-être un
peu moins loin, mais beaucoup mieux en fin de journée.
Nous conseillons donc à nos correspondants de ne pas trop
rêver à des fusils extra-plume, qui plument plus souvent l’acquéreur que le
gibier, et de se limiter, dans la série normale, au calibre qui convient à
leurs dispositions personnelles. Ce calibre-là, bien manœuvré, leur assurera à
meilleur compte tous les succès désirables.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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